Sur la glace des Gay Games, ancienne et nouvelle génération mettent le feu
Laura Moore, sportive lesbienne à qui l'on doit l'entrée du patinage artistique aux épreuves des Gay Games en 1994, a raconté à Komitid son parcours, et la fierté qu'elle éprouvait à voir la jeune génération s'en emparer.
Après un début de semaine chargé chez les patineurs et patineuses en lice pour l’or aux épreuves de patinage artistique des Gay Games, le mercredi 8 août marque le dernier jour de la compétition, avant le gala de clôture du lendemain. Durant l’après-midi, les performances s’enchaînent pour déterminer quel glorieux métal ornera la fier poitrail des athlètes monté.e.s sur patins plus tard dans la soirée.
Venu.e.s principalement d’Allemagne et des Etats-Unis, ces danseurs et danseuses sur glace sont de toutes corpulences, tous âges différents et tous niveaux. Dans les gradins de l’Aren’Ice de Cergy Pontoise, co-compétiteurs et compétitrices, ami.e.s et adeptes de patinage sur glace ayant fait le déplacement pour la journée encouragent tout autant – si ce n’est plus – les numéros parsemés de quelques légers couacs que les performances millimétrées.
La Contre-Allée On Ice ne laisse personne de glace
Tandis que les performances solo s’enchaînent au rythme de grand classiques, empruntés notamment à Disney comme L’air du vent et Chem cheminée (nous sommes définitivement aux Gay Games), le public se love dans des ses pulls et couvertures. C’est le milieu d’après midi et certain.e.s sont là depuis les aurores pour la répétition et les épreuves de danses imposées, il est bientôt 16h et le froid commence à gagner la salle. La pause resurfaçage de la patinoire est attendue comme le messie par l’assistance, qui se rue dans la partie à température ambiante du bâtiment afin de profiter d’une boisson chaude, au bar.
Après les derniers passages en solo vient le tour des couples sur une surface à nouveau aussi lisse que celle d’un miroir. Duos d’hommes, duos de femmes, et même duos mixtes… douceur et passion enflamment à présent tous les cœurs de l’auditoire malgré les températures hivernales qui règnent dans la bâtiment, en grand contraste avec l’été qui brûle au-dehors.
Parmi ces performances, tantôt douces tantôt endiablées, un numéro retient particulièrement l’attention. Christian Erwin et Joel Dear ont préparé une danse inoubliable sur When We Were Young d’Adele. Patinant avec une grâce inouïe et une complicité des plus palpables, les deux athlètes new-yorkais ont imposé – avec autant de légèreté que leurs pas sur la glace – un silence quasi-religieux dans l’enceinte sportive. Et si les juges ont, elles et lui aussi, applaudi chaque performance de la journée… ce duo là a eu le droit à une véritable standing ovation de leur part.
Ce numéro, ils le répètent depuis mars 2017 (tous deux membres de la troupe de l’Ice Theater de New York), mais ne se sont inscrits à leur tous premiers Gay Games que six mois avant l’échéance.
« Ma dernière compétition était en 2008 », raconte Joel Dear. « Là, j’avais envie de revenir mais de me permettre d’être plus dans l’émotion que dans la compétition ». Un pari réussi pour l’artiste puisque Paige C. Scott, l’une des trois juges présent.e.s sur la compétition, venue de San Francisco pour l’occasion, a nous a confié sur le trajet du retour vers la capitale que la danse de ce couple « l’avait fait pleurer ».
Les émotions avant la compétition
Ce que raconte Joel Dear sur l’émoi qui prime sur la gloire est bien présent, tangible même, dans l’air frais de la patinoire. Son partenaire Christian Erwin a exprimé à Komitid toute sa joie de prendre part à cet événement sportif et queer parisien : « Nous avons fait plein de superbes rencontres pendant ce ce séjour ! Le comité est adorable, aux petits soins, aussi, et surtout le public est vraiment au top, je suis très touché par tout ce qu’il se passe ici ».
« Je ne t’ai jamais vu prendre autant de plaisir à patiner »
Un simple tour d’horizon aux abords de l’arène glacée confirme bien cette impression. Les patineurs et patineuses s’encouragent mutuellement avec un enthousiasme authentique, et contagieux. « Je ne t’ai jamais vu prendre autant de plaisir à patiner que là », dit l’une des participant.e.s à l’un des membres de son équipe, un sincère sourire dans la voix. En sortant de piste, un duo de patineuses de Düsseldorf est cueilli par un photographe allemand qui les félicite pour leur performance avant de leur faire un câlin. Les compliments sur les accomplissements physiques, les costumes et le maquillage fusent en permanence entre chaque passage sur la glace.
Et tandis que les derniers numéros à deux gravent d’impressionnantes arabesques dans la glace, les danses en groupe qui clôtureront la compétition se préparent. Un groupe de patineurs et patineuses de San Francisco peaufine le décor de son numéro à venir et mobilise toutes les bonnes volontés, et les chaises, dans de grands éclats de rire, pour faire tenir la photo d’une maison bleue sur les cages de hockey sur glace empruntées à la réserve (oui, ce groupe a patiné sur le célèbre tube de Maxime Le Forestier).
