"Joyland", "Jerk", "L'origine du mal", "Trois nuits par semaine"... : les 16 films queer de 2022 qu'il faut avoir vus
De "Great Freedom" en février à "Joyland" en décembre, retour sur une année de films LGBT+ haute en couleurs avec l'émergence de plusieurs cinéastes queers qui feront le cinéma de demain.
L’année touche à sa fin, l’occasion pour nous de revenir sur les films qui ont marqué l’actualité LGBTQI+. Après une année charnière en 2021, où les récits queers étaient portés à l’écran autant par des cinéastes reconnus dans les plus grands festivals internationaux (Jane Campion, Paul Verhoeven, Julia Ducournau, Francis Lee, Catherine Corsini…) que par des premiers films tout aussi réussis (Everybody’s Talking About Jamie, Vent Chaud, Un printemps à Hong-Kong…), 2022 avait une certaine pression sur les épaules.
Ce que l’on remarque d’ores et déjà, c’est que l’équilibre de 2021 a été quelque peu chamboulé en 2022 : les films queers les plus marquants sont pour la plupart des premiers passages derrière la caméra, réalisés par de jeunes talents plus que prometteurs. De plus, là où 2021 proposait une quantité de films lesbiens assez impressionnante mais aussi admirable par la qualité globale de chacun (on pense notamment à Benedetta, Shiva Baby, The World To Come, Les Amours d’Anaïs…), cette nouvelle année s’est montrée plus avare en termes de récits lesbiens de qualité, faisant à la place la part belle aux films abordant les thématiques gays ou celles du genre.
Enfin, l’heure est à la réjouissance, car plus que jamais, le cinéma français se sera montré à la hauteur de sa réputation cette année, proposant moulte films abordant les thématiques LGBT+. Plus inspiré que jamais, et via le thriller, la rom-com, la science-fiction ou encore le drame social, nos artistes queers semblent enfin trouver leur place dans une industrie longtemps très hétérocentrée.
Parmi une longue liste de films nous venant du monde entier, nous vous proposons une sélection (par ordre alphabétique) sur cette année riche en oeuvres uniques en leurs genres qui, on le croit, pourraient faire date.
« Bros », de Nicholas Stoller (Etats-Unis)
Malgré son échec retentissant au box-office international, Bros aura su conquérir le coeur des critiques et des spectateurs (hélas peu nombreux). Cette rom-com gay a en effet eu le mérite de réussir ce que le film affiche dès ses premières scènes comme étant son but premier : faire une comédie romantique par des personnes queers pour des personnes queers, et donc pas pensée pour plaire en premier lieu au grand public hétéro. En résulte un film extrêmement drôle, souvent critique, parfois épuisant par son rythme, qui ne révolutionne rien dans sa forme (c’est aussi l’idée) pour tout miser sur son postulat de base, à savoir investir un champ cinématographique parasité par une hétérosexualité primaire, devenue au fil du temps la base de ce genre de récits cul-cul.
« After Blue », de Bertrand Mandico (France)
Après le bluffant Les Garçons sauvages, le réalisateur iconoclaste Bertrand Mandico est revenu cette année avec une nouvelle hallucination extraterrestre et phantasmagorique, toujours aussi confondante de beauté plastique et narrative. Sur une planète sauvage, uniquement peuplée de femmes, le cinéaste orchestre un véritable western sous acide, où des personnages magnifiquement filmés s’aiment, se défient, se traquent et se tuent. After Blue (Paradis sale) est une expérience sensorielle unique, parfois éprouvante, mais si précieuse qu’on ne peut y être indifférent.
« Bruno Reidal », de Vincent Le Port (France)
Bruno Reidal, premier film de Vincent Le Port, est un autre grand choc cinématographique de cette année. Par sa réalisation froide et distante qui rappelle Pialat, ses images d’une violence parfois insoutenable, et son jeune acteur impressionnant dans un rôle d’adolescent luttant contre ses désirs homosexuels conjugués ici à des pulsions meurtrières, Bruno Reidal, Confession d’un meurtrier dégage une énergie macabre mais jamais gratuite, véritable source d’une fascination malsaine. On fera difficilement plus traumatisant cette année.
« Days », de Tsai Ming-Liang (Taïwan)
Autre grand cinéaste queer à faire son retour sur nos écrans : Tsai Ming-Liang revient avec Days, diffusé il y a deux ans sur Arte et enfin disponible dans les salles de cinéma. Un film comme on n’en fait plus, qui refuse l’accélération au profit d’une contemplation hypnotique renversante et épurée. L’histoire de deux hommes incomplets, de deux corps malades chacun à leur manière, déambulant avec sensualité de scène en scène, d’activité en activité, pour arriver à se soigner. C’est cette impression que laisse Days lorsque vient sa fin, celle d’être guéri d’un mal que l’on ne soupçonnait même pas. La marque d’un grand film.
