Refus d'obsèques à Paris : le prêtre s'explique
Suite à notre article relatant les conditions dramatiques des funérailles d'une pratiquante catholique mariée à une femme, Komitid s'est entretenu avec l'un des prêtres mis en cause.
Hier, nous publions un article concernant les funérailles de Claude, une femme de 81 ans mariée à Annick, refusées par une église du 19e arrondissement. La cérémonie avait finalement été traitée d’une triste manière par le prêtre de l’hôpital parisien dans lequel la sage-femme de carrière avait rendu l’âme, selon les témoins que nous avions contactées et l’association David&Jonathan qui s’en était fait le relais.
Nous avions tenté à plusieurs reprises de joindre la paroisse en question, et n’y étions pas parvenus. Suite à la parution de notre article, le Diocèse de Paris – par la voix de sa responsable de la communication Karine Dalle – a tenu à rappeler la position de l’Église : « Je confirme, et cela m’a été confirmé par un Vicaire général, que toutes les personnes, quelles qu’elles soient, sont accueillies dans l’Église, en particulier dans le cadre de leurs obsèques ».
Elle a tenu à défendre son prêtre, qui « est loin d’être homophobe, il a lui même enterré le compagnon de Jean Marais ». Selon la responsable, le prêtre de la paroisse de Notre Dame de l’Assomption des Buttes Chaumont aurait refusé de procéder à la cérémonie pour des raisons de calendrier et parce que l’adresse de la défunte ne correspondait pas à la paroisse en question. « L’homosexualité est une raison supplémentaire pour ne pas déléguer la cérémonie à n’importe qui et à la va-vite », a-t-elle ajouté.
« L’homosexualité est une raison supplémentaire pour ne pas déléguer la cérémonie à n’importe qui et à la va-vite »
C’est bien la version que nous confirme au téléphone, le père Jean-Luc Leverrier : « Si vous pensez que le fait que la personne soit homosexuelle était une raison supplémentaire pour que je ne veuille pas faire les obsèques vous avez mal compris : j’ai enterré le journaliste militant Pierre Guénin et le restaurateur de Jean Marais, qui était son compagnon donc je n’ai pas de souci sur le sujet. C’était la raison supplémentaire pour que je ne confie pas cette situation à un prêtre remplaçant, venant de l’extérieur, qui aurait dû lâcher cinquante enfants pour faire un enterrement dans les 36 heures ».
Le prêtre explique la situation telle qu’il l’a vécue : « Lundi 16 avril, la secrétaire a reçu un appel pendant que je m’occupais des enfants. Elle m’a dit “il y a un enterrement après-demain, est ce que vous pouvez le prendre ?”. Je lui ai dit oui. Une demie heure plus tard, je me suis rendu compte que j’avais un rendez-vous non négociable le mercredi en question, j’ai fait des pieds et des mains en téléphonant à dix prêtres, j’ai fini par en trouver un, qui allait lâcher cinquante enfants le mercredi pour faire cet enterrement en dépannage. J’ai fini par avoir les pompes funèbres, et le monsieur m’a dit qu’il s’agissait de madame Claude X, ajoutant “elles ont toutes les deux gardé leurs noms de jeunes filles”. J’en ai déduit, parce que je n’avais pas le document sous les yeux, qu’elles étaient lesbiennes. »
Le prêtre poursuit : « Je l’ai contactée et j’ai eu une dame très simple et très gentille, pas familière de l’Église mais respectueuse de sa conjointe et qui m’a dit qu’elle n’habitait pas dans le secteur de cette paroisse, ce que ne m’avait pas dit l’employé des pompes funèbres. Si l’enterrement avait eu lieu chez moi, cela aurait privé les paroissiens de prier et d’entourer leur famille. J’ai donc rappelé l’employé des pompes funèbres en lui disant qu’il n’avait pas fait son boulot et je n’allais pas assurer cet enterrement. Il m’a répondu : “je soupçonne que ça n’est pas pour cette raison que vous refusez”. Je me rappelle le début de ma phrase : “si vous voulez dire que la personne était mariée à une autre dame, c’est effectivement une raison supplémentaire pour que je ne confie pas cette situation à un prêtre remplaçant au débotté” ». Le prêtre raconte avoir alors reçu une bordée d’injures, comprenant alors que l’employé des pompes funèbres avait activé le haut parleur de son téléphone en présence des proches de la défunte, ce que confirme une amie du couple.
