« Arrêtez de voir le Moyen Âge comme une période où on brûlait tous les sodomites »
« Appelons un chat un chat ». Une historienne féministe et militante LGBT+ appelle à cesser de qualifier les LGBTphobes de La Manif pour tous & cie de « moyenâgeux ». Explications.
Pourquoi recourt-on systématiquement à l’adjectif « moyenâgeux » pour décrier les arguments des organisations comme La Manif pour tous, Alliance Vita ou encore Sens Commun ou, finalement, toute forme de discours rétrograde ? Et surtout, pourquoi est-ce un argumentaire inexact ? Agacée par ce dévoiement linguistique, Bérangère — historienne médiéviste en formation mais aussi militante féministe et LGBT+ — a écrit « Laissez le Moyen Âge tranquille » sur son blog. Aujourd’hui, elle prend sa plume pour déconstruire ce réflexe contre-productif dans la lutte contre les LGBTphobies.
« Ohlala, y’en a marre de ces peigne-culs anti-mariage pour tous lààààà, il faut sortir du Moyen Âge hein ! ». Vous avez forcément déjà entendu cette phrase, peut-être l’avez-vous déjà prononcée… Et vous avez tout faux. Qualifier des associations LGBTphobes de « moyenâgeuses », ça ne fonctionne pas : on est en 2019 ! On ne peut pas comparer ce qu’il se passe aujourd’hui avec l’époque médiévale, ça n’a pas de sens. Le faire, c’est oublier de contextualiser — première chose qu’on nous apprend en histoire— et tomber dans l’anachronisme qui rend tout discours bancal. Même si l’homophobie et les oppressions LGBTphobes ont des origines historiques, elles sont loin d’être exclusivement issues du Moyen Âge et surtout, elles ont évolué au cours du temps.
Attention au vocabulaire que vous utilisez, il a des conséquences
Dire que les LGBTphobes de La Manif pour tous et consorts auraient « des idées moyenâgeuses » est aussi contreproductif que de dire qu’ils sont « fous ». Il y a une certaine forme de déresponsabilisation qui accompagne ces discours, rendant la menace qu’ils représentent plus sourde, moins ancrée dans une réalité politique concrète d’aujourd’hui. De plus, attribuer tel ou tel trouble mental à ces activistes rétrogrades dans le but d’expliquer leur violence est un procédé psychophobe.
D’ailleurs, l’adjectif réel pour désigner le Moyen Âge, c’est « médiéval ». « Moyenâgeux », c’est le mot utilisé pour désigner quelque chose de vieux, d’arriéré, de poussiéreux en l’associant au Moyen Âge et souvent, pour qualifier des choses qui n’ont rien à voir. L’époque médiévale est la victime facile des raccourcis qui se veulent progressistes car la vision négative qu’on en a est bien ancrée dans un certain nombre de clichés. C’est assez triste car ce n’est pas une période de récession et elle n’est pas sans richesse non plus. Aujourd’hui, on cherche aussi à se réapproprier le terme « Moyen Âge » pour tenter de lui retirer ce côté péjoratif et l’idée que c’est un âge moyen coincé avant la Renaissance, période qui aurait résolu tous les problèmes de façon magique… Ce qui est c’est faux : la Renaissance a commencé à l’époque médiévale et s’inscrit dans sa continuité.
« Il faut nuancer l’image d’un Moyen Âge entièrement homophobe qui brûle tous les sodomites, c’est faux »
Pour étayer, je vais m’appuyer sur le livre d’Actuel Moyen Âge et leur chapitre « Sexualités » car ma spécialité est plutôt l’histoire des animaux. Globalement, la vision générale d’un Moyen Âge homophobe, intolérant, etc, est à nuancer. En effet, l’homosexualité est condamnée en théorie seulement les poursuites sont inégales selon les espaces et les périodes. Elles se développent surtout à la fin de la période, en particulier au XVe siècle. Les relations homme-homme sont moins bien vues que les relations femme-femme, la position passive est considérée comme déshonorante mais tolérable pour une femme, pas pour un homme. Seulement, la condamnation des relations homosexuelles dans les textes et dans les tribunaux ne signifie pas qu’elles n’existent plus, au contraire. À la page 56, la question est bien résumée avec cette citation : « Le Moyen Âge a lui aussi su se détacher d’une norme sexuelle imposée par des impératifs religieux et sociaux pour accepter, voire dans certains cas promouvoir l’amour entre hommes ».
Il faut nuancer l’image d’un Moyen Âge entièrement homophobe qui brûle tous les sodomites, c’est faux. Pour ne pas dire ce genre d’âneries, il est nécessaire de s’intéresser aux documents dans un espace et une chronologie données pour voir la réalité de la répression textuelle, judiciaire, de l’époque et ne pas verser dans des stéréotypes inexacts.
