« Bohemian Rhapsody », la bisexualité de Freddie Mercury, ce douloureux problème
En voulant raconter le parcours hors du commun du groupe légendaire Queen, "Bohemian Rhapsody" invente le « closet biopic », négligeant la bisexualité de son héros, Freddie Mercury. Malgré son incarnation impeccable, Rami Malek ne sauve pas ce film idéologiquement douteux du naufrage.
13 juillet 1985. Freddie Mercury tousse dans son lit, se lève et coupe quelques poils pour discipliner sa légendaire moustache. C’est le jour de l’énorme concert Live Aid à Wembley (et simultanément à Philadelphie), organisé par le chanteur irlandais Bob Geldof pour sauver l’Éthiopie de la famine. Marcel blanc et jeans moulants, ceinture cloutée argent et bracelet de force assorti sur le biceps, Mercury est de dos, prêt à pénétrer l’arène pour ce concert qui marque les grandes retrouvailles avec les membres de Queen. Bohemian Rhapsody se construit après cette scène inaugurale comme un long flashback des débuts de Farrokh Bulsara, jeune homme d’origine parsi à la dentition proéminente, bagagiste à l’aéroport d’Heathrow qui trouve, grâce au groupe Smile, l’occasion de faire éclater au grand jour son don pour l’écriture et le chant.
Le simple fait que ce moment particulier soit choisi pour être le pivot central de ce biopic est extrêmement révélateur des intentions assez problématiques de Bohemian Rhapsody. Et notamment de la mainmise des anciens membres du groupe sur ce projet et qui ignore volontairement les dernières années de carrière solo du chanteur. En 2010, Sacha Baron Cohen, pressenti à l’origine pour incarner Mercury, avait claqué la porte, sentant bien que les musiciens de Queen allaient dénaturer le film (et la réalité historique) en cherchant notamment à gommer la bisexualité et la séropositivité de leur leader pour se concentrer sur une vision très mainstream de l’histoire du groupe légendaire.
Démons intérieurs
Pour le coup, le créateur de Borat a été clairvoyant. Après avoir considéré que le comédien britannique Ben Whishaw serait le Freddie Mercury idéal, la production s’est ravisée pour engager Bryan Singer (Usual Suspects, X-Men) à la réalisation et le comédien américain d’origine égyptienne Rami Malek, découvert dans la série Mr Robot, dans le rôle principal. Et si, entre temps, Singer a quitté le tournage, il reste le réalisateur crédité au générique de ce film ni fait ni à faire. Que Bohemian Rhapsody insiste sur la relation particulière entre Mercury et Mary Austin qui partagera sa vie de 1970 à 1974 n’est pas déshonorant puisqu’elle fera partie intégrante de la vie de la star jusqu’à la fin. Qu’il en fasse sa seule relation amoureuse et charnelle heureuse est une autre histoire. Il est montré pendant tout le film comme un homme pourchassé par ses démons intérieurs et son boyfriend et manager, Paul Prenter, apparaît comme un manipulateur, un « serpent » qui l’entraîne vers la débauche (alcool, drogues mais aussi de fréquentes « frasques sexuelles avec des hommes », évoqués sans jamais être montrées) et aurait eu le contrôle sur ses relations avec ses proches et les membres de Queen. Si, il faut en convenir, la relation de près de dix ans entre les deux hommes s’est terminée par une trahison, le portrait est manifestement à charge. Paul Prenter fait office, à lui tout seul, de représentation de la dark side de Mercury et devient le méchant du film selon des codes cinématographiques bien manichéens. D’ailleurs, de cette histoire d’amour, rien ne sera jamais montré si ce n’est un baiser furtif et volé (par Paul le méchant) avant qu’ils ne deviennent proches.
Point de vue orienté, règlements de compte déguisés, shaming sur les relations homosexuelles du héros, Bohemian Rhapsody aura du mal à convaincre les initiés.
Juste un baiser
Un baiser, c’est la seule proximité avec un homme qu’on verra de la vie de Freddie Mercury dans ce film qui sous-entend des « plan culs » épisodiques d’une façon discutable : un échange de regard avec un routier dans une station service américaine par ci, la présence d’un éphèbe brésilien dans une chambre d’hôtel à Rio par là, sont censés suffire sur le mode du « comprenne qui pourra ». Même la relation, moins conflictuelle, du chanteur avec Jim Hutton qui partagera les sept dernières années de sa vie ne trouvera sa matérialisation que dans un seul et unique baiser rapide. Et que dire des rares évocations de la séropositivité du chanteur, expédiées avec une pudeur extrême ?
Point de vue orienté, règlements de compte déguisés, shaming sur les relations homosexuelles du héros, Bohemian Rhapsody aura du mal à convaincre les initiés. Et que dire de cette fausse bonne idée de recréer, pour clore le film, la vingtaine de minutes du live de Wembley en playback alors que les images existent et qu’elles se seraient suffi à elles-mêmes. Émergent de ces 2h15 laborieuses, les scènes autour de la genèse du titre opératique et décalé Bohemian Rhapsody, la participation drôlatique de Mike Meyers qui incarne Ray Foster, premier producteur de Queen, et adresse au passage un clin d’œil savoureux aux fans de Wayne’s World et, bien sûr, le comédien Rami Malek qui s’est glissé dans les apparats de l’icône avec justesse et engagement. C’est trop peu.
Bohemian Rhapsody
Réalisation : Bryan Singer
Biopic – Etats-Unis – 2h15
Distribution : Rami Malek, Lucy Boynton, Gwilym Lee, Ben Hardy, Joe Mazzello, Aidan Gillen, Tom Hollander et Mike Myers
En salles le 31 octobre
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epikouros
Fan de QUEEN depuis toujours, j’ai été voir le film… à reculons. Mais j’avoue y avoir pris beaucoup de plaisir, éprouvé maints frissons, ne voyant pas, comme votre citrique, uniquement le “problème gay” par le petit bout de notre lorgnette arc-en-ciel. Bien sûr, il y a quelques inexactitudes historiques, quelques maladresses, mais l’ensemble est dynamique, électrisant, parfois émouvant. Et le jeune acteur d’origine égyptienne (que j’avais découvert et apprécié dans “Papillon”), malgré sa prothèse dentaire exagérée, incarne magnifiquement le fascinant et troublant Freddie. J’ajoute que j’ai apprécié la pudeur concernant les aventures du chanteur, pour ne pas dire ses frasques ; ainsi que son amour pour la blonde Mary et son compagnons (décédé également du sida en 2010) ainsi que les ravages du sida. Un frôlement… un baiser… un couloir d’hôpital m’ont suffi. Fallait-il donc en faire des tonnes à l’écran pour évoquer une fois encore “notre” problématique, nous rejouer 120 battements non-stop ? Non, décidément non, ce n’était pas le propos de ce Biopic et je ne comprends pas vos réserves, votre parti-pris idéologique, à mon avis respectable mais tout à fait à côté de la plaque. Bien sûr, pour moi qui vais 4 à 5 fois au cinéma par semaine, ce film ne restera pas dans les annales du 7e art. Mais en tant que fan du groupe, no problem : c’est super ! Et le coming-out de Freddie, franchement, ce n’était (ce n’est) ni mon affaire hier ni mon problème aujourd’hui.