« La personne était mariée à une autre dame, c’est une raison supplémentaire pour que je ne confie pas cette situation à un prêtre remplaçant au débotté »
Une raison supplémentaire ? Le père Leverrier, qui exerce depuis vingt ans et enterre « des personnes homosexuelles tous les ans » explique cette expression : « L’idée qu’une personne homosexuelle aurait besoin de délicatesse supplémentaire, cela même peut paraître comme de l’homophobie, mais toute situation délicate demande de la délicatesse, et nous n’étions pas du tout dans ces dispositions un lundi après midi, pour un mercredi après-midi, pour un prêtre de remplacement qui arriverait comme ça ».
Pour illustrer son propos, le prêtre insiste sur le fait qu’il est délicat de coordonner une cérémonie funéraire dans certains contextes : « Dans tout enterrement, c’est le prêtre qui est en première ligne, on ne lui dit pas grand chose et tous les cadavres dans le placard, c’est lui qui va les déterrer. Il ne sait pas forcément toutes les disputes, tous les non-dits, des histoires d’héritages, de fric, d’enfants non reconnus, de papa absent… et néanmoins c’est à lui de parler. Outre la délicatesse et l’acte de foi vis-à-vis de la personne, il est évident que l’on marche sur des œufs en permanence, donc on ne peut pas faire ça comme ça. L’enterrement je l’aurais fait très volontiers, mais pas en 48 heures. »
« Ce qui reste aujourd’hui, de tout ce qui s’est passé il y a cinq ans, c’est “la Manif pour tous est d’extrême droite, l’Église est homophobe, les curés sont des cons” ».
Après la parution de l’article, le père Leverrier affirme avoir reçu de nombreux messages qui l’ont affecté, une situation électrique qui s’explique selon lui par les conséquences de la Manif pour tous, rudement vécues : « On est cinq ans après la Manif pour tous, donc évidemment les gens réagissent de manière électrique et la manière dont la Manif pour tous a été couverte, la manière dont les paroles de l’Église ont été couvertes il y a cinq ans, procèdent d’un climat qui rend les choses électriques. Ce qui reste aujourd’hui, de tout ce qui s’est passé il y a cinq ans, c’est “la Manif pour tous est d’extrême droite, l’Église est homophobe, les curés sont des cons”. Globalement c’est ce qui reste, et votre article y participe ».
« Dire qu’enterrer une personne homosexuelle serait un jour banal, je ne crois pas que ça arrivera ».
À la question de savoir si le prêtre pense qu’un jour les personnes LGBT+ ne nécessiteront pas un traitement particulier lors de leurs funérailles religieuses, l’homme d’Église affirme que non. « Ces personnes sont entrées dans un lieu, conscientes qu’il y avait un hiatus entre l’Église et leur situation. Dire qu’enterrer une personne homosexuelle serait un jour banal, je ne crois pas que ça arrivera. Et c’est valable pour toutes les personnes en situation un peu délicate avec la question de la foi. Ce n’est pas banal d’enterrer un divorcé remarié, d’enterrer un franc-maçon, d’enterrer quelqu’un qui a trompé sa femme, c’est une situation pas banale et donc forcément si la situation de la personne n’est pas banale, cela reste délicat. Ce serait une mauvaise chose de traiter les personnes comme des numéros sans tenir compte de leur situation. »
Comme nous le rappelions dans notre article, en citant Marianne B.-G. du Bureau National de l’association David&Jonathan, malgré les cris d’orfraie de nombreux tradis, une grande partie des croyant.e.s de l’Église catholique militent pour une ouverture du culte sur ces questions, et il convient de les entendre.
Une version antérieure de l’article indiquait que le prêtre avait célébré les funérailles du fondateur de Gai Pied, il s’agissait en fait du journaliste Pierre Guénin, qui était un grand lecteur de Gai Pied, mais pas son fondateur.