400 euros la veste « fagg*t » : Diesel en roue libre sur l'autoroute du pinkwashing
Le bomber fait partie de la collection « #DieselHateCouture », qui reverse les fonds à une asso LGBT+, mais il ne fait pas l'unanimité pour autant.
« Plus tu portes ce qu’on te reproche, moins ça t’importe », précise brièvement le descriptif de la veste sur le site de Diesel, juste avant les détails de sa fabrication et les conseils d’entretien. Sur le bomber noir griffé de la marque italienne on peut lire en grosses lettres de peinture blanche « fagg*t », soit « pédale ».
Là où l’on aurait aimé pouvoir saluer la réappropriation de l’insulte, longue tradition de résilience pour les membres de la contre-allée face à la norme hétérosexualiste, on remarque surtout l’étiquette de l’objet, qui indique la modique somme de 400 euros.
Si l’initiative aurait tout aussi bien pu être critiquée pour un vêtement à 20 euros produit en masse pour une marque de grande distribution, là, c’est l’indécence du procédé qui nous pique les yeux. Il faut dire que se réapproprier à la fois les codes de la lutte contre l’homophobie et ceux de la culture punk du DIY à des fins commerciales est vraiment culotté, c’est ce à quoi on reconnaît le pinkwashing.
Un pinkwashing bien intentionné ?
Pire encore, cette opération commerciale est en fait un coup de com’… raté. Le mot faggot aurait en fait été choisi par l’acteur ouvertement gay Tommy Dorfman, que l’on a pu découvrir dans la série 13 Reasons Why, pour une campagne de la marque contre le harcèlement en ligne désignée par le jeu de mots « #DieselHateCouture ». D’ailleurs, a précisé ce dernier sur Twitter, tous les bénéfices de la vente de ce bomber seront reversés au centre Ali Forney de New York, refuge pour les jeunes personnes LGBTQ+. Pourquoi alors ne pas en faire directement la promotion sur le site, expliquer la démarche ? Rien, de la page dédiée à la douloureuse étape du panier, ne l’explique sur le site de vente en ligne.
En 2017, Diesel avait déjà souhaité faire un clin d’œil appuyé à sa clientèle queer avec la campagne « Make Love Not Walls » réalisée par David LaChapelle, faisant un pied de nez à l’administration de Donald Trump. En réaction à cette polémique, qui a commencé à enfler sur les réseaux sociaux en octobre, Diesel a publié un communiqué de presse : « Notre but a toujours été de faire perdre en pouvoir les personnes qui suscitent la haine et propagent de la négativité », réaffirmant l’importance de sa collaboration avec Tommy Dorfman.
Certes, à 400 euros le blouson et déjà une rupture de stock dans cinq tailles sur sept disponibles, les sommes récoltées seront significatives pour l’Ali Forney Center. Mais il est légitime de s’interroger sur l’accessibilité d’un tel objet, pensé comme vecteur d’empouvoirment, pour les premiers concernés chez qui la discrimination à l’embauche est une réalité, par exemple. Il est donc tout aussi pertinent de se demander quel sera le nombre d’hétéros qui pavoiseront avec cet accessoire de mode, se sentant pousser les ailes d’utiliser des insultes homophobes sans craindre de se faire taper sur les doigts car ils auront fait une bonne action.
« Je ne crois pas que ce soit à Diesel de réclamer ce mot pour notre communauté », a commenté l’auteur américain Phil Stamper. Interviewé par Mic, l’auteur gay a développé sa réflexion : « Je ne suis pas là pour décider de comment les communautés marginalisées ont a utiliser le mot pédale, ni même leur fournir un guide à cet effet. Mais une entreprise n’a pas à diriger cette démarche ».
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