En quelques jours à peine, tout ce petit monde a tissé de vrais liens d’amitié. Et cela se ressent complètement sur l’atmosphère de la compétition, qui ressemble plus à une célébration de toutes les personnes présentes qu’à un affrontement sportif mené d’une main de fer. Au moment de remettre les médailles, le maître de cérémonie ne met pas de musique, ce qui soulève des questions, mais pas bien longtemps, puisque les cris de joie et félicitations font trembler les murs de la patinoire, entre deux selfies et autres photos souvenir.
Malgré toute la minutie des organisateurs, un des patineurs s’est en fin de compte retrouvé avec une médaille d’argent au lieu du bronze qu’il avait récolté. « Tu veux ta vraie médaille, ou tu veux garder celle-là ? », demande un des bénévoles au patineur en question, sourire en coin. « Ah non non, je vais garder celle-là, elle me va bien », rétorque celui-ci, hilare. Sur les podiums, les numéros 1 font monter leurs camarades de la seconde et de la troisième place avec elles et eux, prennent des poses festives. Ce n’est ni solennel – ni même très bien organisé – mais cette cérémonie de la victoire des médailles rayonne d’une joie terriblement communicative.
Âge de glace : canal historique et reprise du flambeau aux Gay Games
Parmi les patineurs et les patineuses présent.e.s sur ces Gay Games 2018 se trouve Laura Moore, dans une flamboyante robe arc-en-ciel. Son nom ne vous est pas familier ? Il devrait pourtant l’être, ont assuré Christian Erwin et Joel Dear, pleins d’admiration. La sexagénaire qui sourit à pleine dentition, deux médailles d’or autour du cou, a raconté à Komitid comment elle a réussi à faire entrer le patinage sur glace aux épreuves des Gay Games… en 1994.
« Au début des années 90, j’étais dans ma jeune trentaine, je commençais tout juste à patiner et je venais de faire mon coming out… et j’ai appris qu’il y aurait les Gay Games à New York. Je me suis dit que c’était magique », raconte Laura Moore. « Je voulais absolument patiner avec une femme, alors j’ai contacté les bénévoles en charge de l’organisation ».
« Le truc des lesbiennes, c’est plutôt le softball ou le bowling, non ? »
La réponse reçue alors par la patineuse en herbe fraîchement sortie du placard n’étonnera hélas pas les femmes LBT+ : « Le truc des lesbiennes, c’est plutôt le softball ou le bowling, non ? ». Ne se laissant pas démonter, elle a argué : « Vous ne comprenez pas… Les gens vont vouloir payer pour voir des gays en spandex scintillant se soulever l’un l’autre sur la glace ! ». Le comité de direction des Gay Games lui a alors lancé le challenge de prouver ce qu’elle avançait… et elle l’a fait.
Laura Moore a donc contacté tous les patineurs et patineuses de la contre-allée qu’elle connaissait aux USA et au Canada. « Moi, alors encore seulement bébé patineuse, j’ai produit un show de patinage artistique gay, j’y ai mis 3 000 dollars de ma poche. Mais j’ai vendu de nombreux tickets, et le comité de direction, que j’avais invité, a dit oui au patinage sur glace aux Gay Games ! », raconte-t-elle avec bonheur et fierté, mais surtout beaucoup de détachement emprunt d’humilité.
« Je suis devenue la moitié du tout premier couple de patineuses au monde »
« J’ai fini par trouver une partenaire. Et en 1994, à 36 ans, je suis devenue la moitié du tout premier couple de patineuses au monde. » Depuis Laura Moore a intégré la fédération des Gay Games (après dix ans passés au comité de direction, elle est désormais en charge de la diversité et des bourses d’études), et n’a manqué qu’une seule édition, celle de Cologne, en 2010, entre son job, ses études et un déménagement.
Après une brève pause loin de la glace, elle a de nouveau enfilé ses patins pour un come back des plus flamboyants à l’âge de 57 ans, explique-telle, à « deux semaines et demi de ses 62 printemps ». Suivie par une caméra, Laura Moore sera (en compagnie de trois de ses acolytes new-yorkais) au centre d’un documentaire indépendant réalisé notamment par Jocelyn Glatzer, dont les précédents travaux ont déjà été nommés aux Oscars, d’ici 2020.
« Le plus grand accomplissement de ma vie c’est d’avoir fait entrer le patinage artistique aux Gay Games et de voir aujourd’hui les plus jeunes y participer »
« Le plus excitant pour moi durant ces dixièmes Gay Games, c’est de voir une nouvelle génération de patineurs et de patineuses faire leur coming out », conclut Laura Moore. « Le plus grand accomplissement de ma vie c’est d’avoir fait entrer le patinage artistique aux Gay Games et de voir aujourd’hui les plus jeunes y participer ».
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