« Rurangi » sur Arte : le touchant itinéraire d'un homme trans
Ecrite et largement interprétée par des personnes trans, la fiction néo-zélandaise « Rurangi », disponible sur Arte, déjoue avec acuité les représentations piégeuses et s'affirme comme la série à voir en 2023.
Après les documentaires Un amour discret et Casa Susanna de Sébastien Lifshitz, les récits queers continuent de se déployer sur Arte. En fiction cette fois-ci, avec la première saison de Rurangi, une série néo-zélandaise de cinq épisodes de 20 minutes chacun. Récompensée aux Emmy Awards, la série propose le portrait sensible d’un jeune homme trans qui retourne dans son village natal dix ans après l’avoir quitté, avant sa transition.
Retour à la case départ
Caz mène depuis 10 ans une vie joyeuse et militante dans la ville d’Auckland, entouré d’une communauté queer avec laquelle il se sent enfin lui-même. Dix ans sans avoir pris de nouvelles de ses proches. Dix ans durant lesquels Caz a commencé et terminé sa transition sans avoir averti quiconque à Rurangi, son village natal. Alors que cette décennie commence à peser sur les épaules de Caz, il se décide à renouer le contact avec la famille et les amis qu’il a laissé derrière lui.
Par ce délicat postulat, Cole Meyers, Olivier Page et Max Currie, respectivement scénaristes et réalisateur de la série, donnent naissance à des premières séquences cocasses, dépouillées de tout sensationnalisme encombrant, où un à un, les proches de Caz (son père, son ancienne meilleure amie, son ex-petit ami) comprennent, malgré les changements physiques, qui ils ont en face d’eux. Des réactions variables, tantôt bienveillantes tantôt mesurées, qui portent la série dans un entre-deux nuancé. Sans jamais trivialiser l’expérience du personnage, la série prend le parti d’éviter le surplus de gravité pour injecter au récit une décompression bienvenue. Finie l’étape de la transition, celle-ci est déjà passée depuis belle lurette. Caz nous est présenté comme un personnage désirable et aimé des autres, loin de la solitude à laquelle on nous a été habitués. Alors que l’on craignait l’asphyxie, Rurangi s’avère être une pure bouffée d’air frais.
Être au plus près de son personnage
Le traitement du personnage de Caz n’en est que plus juste, installant les questionnements relatifs aux personnes trans au centre d’une formidable mosaïque de personnages en quête d’identité. Du père en plein combat pour la préservation de la faune après la mort de sa femme, à la meilleure amie tentée de se reconnecter à son héritage maori, en passant par l’ex petit-ami finalement toujours attiré par Caz. Cole Meyers et Olivier Page montrent ainsi que personne ne peut s’exonérer de ces remises en questions identitaires. Les destins et les luttes intérieures se mêlent et s’entremêlent et apportent de la densité dans ces courts épisodes qui filent à toute vitesse. Pour autant, la caméra ne lâche jamais Caz, génialement interprété par le comédien trans Elz Carrad, tiraillé entre sa discrétion naturelle et son besoin d’affirmer ce qu’il est.
Par cette abnégation à rester au plus près de son personnage, la série refuse à la fois l’aspect torture porn souvent décrié dans les œuvres abordant la transidentité et l’enjolivement des thématiques queers : en témoigne cette très puissante scène du dernier épisode, où l’utilisation du deadname de Caz se fait avec un respect et une subtilité tout à fait inédite.
Une série « pour nous et par nous »
Au cinéma ou dans les séries, la transidentité revient de loin. Relativement peu abordé, le sujet se retrouve aussi souvent entre des mains qui ne le maîtrisent pas, faisant du rendu final une représentation biaisée et fantasmée de ce qu’est être trans. Rurangi fait office d’exemple : tous les personnages trans sont eux-mêmes joués par des personnes trans, tandis qu’une large partie du reste du casting est constituée de personnes non-binaires. L’un des co-scénaristes, Cole Meyers, est lui-même trans.
Fatigué de toujours voir les récits trans à travers les yeux des autres, il a vu en Rurangi l’opportunité de changer le paradigme dominant et d’inclure les personnes trans dans toutes les strates de la production : « Sur Rurangi, j’ai pu constituer un comité composé exclusivement de personnes trans et issues de la diversité des genres, qui avaient un droit de veto sur le scénario. Le fait de nous réunir entre nous nous permettait de nous sentir en sécurité et libres de parler. Embaucher des personnes de la communauté, les placer à des postes de décision, être attentif à la pluralité de leurs vécus, nous a permis d’imaginer un récit plus fidèle », confiait-il à Télérama.
Finalement, pour toutes ces raisons, Rurangi est peut-être LA série tant attendue sur la transidentité. La preuve qu’une œuvre queer, qui plus est faite par des personnes LGBTI+ devant et derrière la caméra, peut nous toucher sans nous ménager, nous marquer sans nous traumatiser. La saison 1 est visible sur Arte jusqu’à la fin de l’année, tandis que la saison 2 n’est pas encore disponible en France.
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