Exposition du Patchwork des Noms aux Gay Games : « une sacrée revanche »
Du 4 au 10 août 2018, la mémoire des mort.e.s du sida s'expose à l'hôtel de ville de Paris, avec des patchworks venus des quatre coins de la planète à l'occasion des 10èmes Gay Games. Rencontre avec les militant.e.s acharné.e.s qui luttent pour préserver le souvenir.
Au fond du village des Gay Games, sur le parvis de l’hôtel de ville, à gauche de la scène principale, une porte s’ouvre vers le bâtiment de la mairie de Paris. Sur la droite, quelques marches nous emmènent vers une salle dédiée à l’exposition internationale du Patchwork des Noms (Names Project ou The Aids Memorial Quilt en anglais), répartis sur de grands rectangles blancs entre les colonnes de marbre. Cousus en mémoire des mort.e.s du sida par leurs proches, et ce depuis 1987, ils représentent aujourd’hui près de 85 000 noms à travers le monde, et donc plusieurs tonnes de tissus. C’est « la plus grande pièce d’art communautaire jamais crée », annonce la présentation powerpoint bilingue qui tourne en boucle à l’autre bout de la pièce.
Résonne en toile de fond une litanie de noms, ceux que l’on lit chaque année lors des cérémonies contre l’oubli, que ce soit le 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida, ou lors du festival Solidays. À l’entrée, Jean-Michel Gognet – président de l’association Les Amis du Patchwork des Noms – assure l’accueil des visiteurs et visiteuses en compagnie de deux camarades, Gert McMullin et Michael Kerr, venu.e.s spécialement des États-Unis pour les Gay Games. Il faut dire que l’exposition regroupe exceptionnellement des pièces créées aussi bien en France qu’aux États-Unis, dans les Caraïbes, en Hollande, en Espagne, au Bénin et en Italie. Le cadre officiel de l’endroit est à la hauteur de l’événement.
« Une sacrée revanche »
« Nous avons déjà eu 5 000 personnes depuis l’ouverture », se réjouit Jean-Michel Gognet. « C’est une sacrée revanche ! », commente-t-il à propos de cette installation hébergée au sein même de l’hôtel de ville. Il ajoute qu’avoir une « municipalité favorable » change vraiment la donne. « Le sida, les patchworks… c’est quelque chose qu’on ne montrait pas dans les années 80-90. Les institutions n’en voulaient pas, c’était difficile. Au États-Unis, c’est pas pareil, pas la même perception, ici ça a du mal à s’implanter. Et là depuis 5- 6 ans, on a un regard complètement différent. Je pense que les survivant.e.s ne voulaient plus en entendre parler, c’était la difficulté de faire le deuil du deuil. Et avec l’arrivée des trithérapies ça a changé la donne « sida = mort » n’était plus tout à fait le message qu’on voulait envoyer. Aujourd’hui on est plus sur la mémoire, même si on n’oublie pas le reste. »
Tandis que nous discutons, un vieil homme approche Jean-Michel, après avoir fait le tour de l’installation. C’est un Iranien qui a tout perdu en fuyant son pays, il s’est retrouvé à l’expo un peu par hasard. De part son histoire personnelle, manquant de souvenirs palpables auxquels se raccrocher, il a été instantanément touché par ces pièces de tissus et fait part de son émoi. C’est ça, la force du Patchwork des Noms.
Les faiseurs et faiseuses du souvenir
La plupart des personnes qui entrent dans la pièce le font avec la démarche du touriste qui flâne. Seul.e.s les habitué.e.s ont déjà une posture solennelle qui trahit un coeur lourd, mais rapidement les badauds sont saisi.e.s par la charge émotionnelle qui emplit l’atmosphère. Certain.e.s feront un tour en silence, regarderont la présentation animée, et repartiront sans piper mot, digérant l’expérience. D’autres auront besoin de communiquer. Et quelle chance ils et elles ont aujourd’hui : une des pionnières du projet est présente pour répondre à leurs questions ! En effet Gert McMullin, petite dame blonde trapue aux yeux bleus perçants, est venue d’Atlanta pour les Gay Games. C’est elle qui a cousu le second patchwork du projet, après que le fondateur du projet, Cleve Jones, ait travaillé sur le premier, en 1987.
