3 questions à Lil, activiste intersexe sur les réseaux sociaux

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« Le bon intersexe, il est censé se taire, rester passif face à ce qu’on lui fait et accepter les choix qu’on a fait pour lui »

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3 questions à Lil, activiste intersexe sur les réseaux sociaux - Aleks_Shutter / Shutterstock

Lil est un.e militant.e intersexe aussi bien sur le terrain que sur la toile, via les réseaux sociaux. Une visibilité comme la sienne demeure rare, malgré le fait que la thématique intersexe semble gagner du terrain dans les médias généralistes – grâce aux concerné.e.s qui se démènent pour être entendu.e.s sur leurs revendications – mais qui peut aussi s’avérer particulièrement lourde à porter, par moments. Lil nous explique pourquoi.

Komitid : Pourquoi avoir choisi de parler de l’intersexuation à la première personne sur Twitter ?

Lil : J’ai choisi de parler de l’intersexuation sur les réseaux sociaux pour donner de la visibilité à la lutte des personnes intersexes pour la fin des mutilations, des discriminations et pour le droit à l’autodétermination. J’ai voulu le faire à la première personne pour me réapproprier mon intersexuation. Le bon intersexe, il est censé se taire, rester passif face à ce qu’on lui fait et accepter les choix qu’on a faits pour lui. On attend pas d’un intersexe qu’il donne son avis et encore moins qu’il conteste. Dire publiquement « je suis intersexe et je ne suis pas d’accord », ça a l’air dérisoire, mais dans l’état actuel des choses, c’est déjà commencer à lutter.

« Le bon intersexe, il est censé se taire, rester passif face à ce qu’on lui fait et accepter les choix qu’on a faits pour lui »

C’est aussi une manière de me défaire de la honte que le corps médical à voulu m’inculquer. J’utilise twitter pour faire de la pédagogie vers les personnes dyadiques (personnes non-intersexes, ndlr), notamment à destination des personnes qui se veulent alliées de la cause intersexe. Je l’utilise aussi comme un exutoire quand je rencontre des situations d’intersexophobie. C’est autant une manière de témoigner, de permettre aux gens de se rendre compte de ce que l’on vit, qu’une manière de lâcher mes nerfs, et de balancer toute la colère que je peux pas, ou que j’ose pas, exprimer « dans la vraie vie ». Évidemment, j’en profite aussi pour relayer les camarades intersexes et les actions du Collectif Intersexes et Allié.e.s, dont je suis membre.

Ressentez-vous une évolution de la part des personnes dyadiques, LGBT+ ou non, sur les questions intersexes ces derniers temps ?

Les dyadiques commencent doucement à apprendre notre existence. Je présume que c’est un début d’évolution. On est encore loin d’un franc respect et d’une compréhension de nos vécus et de nos luttes, clairement. À chaque fois que j’utilise le mot intersexe dans un tweet qui sort de mes followers direct, il y a des gens pour venir demander ce que c’est, en public ou en message privé. Il y a des gens qui ne savent simplement pas, mais qui vont quand même venir donner leur avis, avis pas du tout pertinent vu qu’ils ne savent absolument pas de quoi ils parlent.

« Le fait qu’on soit un peu plus visible, ça a des retombées un peu perverses »

Le fait qu’on soit un peu plus visible, ça a des retombées un peu perverses. Il y a ceux qui veulent être de bons alliés, mais qui ne savent pas comment parler de nous, qui ont l’image du bébé mutilé qui peut pas se défendre tout seul et qui du coup envahissent l’espace sans imaginer qu’ils pourraient se contenter de relayer la parole des intersexes qui sont les seuls experts légitimes de l’intersexuation. Il y a ceux qui trouvent que c’est trop fascinant, et qui ont une curiosité plus que déplacée sur nos anatomies, à la limite d’échanger les variations qu’ils connaissent comme des cartes Pokémon, c’est gênant. Il y aussi ceux qui, LGBTQIphobes à la base, rejettent en bloc l’idée même de l’intersexuation et se rangent instinctivement du côté des médecins, en utilisant un vocabulaire déshumanisant et pathologisant. Et puis il y a ceux qui instrumentalisent l’intersexuation pour défendre leurs propos transphobes ou homophobes. C’est compliqué, parce qu’il faut gérer tout ça, mais en même temps, il y a plein de gens de bonne foi qui découvrent l’intersexuation et se montrent ouverts.

«  Au sein de la communauté LGBTQI+, il y a encore du chemin à faire »

Au sein de la communauté LGBTQI+, il y a encore du chemin à faire. Déjà, rien que pour avoir droit de cité dans le sigle, rajouter ce fichu I, j’ai l’impression qu’on demande un truc énorme. En Pride pareil, on se sent très vite seul.e.s. Mais j’ai l’impression que ça avance, petit à petit. La campagne pour la fin des mutilations du Collectif Intersexes et Allié.e.s a été pas mal relayée : on a recueilli plus de 24 000 signatures sur la pétition, les choses bougent et c’est chouette.

Qu’est-ce que cette exposition militante vous coûte ?

Du temps et de l’énergie. C’est fatigant de répéter sans cesse les mêmes choses en ayant l’impression de pas être entendu.e.s. Et c’est d’autant plus fatigant de justifier son existence, sans cesse. Il y a des gens qui se pointent, ils ne croient juste pas à l’existence des personnes intersexes. C’est étrange comme sensation, j’ai envie de leur prouver que j’existe mais c’est incroyable de devoir sortir des articles scientifiques pour prouver son existence. Je crois que les dyadiques se rendent pas compte de ça. C’est comme si un mec se retrouvait tout à coup entouré de meufs qui ne savent juste pas que les mecs existent. Ça sonne comme un scénario de SF tout pété, mais ce sont nos vies !

« C’est incroyable de devoir sortir des articles scientifiques pour prouver son existence »

J’ai du mal à lâcher prise quand des gens sont hostiles, irrespectueux ou insultants. J’ai du mal à lâcher mon clavier et je ressors éreinté.e de conversations stériles dans lesquelles mon interlocuteur aura pas bougé d’un pouce. Il y a quelque chose d’assez paradoxal à vouloir afficher sa colère tout en ménageant ses interlocuteurs pour faire passer un minimum de messages. Ça réclame de la solidité.

Ensuite il y a la lie de l’humanité. Ceux qui viennent dans les messages privés avec de faux comptes pour insulter, menacer de mort… À la limite c’est plus facile à gérer, parce qu’on est tellement dans de l’absurde qu’il y a rien à répondre à part du mépris. Mais malgré tout, c’est éprouvant. Même en essayant de mettre de la distance et de pas se laisser atteindre, ça reste choquant de recevoir cette violence.