Un deuxième patient « guéri » du sida… et des millions de malades en attente d'un traitement efficace
Dans le domaine de l'information sur le sida, les médias ont souvent tendance à insister sur le caractère spectaculaire de certaines avancées scientifiques, en oubliant l'essentiel : l'absence de prise en charge de millions de malades dans le monde.
La nouvelle fait la une de tous les médias français et internationaux. Ce matin, le journal de 8 heures de France Inter ouvrait même sur cette information, « Une nouvelle avancée dans la lutte contre le sida ». De quoi s’agit-il ? Une équipe britannique vient d’annoncer dans la revue scientifique Nature qu’un patient avait « guéri » de son sida.
Mutation génétique
Le « patient de Londres », dont l’identité n’a pas été révélée (à sa demande) a subi des transplantations de cellules souches de donneurs pour soigner une forme rare de cancer (un lymphôme hodgkinien). La particularité des cellules transplantées est qu’elles portent une rare mutation génétique qui rend inopérant un récepteur du VIH appelé CCR5. En 2006, le patient de Berlin, premier cas de « guérison », avait reçu un traitement similaire. Mais nous utilisons les guillemets car comme le souligne le Pr Gupta, qui a présenté ces nouveaux résultats à la Croi, une conférence scientifique majeure qui se tient à Seattle, le patient est en phase de rémission, trois ans après avoir reçu la transplantation. Mais il prévient qu’il est encore trop tôt pour parler de guérison.
Ce n’est pas la première fois que les médias font état « d’avancée spectaculaire », « d’un tournant dans la lutte contre le VIH », « d’un espoir pour les malades ». Régulièrement, ces annonces font les gros titres, avec ici une nouvelle piste de traitement jugée révolutionnaire, là un essai de vaccin très prometteur. Souvent, malheureusement, ces travaux préliminaires ne débouchent sur rien.
« Étape importante »
Pourtant, certains médias, et non des moindres, annoncent une « étape importante ». Le malaise ressenti est résumé dans cette accroche du New York Times : « Les scientifiques ont longtemps essayé de répliquer la procédure qui avait aboutie à la première rémission à long terme il y a 12 ans. Avec le dénommé patient de Londres, on dirait qu’ils ont réussi. »
Il n’y a rien qui vous choque ? Douze ans, douze ans pour reproduire une procédure très coûteuse, très spéciale et qui, on vient de le voir, ne pourra pas être répliquée à grande échelle. Pendant ces douze années, on estime que plus de 15 millions de malades sont morts dans le monde, faute d’accès au traitement efficace. De même, des millions de personnes ont été infectées par le VIH, puisque le traitement n’était pas suffisamment prescrit pour avoir un impact en termes de prévention.
Pourtant, la révolution dans l’épidémie est déjà à l’œuvre. Le Tasp (traitement comme prévention) n’a pas connu son heure de gloire dans les médias. Mais c’est une des avancées réellement importantes de la dernière décennie : avec un traitement efficace, les personnes séropositives ne transmettent plus le VIH.
Deuxième avancée majeure, plus ancienne mais confirmée et renforcée avec la mise au point de traitements de plus en plus efficaces : les personnes atteintes en traitement peuvent espérer mener une vie normale avec une espérance de vie équivalente aux personnes séronégatives. Ces traitements existent, et dans leur version générique, ils sont très peu coûteux : un traitement de première ligne revient à 75 dollars… pour un an. Pourtant, on estime que 57 % des personnes atteintes n’ont toujours pas accès au traitement qui pourrait leur sauver la vie.
Dans l’annonce de ce matin, les chercheur.se.s ont certes prévenu que la procédure suivie, extrêmement lourde et coûteuse, ne pourrait pas s’appliquer à l’immense majorité des malades. Le président de Aides, Aurélien Beaucamp, ne s’y est d’ailleurs pas trompé quand il a tweeté :
Les travaux menés par les équipes sur la transplantation vont dans le bon sens. Et comment, en tant que séropositif, ne pas être très heureux pour ces deux malades en phase de rémission et qui peuvent se passer de médicaments antiviraux. Mais pour deux malades « guéris », des millions d’autres attendent un traitement. En octobre prochain, la réunion du Fonds mondial de lutte contre le sida se tient à Lyon. Cet organisme international, qui combat le sida mais aussi la tuberculose et le paludisme, explique qu’avec 14 millards de dollars, 234 millions de cas de ces trois maladies seraient prévenus. C’est à peine plus de 1 % de ce que les 20 premiers pays dépensent en un an dans leur défense.
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