La fin des Marguerite, Duras et Yourcenar

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Deux livres racontent la fin des Marguerite, Duras et Yourcenar, grandes figures de la littérature française du XXe siècle qui vécurent la même aventure, ou mésaventure : une relation avec un homme plus jeune et homosexuel.

montage deux couvertures de livres sur fond de bibliothèque
photo d'illustration shutterstock

Le Dernier Secret de Marguerite Duras d’Alain Vircondelet (Éditions Écriture) raconte comment elle rencontra en 1980 Yann Lemée, qu’elle rebaptisa Yann Andrea. Elle avait 66 ans, lui 27.

Un autre m’attend ailleurs de Christophe Bigot, (Éditions de La Martinière), publié en août, narre la relation à partir de 1978 entre Marguerite Yourcenar, alors âgée de 75 ans, et Jerry Wilson, 29 ans.

Les deux romancières « ont peu en commun, à part le prénom », estime Christophe Bigot, interrogé par l’AFP. « On les a même souvent opposées : dans le milieu des lettres, il fallait être pour l’une ou pour l’autre ».

Duras (1913-1996) a grandi en Indochine française, est devenue communiste et anticolonialiste, a beaucoup expérimenté en approchant, entre autres, le Nouveau Roman, et a fini sa vie à Paris. Yourcenar (1903-1987), après sa jeunesse en Flandre française, est partie aux États-Unis en 1939 pour ne plus en revenir que ponctuellement, et incarne un certain classicisme du style, avec une fascination pour l’Antiquité et la Renaissance.

Violences

Duras a triomphé avec le Goncourt 1984 pour L’Amant, succès de librairie qui, raconte son biographe, est une « revanche » posthume pour sa mère, ruinée par l’attribution de terres régulièrement inondées par l’eau de mer.

La postérité de Yourcenar doit beaucoup à son élection à l’Académie française en 1980, la première pour une femme. Si elle apprécie cet honneur, on la verra rarement sous la Coupole.

Indéfinissables relations que celles des Marguerite avec Yann et avec Jerry. Ils firent office de secrétaires. Yann Andréa plus efficacement, car il admirait et connaissait extrêmement bien l’oeuvre de Duras. Jerry Wilson, photographe américain, fut surtout agent de voyages, pour une Yourcenar avide de parcourir l’Europe, l’Asie et l’Afrique.

En privé, ce furent des années orageuses pour les deux femmes. Durant lesquelles elles accueillent avec joie un homme qui les fascine. Durant lesquelles cet homme se rendra coupable de violences, verbales et physiques, que racontent les deux auteurs. Et entre-temps, l’alcool et la drogue ont tenu une place démesurée.

« Le dernier secret » pour Duras, estime Alain Vircondelet, c’est l’homosexualité. À 77 ans, cet universitaire, qui a consacré son premier livre dès 1972 à Duras, a vu de ses yeux Yann Andréa couper l’autrice de Moderato cantabile du reste de son entourage, sans que ce huis clos permette qu’elle comprenne son compagnon.

« Elle a pensé qu’elle pourrait le convertir, qu’elle serait suffisamment forte pour qu’il devienne hétérosexuel. Ce qui, évidemment, était impossible », explique-t-il. « Tous les hommes de sa vie, elle les abandonne. Le seul qu’elle n’abandonne pas, c’est Yann Andrea. Mais elle en fait son objet. On est là dans une histoire qui est, je dirais, à la pointe la plus acérée de la mystique de l’amour ».

« Monstre sacré »

Christophe Bigot, 48 ans, est trop jeune pour avoir vu Yourcenar avec Jerry Wilson. Mais, assure-t-il, Yannick Guillou, éditeur qui la connut très bien et était présent au moment de sa mort, a commenté : « C’est exactement ça ».

« Le pari que je fais, c’est qu’en la montrant aussi dans ses zones d’ombre, ses failles, sa vulnérabilité, on la rapproche des lecteurs. La certitude que j’avais était qu’elle descendrait de son piédestal peut-être, mais qu’en même temps on aurait envie de la prendre par l’épaule et de lui faire un gros câlin », estime l’écrivain.

L’homosexualité n’était pas un continent inconnu pour Yourcenar, qui lui avait consacré son premier roman, dès 1929. Un demi-siècle plus tard, alors que le sujet la passionne toujours, son immense aura littéraire l’a fait presque oublier.

« Il y a un côté monstre sacré. Et moi, je sentais cet aspect beaucoup plus irrévérencieux, beaucoup plus pétillant, parfois drôle, avec aussi quelque chose de plus pathétique », d’après Christophe Bigot.

Alain Vircondelet Le dernier secret de Marguerite Duras – Éditions Ecriture, 352 p., 22 €

Christophe Bigot Un autre m’attend ailleurs – Éditions de La Martinière, 304 p., 20 €

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