3 questions à Joé Desjardins, agriculteur québécois et président de Fierté Agricole
« Être agriculteur LGBT veut dire que quand on parle d'homophobie, c’est soit vraiment mieux qu’en ville, soit extrêmement pire. »
Si le film Seule la terre nous a appris quelque chose, c’est qu’être un agriculteur gay peut être un exercice parfois solitaire et compliqué à gérer. C’est exactement pour cette raison que s’est créée l’association Fierté Agricole il y a dix ans au Québec. L’idée, simple, est de réunir les agriculteurs et agricultrices LGBT+, d’améliorer leur visibilité et d’informer le reste de la communauté rurale sur ces questions. Au Québec, comme en France, le taux de suicide des agriculteurs et agricultrices est deux fois plus élevé que celui de la population générale. Joé Desjardins, l’actuel président de l’association et gérant d’un troupeau laitier à la Ferme M&M Desrochers à Lotbinière revient pour Komitid sur son combat.
Komitid : Comment est née l’association Fierté Agricole ?
Joé Desjardins : Dans le fond, on est parti du besoin des personnes qui appellent le service d’écoute dédié aux agriculteurs ayant des problèmes ou des détresses psychologiques. On le voit aussi en France où il y a un taux de suicide élevé chez les producteurs. Et on cherche à éviter ça. Un jour, un homme a appelé ce service d’aide parce qu’il était gay. Il avait quitté la grande ville pour acheter une ferme avec son conjoint. Et puis son conjoint est mort, il s’est retrouvé dans une ville qu’il ne connaissait pas et donc extrêmement isolé. Et là, son interlocutrice a organisé un souper avec d’autres agriculteurs gays. C’est là qu’est née Fierté Agricole.
Nous, on a trois grands objectifs : regrouper les personnes LGBT+ qui sont rurales et promouvoir l’agriculture auprès de la communauté LGBT+ urbaine. Nous voulons montrer que oui, il y a des agriculteurs gays. On répond aux questions et nous aidons les urbains à connaître l’agriculture. Et ils se disent, mon panier de légumes, je vais l’acheter chez tel ou tel cook (agriculteur, ndlr), comme ça, je soutiens un LGBT+. Et notre troisième but, c’est de sensibiliser le monde rural aux questions LGBT+. On peut avoir des familles qui ont beaucoup de questions, certaines personnes ne pensent même pas que le mariage est légal entre personnes de même sexe. On est vraiment là pour les sensibiliser et briser les préjugés, comme ça, si un employé arrive à la ferme et est LGBT+, ou un enfant, ils seront conscientisés.
Quel est le plus gros problème auquel font face les agriculteurs LGBT+ ?
C’est d’abord la solitude qui est vécue par tous les agriculteurs. Nous, on a une double casquette, si on veut. Il faut dire que la communauté est très souvent urbaine, les organismes et les bars sont là-bas. Se rendre à Montréal prend trois heures, ce qui veut dire que c’est difficile de sociabiliser.
« L’été, quand il fait 30 degrés de soleil, on ne va pas à la plage : pour nous, c’est deux fois plus de travail »
La vie LGBT+ en milieu urbain n’est pas la même qu’en milieu agricole. L’été, quand il fait 30 degrés de soleil, on ne va pas à la plage : pour nous, c’est deux fois plus de travail. Les amitiés, les couples qui se font entre urbains et agriculteurs, c’est parfois compliqué, parce qu’il y a un manque de compréhension. Par exemple, un agriculteur a été obligé de travailler double pour pouvoir passer quelques jours de vacances avec son conjoint. Et puis le fait de pouvoir parler de certains sujets comme le coming out nous fait du bien. Avec des agriculteurs hétéros, parfois, on se sent moins à l’aise.
Diriez-vous qu’il y a plus d’homophobie dans les campagnes québécoises qu’en ville ?
On a fait un colloque le 15 février dernier avec l’idée d’informer le monde rural sur les réalités LGBT+. En parlant d’homophobie, qu’est-ce qu’on voit quand on regarde le monde urbain versus le monde rural ? La différence, c’est l’anonymat.
En ville, on recherche l’anonymat, il y a comme une barrière. En milieu rural, le système fait que la famille est très importante. Si la famille supporte un agriculteur, le soutien est très très fort. Il va être plus accompagné que quelqu’un qui vit en ville. Par contre, quand la famille et la communauté ne supportent pas la personne, c’est l’inverse, c’est le village qui est contre toi. C’est soit vraiment mieux qu’en ville, soit extrêmement pire.