Jeu homophobe inspiré de « Saw » en Russie : « on a cru que c'était un fake »
Voilà plusieurs semaines qu'un appel aux actes homophobes, sous forme d'un jeu inspiré des films d'horreur de la franchise « Saw », a été lancé sur internet. Un an après les révélations sur les purges homophobes en Tchétchénie. Les victimes seraient déjà nombreuses mais refuseraient de témoigner. Komitid a contacté une association LGBT sur place pour en savoir plus.
« Tchétchénie, le come back : maintenant à Oufa ». Voici le glaçant intitulé d’un appel à la violence posté en avril sur internet à l’encontre des hommes gays, dans la ville d’Oufa, située au sud-est de la Russie. Plus terrifiant encore ? La chose est ouvertement présentée comme un jeu homophobe. Cette chasse à l’homme à l’encontre des gays est censée avoir lieu du 1er au 31 mai 2018 et s’intitule « pila », qui veut dire scie. C’est, comme le visuel de marionnette l’indique, une référence à la franchise de films d’horreur Saw, dont l’intrigue se déroule autour de tortures et de meurtres basés sur une certaine idée de la morale.
Le site dédié à ce « jeu homophobe » n’est plus en ligne, mais le mal est déjà fait
Les captures d’écran circulent sur les sites d’info LGBT+, principalement anglophones, mais ne sont pas sourcées. Et le site d’origine, qui semble diffuser photos, adresses et informations personnelles d’hommes présentés comme homosexuels, accessibles pour 200 roubles (2,66 euros, et environ 20 euros, 1500 roubles, pour faire retirer ces infos), est introuvable. « Le site source a déjà été fermé, visiblement, pour extrémisme », raconte Christina Abramicheva, qui gère l’antenne d’Alliance hétéro et LGBT pour l’égalité (Альянс гетеросексуалов и ЛГБТ за равноправие) dans la région de Bachkirie, à Komitid.
« Tout a commencé il y a environ un mois, lorsque des affiches pour ce jeu homophobe ont commencé à apparaître sur internet. D’abord, on a cru que c’était un fake, donc on ne s’est pas plus inquiété.e.s que ça », poursuit la militante. « C’est tout récemment que nous avons commencé à recevoir des demandes pour des avocats et des psychologues pour les victimes. Nous avons des informations comme quoi la communauté LGBT a réagi : un homme gay s’est rendu directement chez ces “chasseurs”, suivi de près par plusieurs des siens. Il y a eu un affrontement et plusieurs personnes se sont retrouvées à l’hôpital. Là, nous avons reçu de nouvelles plaintes. Des hommes gays se font suivre, tabasser et reçoivent des lettres de menaces par mail. »
Une pratique qui ne date pas d’hier, légitimée par l’homophobie d’État
Interrogée par Pink News, une lesbienne russe raconte, sous couvert de l’anonymat, qu’elle connait ce « jeu » depuis longtemps. « C’est un jeu très populaire parmi les hommes russes hétéros. Il circule depuis 2007-2008, mais jusqu’ici c’était quelque chose qui se faisait plutôt en groupes fermés », un témoignage qui corrobore les retours alarmants d’associations et individus LGBT+ de Russie, qui dénoncent la manière dont sont piégés les hommes homosexuels sur internet et les applis, par des milices homophobes. Avec la loi sur la propagande homosexuelle de 2013 et la normalisation des LGBTphobies dans le pays, il n’y a « plus de protection », continue la jeune femme, « tout ça peut arriver en plein jour ».
Sous un article russe faisant état de la situation à Oufa publié sur le site Idel.Реалии le 1er mai, un internaute commente : « Hier, sur un site d’annonces gay, des inconnus ont publié les données de mon passeport, mon adresse et mon numéro de téléphone ». Il raconte que « littéralement deux heures plus tard », trois hommes ont essayé de pénétrer dans son appartement avec des « intentions malveillantes ».
Un an après les révélations sur les purges homophobes en Tchétchénie, ce qu’il se passe actuellement à Oufa a un écho terrible pour les asso LGBT+ locales et leurs soutiens. « Nous essayons par tous les moyens de rendre cette affaire publique, malgré une résistance de tous les côtés, y compris des victimes qui ne veulent pas en parler et ne veulent de l’aide que par l’intermédiaire de tierces personnes », déplore Christina Abramicheva. « Les gays de Tchétchénie sont aidés par le réseau LGBT russe, mais pour cette situation aussi, il faudra mettre en place l’asile politique si les choses empirent ».
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