« Désobéissance », un drame d'une singulière beauté qui fait vaciller les certitudes sur l'amour et la religion
Après « Une femme fantastique », Sebastián Lelio signe le puissant « Désobéissance », triangle amoureux dans la communauté juive-orthodoxe anglaise, adapté du livre de Naomi Alderman.
À la mort de son père, Ronit (Rachel Weisz) revient dans sa communauté juive-orthodoxe du nord de Londres. Elle retrouve Dovid, son ami d’enfance et tente d’ignorer les regards de travers et remarques désobligeantes que sa présence déclenche, elle, la fille indigne qui s’est éloignée des siens. Mais c’est surtout son amour de jeunesse, Esti, qui a épousé Dovid, qui va faire remonter à la surface les sentiments intenses qu’elles avaient enfouis.
Adapté du best-seller de la romancière Naomi Alderman, Désobéissance décrit l’évolution de trois personnages tiraillés entre leurs désirs et la pression sociale, trois êtres qui luttent autant contre eux-mêmes que contre les principes et les préjugés édictés par ceux qui les entourent : Ronit, l’anticonformiste, qui a renoncé à sa famille et à sa communauté pour pouvoir vivre sa vie comme elle l’entend, Esti, qui a refoulé son homosexualité et épousé Dovid pour se conformer aux attentes de son entourage, et Dovid, dont les principes sont mis à l’épreuve par la présence de Ronit et qui ne sait plus comment aimer Esti. Le film évite habilement un manichéisme aux gros sabots où la religion serait nécessairement la source de tous les maux. Au contraire, la spiritualité est une richesse, une béquille pour comprendre la complexité de l’âme humaine, ses dilemmes, ses tiraillements et ses contradictions.
À la facilité – ou la paresse ? – de flashbacks, Sebastián Lelio préfère l’élégance de la suggestion, scrute les regards où se dessinent les souvenirs de cet amour de jeunesse entre Esti et Ronit. C’est à la faveur d’une chanson sur un vieux poste de radio, Lovesong de The Cure, que Ronit voit renaître son désir et ses sentiments pour Esti dans sa maison d’enfance. Pas de plongée dans le passé, pas d’images de leur adolescence, mais une évocation pudique et poétique de la force de la mémoire. Nimbé d’une lumière grise et froide toute britannique, le film bénéficie d’un des maîtres en matière de travail de la photographie, Danny Cohen (qui a œuvré sur les films This is England, Le discours d’un roi, ou plus récemment la mini série A Very English Scandal).
Si on salue le jeu de Rachel Weisz – très attachée à l’œuvre de Naomi Alderman, puisqu’elle est aussi la productrice de l’adaptation – sa comparse la Canadienne Rachel McAdams, qui joue Esti, propose une performance d’une puissance rare, et endosse avec brio ce rôle de femme qui a réprimé son identité de lesbienne et se débat avec elle-même, prisonnière de ses propres principes religieux, enfermée dans une vie qui l’étouffe. Probablement l’un des plus beaux rôles de sa carrière.