Même pour qualifier les pires horreurs, les mots ont un sens
Il n’y a pas que les LGBTphobies qui ont tendance à être collées au cliché d’un Moyen Âge profondément obscur. Il y a aussi la question de l’avortement, par exemple. Dès qu’on parle de restreindre ce droit, il y a forcément une comparaison avec le Moyen Âge au tournant, de la part de personnes qui n’y connaissent rien. On s’en prend à l’époque médiévale parce que c’est un lieu commun reconnu par presque tou.te.s mais rappel, l’avortement n’était pas autorisé à l’époque des Lumières ou même avant 1975 en France. Et puis, merci de ne pas oublier que cela reste une lutte aujourd’hui dans de nombreux pays, y compris le nôtre où avorter est parfois un parcours semé d’embûches.
En plus de mon blog, où je partage ces réflexions à contre-courant, j’aborde régulièrement ces questions sur Twitter. Le fil que j’ai posté sur Kaamelott et les blagues oppressives m’a récemment valu un beau déferlement de commentaires enragés. Juste parce que j’y expliquais que se servir du Moyen Âge comme argument pour défendre des blagues sexistes et homophobes est bancal car de toute façon, l’époque médiévale présentée dans la série n’est pas l’époque médiévale telle qu’elle a existé. J’y avais aussi ajouté que l’instrumentalisation de cette période à des fins positives ou négatives est épuisante car au final, tout le monde parle sans savoir alors que l’histoire a pour but d’expliquer et de déconstruire. Par ailleurs, des personnes restent ancrées dans leurs préjugés et refusent de remettre leur vision erronée en question, c’est dommage.
« Il faut dénoncer les assos type LMPT pour ce qu’elles sont, avec leur argumentaire oppressif visant à ruiner la vie de personnes qui ne demandent qu’à vivre la vie qu’elles désirent. Leurs discours sont LGBTphobes. Point. »
Il faut avouer que mes threads sont retweetés dans les sphères de chercheur.e.s en premier lieu, ainsi que dans celles de personnes déjà renseignées. Il m’arrive aussi d’avoir des réactions très enthousiastes lorsque je partage des choses insolites sur le Moyen Âge, ou sur le ton de l’humour comme des perles d’archives par exemple. Même si je sais que beaucoup de personnes, qui n’y connaissaient rien, ont changé de regard avec mon travail, il y a encore beaucoup à faire. Mais le message commence à passer j’ai l’impression. Cependant, une audience sur les réseaux sociaux aussi large soit elle a ses limites, je pense qu’il faut continuer à lutter en tant qu’historien.nes et intellectuel.les pour défendre le vrai Moyen Âge et refuser les approximations faciles ainsi que l’instrumentalisation de l’histoire.
Et ce n’est pas parce que les médiévistes aiment leur période qu’iels ne sont pas conscient.e.s de la réalité de ce qu’elle a été. Seulement, nous ne sommes pas des juges et surtout, nous allons voir les sources, nous lisons, nous remettons les choses dans leur contexte et nous expliquons. Que faire des personnes aux discours homophobes, lesbophobes, transphobes, biphobes sans le raccourci du Moyen Âge alors ? Je crois qu’il faut dénoncer les assos type LMPT pour ce qu’elles sont, avec leur argumentaire oppressif visant à ruiner la vie de personnes qui ne demandent qu’à vivre la vie qu’elles désirent. Leurs discours sont LGBTphobes. Point. Appelons un chat un chat. Et laissons le Moyen Âge tranquille !
Propos recueillis par Olga Volfson
Pour en apprendre plus sur le Moyen Âge, Bérangère recommande ces ressources :
- Le blog Actuel Moyen Âge (plus particulièrement le chapitre « Sexualités » sur ce sujet)
- En anglais, le site medievalists.net,
- Les livres La civilisation de l’occident médiéval de Jacques le Goff et Pour en finir avec le Moyen Âge de Régine Pernoud,
- Le podcast : Passion médiévistes,
- L’émission La Fabrique de l’Histoire sur France Culture.
- Autoritariste, collabo, antisémite... Pétain était aussi homophobe
- « Et si après Les Couples imaginaires, on montrait enfin de vrais couples ? »
- Marine Le Pen s'est trompée, Jeanne d'Arc est en fait une icône queer
- « Monsieur Corbière, vos propos falsifient la réalité de l’homophobie »
- « C'est possible de reprendre notre place dans l'espace public et dans l'univers du jeu vidéo ! »
-
phil86
Merci pour ces rappels utiles. Le moyen age fut aussi une période de lumières.