« Feu Follet », de Joao Pedro Rodrigues (Portugal)
Si cette sélection est principalement composée de premiers films, tous fabuleux, 2022 aura aussi été marqué par le retour en grâce d’un réalisateur mythique du cinéma queer contemporain : Joao Pedro Rodrigues. Le cinéaste portugais signe avec Feu Follet une courte comédie musicale où un prince est enrôlé chez les pompiers. Écologie, racisme, misogynie, homophobie… tout y passe dans cette chronique politique jamais balourde, au contraire toujours envolée, ponctuée de scènes à l’érotisme tantôt absurde, tantôt grisant.
« Flee », de Jonas Poher Rassmussen (Danemark)
Résumées à des tournures de phrases ou de simples clins d’œil chez Disney et autres grands studios américains, les vies des personnes queer restent un terrain largement inexploité par le cinéma d’animation, trop frileux et souvent réduit à du cinéma “pour enfants”. Flee, triplement nommé aux Oscars, labellisé Cannes et récompensé à Annecy, brise avec éclat ces absurdes barrières par son statut de documentaire animé sur la vie d’un migrant afghan gay. Une forme audacieuse donc, qui n’en fait pas pour autant une oeuvre grandiloquente, tant son dispositif créatif se met humblement au service du témoignage d’Amin, offrant ainsi certaines des scènes les plus émouvantes de l’année.
« Great Freedom », de Sebastien Meise (Autriche)
Sorti en tout début d’année, ce film aura su se faire sa place dans nos esprits pour ne plus les quitter de toute l’année. Car rares sont les films abordant le sujet des hommes gays pendant la Seconde Guerre Mondiale, et encore plus rares sont ceux qui en parle pendant l’après-guerre, une obscure période pleine d’ignorances, de secrets et de répression. Great Freedom n’est pas qu’un simple rappel historique, mais bien une splendide histoire d’obstination à la vie, qui comprend parfaitement que la liberté est un concept bien plus abstrait qu’il n’y paraît, qui se construit plus qu’elle ne s’acquiert. Un récit bien peu joyeux pourtant traité avec douceur et sensualité.
« Jerk », de Gisèle Vienne (France)
Sorti en catimini dans quelques salles françaises puis très vite en DVD, le premier film de Gisèle Vienne est définitivement l’œuvre la plus troublante et troublée de l’année. Originellement metteuse en scène au théâtre, Gisèle Vienne s’est ici lancée dans une captation montée d’un de ses spectacles de 2008, qu’elle avait réalisé avec l’auteur phare du mouvement queercore, Denis Cooper. En résulte un court film de tout juste 1 heure, terriblement intense, sur les traces du tueur en série Dean Kroll et des ses victimes, des jeunes garçons manipulés, symbolisés par des marionnettes visées sur les mains de leur bourreau. Un acteur (Jonathan Capdevielle, absolument terrifiant), une chaise, quelques poupées et un grand talent de mise en scène : il n’en fallait pas plus à Gisèle Vienne pour prouver qu’un dispositif scénique simpliste pouvait être source de grandes choses.
« Joyland », de Saim Sadiq (Pakistan)
Il n’y a pas de doutes : par sa virtuosité, sa carrière agitée et son efficacité à mettre tout le monde d’accord, Joyland de Saim Sadiq est sans équivoque le film queer de l’année. Multi-récompensé à Cannes, en pôle position dans de nombreuses remises de prix américaines et une exploitation en salle stoppée net par le gouvernement pakistanais qui accusait le film de contrevenir “aux normes de décence et de moralité”, ce premier film en salles en France le 28 décembre déchaîne les passions. Remise en question des traditions conservatrice et patriarcale, récits croisés déchirants de trois personnages bouillants et rebelles, et coup de projecteur sur un pays au fonctionnement contradictoire : Joyland est un début de carrière en grande pompe pour le cinéaste, un premier film qui le place d’ores et déjà dans la liste de ceux à surveiller de très près.
« Les Cinq Diables », de Léa Mysius (France)
Son premier long-métrage Ava l’avait déjà faite fortement remarqué dans le paysage cinématographique français. Cette année Léa Mysius réitère et convainc : Les Cinq Diables est une réussite évidente, une œuvre mystique, lorgnant du côté du Twin Peaks de David Lynch, au rythme d’une terrible histoire de regrets sur fond de coming-of-age fantastique. Si l’on regrette que le film se retienne un peu trop parfois, difficile de ne pas tomber sous le charme de ces personnages boiteux, vivant dans un passé révolu mais brûlant d’envie d’avancer malgré tout. Adèle Exarchopoulos, Sally Dramé et Swala Emati crèvent toutes l’écran.
