La communauté trans combat la haine par la joie au Pakistan
Dans ce pays musulman conservateur, une campagne de haine, organisée sur les réseaux sociaux à l'initiative de la droite religieuse, met en danger les personnes trans.
Vêtue d’un shalwar kameez rose bonbon, l’influenceuse et docteure Mehrub Moiz Awan égrène les innombrables exemples de harcèlement dont elle a été victime depuis qu’elle est la figure de proue de la communauté queer au Pakistan.
Dans ce pays musulman conservateur, une campagne de haine, organisée sur les réseaux sociaux à l’initiative de la droite religieuse, met en danger les personnes trans.
« C’est devenu très violent, avec des menaces de mort et des attaques à mon encontre », explique à l’AFP Mehrub dans la mégapole de Karachi. « J’ai dû déposer des (plaintes) et faire des demandes de protection policière. »
La campagne de diffamation a commencé quand Mehrub a été désinvitée d’une conférence TEDx dans une école privée en août 2022, après des plaintes de parents.
Depuis, de nombreux groupes religieux conservateurs, dont le parti islamiste Jamaat-e-Islami, mènent une attaque concertée auprès du grand public contre la communauté queer.
Le recours à la rhétorique islamiste la plus radicale, le harcèlement, la divulgation de données personnelles comme les photos de militants trans avant et après leur transition, font partie des tactiques employées.
Des allégations de blasphème, qui même non prouvées peuvent entraîner assassinats et lynchages, sont aussi utilisées.
Même s’il n’existe pas de chiffres exacts, des groupes de défense des droits humains comme Amnesty International rapportent une hausse préoccupante des violences.
En février, Marvia Malik, la première présentatrice trans du journal télévisé au Pakistan, a échappé à une tentative d’assassinat à Lahore.
L’épouvantail de l’homosexualité
Deux semaines auparavant, une personne trans avait été retrouvée pendue à Rawalpindi, la police suspectant un meurtre.
« Nos vies sont en danger », assène Shahzadi Rai, militante et membre du Conseil municipal de Karachi, agressée quatre fois.
La Fondation des droits numériques, une organisation luttant contre le harcèlement en ligne, a recensé 74 cas d’intimidation de la communauté pendant cette campagne de haine.
En 2018, le Pakistan avait adopté une loi progressiste accordant aux transgenres le droit de déterminer eux-mêmes leur sexe sur les documents officiels et même d’opter pour un mélange des deux.
Mais l’an dernier, Siraj-ul-Haq, le chef du Jamaat-e-Islami, a déclenché la charge contre cette loi, contraire selon lui à la charia et assimilable à « un complot pour détruire notre système familial ».
Ce parti y voit une tentative de normaliser le mariage entre personnes de même sexe au Pakistan.
« Même des gens de la communauté ont commencé à le croire et à dénoncer (la loi) », explique Mehleb Shaikh, une chercheuse transgenre spécialisée sur ces problématiques ayant participé à l’élaboration du texte.
« Les gens étaient alors tellement paranos à l’idée d’être considérés comme des figures de l’homosexualité », qui est « un épouvantail créé dans notre société pour encadrer encore plus les normes de genre ».
En mai, la Cour fédérale de la charia, qui vérifie la conformité des lois à l’islam, a abrogé la loi. Un appel a été interjeté.
La communauté des Khawajasiras, un terme qui désigne un troisième sexe associant femmes transgenres, travestis et eunuques, a une longue et riche histoire dans le sous-continent indien.
« Ils ont peur de la joie »
Mais la colonisation britannique a fait de l’homosexualité un délit et imposé de strictes codes binaires de genre, ce qui a ensuite été renforcé par l’islamisation du Pakistan.
Les membres de la communauté queer sont largement contraints de refouler leur identité. L’expérience est pire encore pour les Khawajasiras. Beaucoup sont rejetées par leur famille ou la société et doivent gagner leur vie, notamment comme travailleuses du sexe.
« Je n’ai jamais vu notre communauté aussi désemparée », constate Shahzadi Rai.
Ces dernières années, les jeunes queers pakistanais se sont créé une scène dynamique sur TikTok, Instagram et X (ex-Twitter), où ils promeuvent leur activisme et proposent un aperçu de leur vie personnelle.
« La communauté trans a produit un contenu phénoménal, en particulier sur TikTok », juge Aradhiya Khan, une créatrice trans de contenu numérique. « Les gens aiment le contenu conçu par les filles trans ; elles cartonnent en ce moment », assure-t-elle.
Mais selon ces militants, la campagne de haine a réduit leur empreinte numérique. Auto-censure et clôtures de comptes sur les réseaux sociaux sont monnaie courante.
Pour la communauté transgenre masculine, moins visible, cette tendance est encore plus inquiétante.
« Les hommes trans sont traités comme des femmes et des filles au Pakistan, où ils vivent dans des environnements très contrôlés, pleins de restrictions et conservateurs », observe le journaliste et militant transgenre Rayhan Muqadam.
Malgré l’offensive actuelle de haine et de désinformation, Mehrub sent la communauté trans déterminée à résister.
« La plus grande menace à l’intolérance patriarcale moralisatrice, c’est la joie », dit-elle. « Ils ont peur du rire. Ils ont peur de la joie, ils ont peur de l’amour. Et notre manière de résister, c’est de continuer à aimer. »
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