3 questions à Poulby, tatoueuse queer féministe et solidaire à Bordeaux
Pour la journée internationale de la visibilité trans, la tatoueuse queer organise quatre jours de tatouages gratuits pour les personnes trans : Trans.cendance. Elle nous raconte la genèse et l'importance de ce projet solidaire.
Poulby est une tatoueuse queer, engagée sur les questions LGBT+, le féminisme et le véganisme. En 2018, elle a ouvert son salon, l’Atelier du Sensible, à Bordeaux : un lieu qu’elle a d’emblée annoncé comme body positive, pour que toute sa clientèle puisse venir telle qu’elle est, sans craindre un quelconque jugement. À l’occasion de la Journée internationale de visibilité transgenre, elle a décidé de consacrer quatre jours entiers pour tatouer gratuitement des personnes trans, grâce à ses économies. Du 26 au 30 mars prochain, elle recouvrira des cicatrices d’opérations (sous réserve que la peau soit prête) et encrera des motifs d’empowerment à une vingtaine de personnes trans de sa région et d’ailleurs. Le soir, elle mettra également son salon à disposition pour des temps de parole en non-mixité trans. Pour Komitid, elle explique l’importance de cette démarche solidaire tant pour les personnes qui passeront sous ses aiguilles que pour toutes les communautés LGBT+.
Komitid : Comment est née l’idée de cet événement de tatouage solidaire, Trans.cendance ?
Poulby : Il y a deux ans, j’ai rencontré et tatoué un client trans, qui est devenu un très bon ami. Cette rencontre et tous nos échanges m’ont permis de prendre conscience de la transphobie, y compris dans un moment aussi intime que peut parfois être le tatouage. J’ai réfléchi à comment aider, de mon côté et avec mes moyens. D’abord en ouvrant un salon dans lequel je serai certaine que n’importe qui se sentirait à l’aise et en sécurité. Mais l’idée d’offrir des tatouages me trottait dans la tête depuis un moment. Comme je voulais surtout que l’événement soit accolé à une date positive, en lien avec la transidentité, la Journée internationale de visibilité trans me semblait idéale.
« En tant qu’alliée, je voulais m’assurer que l’événement n’offenserait aucun.e concerné.e. »
En tant qu’alliée, je voulais m’assurer que l’événement n’offenserait aucun.e concerné.e. J’ai donc beaucoup échangé avec mon ami trans sur des petits détails d’organisation et de communication. J’ai pu faire connaître l’événement grâce à Instagram, Twitter et Facebook mais j’ai également envoyé un mail à plusieurs associations LGBTQ+ afin qu’elles puissent faire passer le mot à leurs adhérent.e.s concernées qui pourraient être intéressé.e.s. Une fois tous les participant.e.s inscrit.e.s, une vingtaine sur les quatre jours, nous avons eu de nombreux échanges de mails pour parler de leurs projets et de l’organisation. J’ai tenu à les consulter pour beaucoup de choses, afin de m’assurer que tout leur aille parfaitement. C’est aussi de là que sont nés les temps de parole qui auront lieu en non-mixité trans dans mon salon, en fin de journée.
D’après vous, en quoi le tatouage est-il un outil de self care important pour les personnes LGBT+ ?
Le tatouage est thérapeutique. Et il peut être très important pour certaines personnes de masquer les cicatrices que peut laisser une intervention chirurgicale, ou de mettre en valeur une zone du corps pouvant provoquer des dysphories. Plus généralement, lorsqu’il est pratiqué dans les conditions idéales, le tatouage, c’est un moment d’intimité du corps et de l’esprit, où l’on peut parler de tout, avec quelqu’un qu’on peut ne jamais revoir si on veut. C’est un moment où toute l’attention est concentrée sur soi, son vécu, son histoire, et pour des personnes étant confrontées à des discriminations et des violences, parfois même perpétrées par la famille, ça peut être très libérateur.
« Le tatouage est une démarche très forte de réappropriation de son corps »
Le tatouage est une démarche très forte de réappropriation de son corps. Pour certain.e.s, c’est le seul cas où il est possible de choisir quelque chose sur soi, pour soi, qui affirme qui on est et ce qu’on aime. Pour les personnes trans, queer, intersexes, il peut être indispensable parfois d’affirmer son identité profonde, qui on est réellement, ses goûts, faire passer un message fort.
Avec cet évènement, pensez-vous pouvoir aussi sensibiliser votre clientèle pas spécialement au fait des problématiques LGBT+, donner des idées à d’autres tattoo artists ou même à des associations ?
Le but principal est d’apporter un peu de tendresse aux concerné.e.s, de les soutenir. J’espère aussi pouvoir sensibiliser un peu mes confrères et consœurs sur leur accueil de personnes LGBT+, parce que je pense qu’en tant que tattoo artist, il faut savoir se remettre constamment en question sur son accueil et sa façon de pratiquer. À mon sens, le tatouage doit absolument être un safe place pour tout le monde, que ce soit pour les femmes, les personnes LGBT+ ou les personnes racisées.
« En tant que tattoo artist, il faut savoir se remettre constamment en question sur son accueil et sa façon de pratiquer »
Si cet événement peut donner l’envie à des tattoo artists, des associations LGBT+ ou même pourquoi pas à des professionnel.le.s de la santé, de la coiffure ou de la cuisine de monter un événement dédié aux personnes trans, j’en serais ravie ! Ma porte est grande ouverte à qui voudra parler de ce genres d’initiatives, et pourquoi pas, pour en monter ensemble ?
« Il serait fantastique de pouvoir mettre en place une convention de tatouage réservée aux artistes safe, en brisant un peu les codes virilistes du tatouage »
Trans.cendance reviendra, c’est une certitude, l’année prochaine pour une deuxième édition. J’aimerais étoffer un peu plus l’événement avec différent.e.s intervenant.e.s concerné.e.s pour des discussions, des débats, tables rondes et même une scène ouverte. Si c’est matériellement possible, nous pourrions aussi nous retrouver à plusieurs pour tatouer. Sur du très long terme, il serait fantastique de pouvoir mettre en place une convention de tatouage réservée aux artistes safe, en brisant un peu les codes virilistes du tatouage, mais ça reste du domaine de l’envie pour l’instant…