« J’ai quitté mes deux jobs pour m’y consacrer pleinement »
« Mes amis étaient parmi les premiers à mourir. Notamment Roger Gail Lyon, celui qui a dit « je ne veux pas que mon épitaphe dise que je suis mort de la bureaucratie ». C’est le premier panneau que j’ai réalisé, pour lui. », raconte-t-elle. « Je devenais dingue, car personne ne voulait en parler. J’avais besoin de faire quelque chose… J’allais déjà rendre visite à des malades dans les hôpitaux, alors même que tout le monde portait encore des masques. Puis à une soirée, on m’a parlé de Cleve, je l’ai appelé, et c’est comme ça que j’ai commencé à m’investir dans le patchwork. Quatre mois plus tard, j’ai quitté mes deux jobs pour m’y consacrer pleinement. ». Trente et un an plus tard, elle est toujours au siège de l’asso américaine, où ils ne sont que trois bénévoles, pour une vingtaine en tout aux États-Unis, et continue d’assembler la plupart des patchworks. Aujourd’hui, l’association en stocke plus de 6 000, ce qui représente environ 60 tonnes de tissus et de souvenirs.
Contente de cette installation, précisant que « ce n’est pas toujours dans des espaces comme celui-ci » que sont exposées les oeuvres collectives, Gert McMullin s’étonne d’être toujours là, évoquant la première sortie des patchworks à Washington DC, le 17 octobre 1987. « D’une grande naïveté, nous pensions que ce serait le coup d’une fois, que nous allions sauver la planète. Mais il y avait tellement de personnes aux fenêtres de cet espace qu’on avait loué qui voulaient qu’on continue ! Au final ce n’était pas notre décision, ils et elles l’ont prise pour nous. J’aimerais pouvoir dire qu’on n’a plus besoin de ça aujourd’hui mais… c’est beau et laid à la fois. J’aime les patchworks et je les déteste en même temps, quelque part. ».
« Je l’ai fait parce que j’étais en colère »
En parlant des différents pays représentés sur les patchworks déployés pour l’expo, nous en venons à évoquer la vitesse alarmante à laquelle se propage le virus en Russie, où aucune prévention officielle ne tient la route, et où les droits des personnes LGBT+ subissent un retour en arrière sans précédent. « On est en plein dedans, le retour en arrière, avec Trump ! », lance-t-elle. « Et dans les années 80, le gouvernement n’a rien fait du tout. C’est nous qui avons tout fait ». Bouillonnant d’émotions, elle ajoute : « Moi, je l’ai fait parce que j’étais en colère, et je le suis toujours, depuis 30 ans. ET JE SUIS HÉTÉRO ! Mais ça me brise le coeur. » Michael Kerr, son comparse militant à la fois pour le Names Projet et pour Act Up New York plaisante pour détendre l’atmosphère : « Mais non, tu es un homme gay dans le corps d’une femme hétéro voyons ! ». Le duo rit de bon coeur.
Le Patchwork des Noms : partie intégrante des Gay Games
« Nous travaillons avec Brent Nicholson (militant LGBT+ américain passé par Act Up, membre honoraire à vie de la fédération des Gay Games, ndlr) depuis 1990 », raconte Gert Mc Mullin, devant le patchwork créé pour les Gay Games de 1990 à Vancouver. Il faut dire que le père des Gay Games Tom Waddell est mort du sida en 1987, peu de temps après la seconde édition de l’évenement sportif ouvert à tou.te.s.
Michael Kerr raconte à quel point il sent la lutte contre le Sida comme inhérente aux Gay Games, encore secoué d’une drôle d’anecdote de la veille : « Hier soir en rentrant dans le quartier où nous sommes logé.e.s avec Gert, un homme nous a abordé.e.s en demandant juste « Gay Games » ? Il ne parlait pas bien anglais mais nous sommes compris, car il nous a parlé du fait qu’il était séropositif depuis 30 ans et la connexion s’est faite tout de suite. Il s’est ouvert à nous, notamment sur le fait qu’il ne pouvait pas venir à l’expo ici, c’est encore trop difficile pour lui. Nous sommes rentré.e.s à l’hôtel et lui avons offert une de nos vestes “silence = mort” ».
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jmm13
Très bonne initiative pour les Gay Games ! Nous sommes heureux d’apprendre qu’il existe une Association des Amis du Patchwork des Noms. Cette nouvelle réveille bien des souvenirs des années 90. Nous ne savons même plus ce que sont devenus les panneaux réalisés à cette époque. Si quelqu’un lit ce message, nous le/la remercions de bien vouloir nous mettre en rapport avec cette association.