« Los Fuertes », de Omar Zuniga Hidalgo (Chili)
Parce que toutes ces histoires d’exil, de prison, de planète extraterrestre ou de tueur en série peuvent parfois nous épuiser, on peut s’estimer heureux que des films comme Los Fuertes arrive à se frayer un chemin dans nos salles obscures. Une histoire d’amour aussi simple que belle au milieu des splendides paysages chiliens. Un film d’apparence inoffensif, bien plus profond qu’on ne le croit et duquel on ressort plus vivant que jamais.
« Loving Highsmith », d’Eva Vitija (Suisse)
Seul documentaire de notre sélection, le film Loving Highsmith, de la réalisatrice Eva Vitija, dresse le portrait de cette “belle jeune écrivaine au côté extrêmement romantique et au style poétique”, dont les thèmes d’écriture “sont puissamment déterminés par l’amour”.
Le film, qui mélange des images d’archives, des témoignages divers et les écrits intimes de Patricia Highsmith, offre un nouvel éclairage sur la vie et l’œuvre de cette femme lesbienne qui marqua son temps avec ses romans, dont plusieurs ont été adaptés au cinéma (L’inconnu du Nord-Express, Monsieur Ripley ou Carol). De Greenwich Village à la Suisse, en passant par Paris et la campagne nivernaise, le documentaire suit Patricia Highsmith dans son parcours littéraire et amoureux. On découvre ainsi une femme à la pensée complexe et parfois “étrange”, séduisante et charmeuse, pour qui la littérature fût le seul horizon possible.
« L’Origine du mal », de Sébastien Marnier (France)
Un jeu du chat et de la souris, à mi-chemin entre Claude Chabrol et Brian De Palma, où une Laure Calamy lesbienne et quelque peu barjo se découvre une nouvelle famille où la toxicité est dans les gênes : voici le pitch du nouveau film de Sébastien Marnier qui, après Irréprochable et L’Heure de la sortie, continue de se bâtir une filmographie singulière, en marge du reste du cinéma français. Un film à l’humour grinçant, doucement camp, qui fait la part belle aux actrices (Dominique Blanc géniale, Doria Tillier jouissive, Suzanne Clément intense) et à leurs démons. Rien que pour la chanson originale et le clip éponyme créés par Fishback et Pierre Lapointe pour le film, il ne faut pas louper ce morceau de cinéma machiavélique.
« Petite Nature », de Samuel Theis (France)
Dans ce long-métrage brillant, un jeune garçon tombe peu à peu en admiration, voire en amour, pour son maître d’école, menant irrémédiablement à une situation intenable pour ce dernier. Samuel Theis, pour sa première fois à la réalisation en solo, livre avec Petite Nature un diamant brut saisissant, aux questionnements passionnants, où le désir amoureux et le désir de classe se mélangent et laissent place à une réflexion pertinente sur le regard de chacun, que l’on appose aux autres ou à soi. Mais le film ne serait pas ce qu’il est sans Aliocha Reinert, dont c’est le premier rôle. Il fait preuve d’une maturité qui force le respect, au service d’une partition vive et physique donnant tout son sens au film.
« Straight Up », de James Sweeney (Etats-Unis)
Parce que les films queers sont très, voire trop souvent teintés de tragédie, il est plus que bienvenu de voir fleurir par-ci par-là des films au traitement plus léger sans que le fond le soit pour autant. Straight Up, premier film de James Sweeney, est une superbe parenthèse à la déprime ambiante. Le réalisateur y explore la sexualité de son personnage (qu’il interprète aussi par la même occasion) avec un sens de l’humour tordant et une inconséquence confondante de fraîcheur. Rien n’est trop grave, trop lourd, et si les enjeux du film maintiennent un potentiel dramatique certain, ce n’est jamais au détriment de son registre comique, toujours dominant. Un premier film malin, follement inspiré, qui promet de belles choses pour l’avenir de son créateur.
« Trois nuits par semaine », de Florent Gouëlou (France)
Belle année pour le cinéma français encore, qui prouve une nouvelle fois qu’il n’a pas peur d’explorer de nouveaux horizons et d’investir de nouveaux paysages. La preuve en est, un aussi beau film que Trois nuits par semaine a pu se faire, et ce pour notre plus grand plaisir. Profitant d’un superbe casting, où l’iconique drag queen Cookie Cunty brille de milles feux aux côtés de Pablo Pauly et Hafsia Herzi, le premier film de Florent Gouëlou est une comédie romantique pétillante et étonnante, questionnant avec intelligence le quotidien de ces artistes précaires, porte-voix de notre communauté.
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