« Vive Annie Cordy en marraine de « Mon CRS » pour tous les garçons sensibles de ma génération ! »
Le court métrage de Marc Martin, « Mon CRS », inspiré par une chanson de l'artiste belge Annie Cordy (1928-2020), est projeté dans le cadre du festival Chéries-Chéris. Interview.
Mon CRS est un court métrage atypique de Marc Martin, qui nous a habitué à des projets atypiques et néanmoins passionnants ! L’artiste Marc Martin joue souvent avec les codes, avec les stéréotypes. C’était déjà le cas avec la belle et troublante série Beau Menteur (tout un programme). Son expo évènement, sur les pissotières, en 2019, avait mis en lumière une période et une archéologie urbaine pédé.
Mon CRS, inspiré par une chanson de l’artiste belge Annie Cordy (1928-2020), est projeté, en présence de l’équipe du film, vendredi 25 novembre et lundi 28 novembre, dans le cadre du festival Chéries-Chéris.
Nous avons voulu en savoir plus et Marc Martin s’est prêté au jeu de l’interview par mail.
Komitid : Après plusieurs projets photographiques, une expo très réussie sur les pissotières, te voilà réalisateur avec ce premier court métrage « Mon CRS ». Quelle est cette envie et quelle inspiration pour ce film ?
J’avais envie, avec mon œil fétichiste, de raconter un conte de fées à rebrousse poils. Déjà dans mon projet sur les pissotières, un petit côté romantique venait casser les préjugés. Une partie de la communauté m’avait d’ailleurs reproché d’enjoliver ce pan de l’Histoire. Comme si la drague autour des tasses était trop peu reluisante, trop crade, pour être acceptable aujourd’hui.
Avec Mon CRS (dont le titre est emprunté à celui d’une ancienne chanson d’Annie Cordy) j’espère encore bâtir un pont entre les générations. Il n’y pas si longtemps, s’habiller de manière jugée contraire au sexe de naissance était illégal. Et un flic aux mœurs « contre nature », comme on disait à l’époque, c’était impensable. Alors je vois mon film comme un appel au respect entre la communauté LGBTQ+ et le corps policier. Comme un appel à la tolérance aussi chez les spectateurs les plus attachés à l’image du couple traditionnel. Du conte de fées au conte de folles, il n’y a qu’un pas ! C’est politique. Dans la période souvent sombre et excluante que nous vivons, s’il se dégage du film une belle énergie, ce sera toujours ça de gagné.
« Du conte de fées au conte de folles, il n’y a qu’un pas ! »
Comment as-tu choisi les deux interprètes pour les personnages de ton film ?
Othmane et Mathis Chevalier ont 24 ans, et jouent avec les clichés sur la masculinité pour mieux les déjouer. Mathis Chevalier incarne un policier apparemment « bien sous tous rapports ». Dans la vie, Mathis est triple champion de MMA, un sport violent et machiste. Il est conscient qu’il peut jouer un rôle auprès de ces sphères réputées fermées sur les questions LGBTQ+. Identifié comme hétéro, il va contribuer à faire bouger les lignes. À mon goût, Mathis représente l’homme contemporain. Sa virilité n’est pas qu’un fardeau sur le dos. Elle le tire vers le haut. J’admire ses choix artistiques à l’opposé du monde macho dans lequel il a évolué jusqu’ici. Il y a un truc très cinématographique dans le regard de Mathis Chevalier et dans le regard qu’il pose sur le monde qui l’entoure. Il était très à l’aise en caricature de bonhomme avec son slip kangourou et ses chaussettes trouées…
Quant à Othmane, qui joue la chanteuse de cabaret interlope, je l’ai rencontrée par hasard au vernissage de l’expo sur la photographe de la communauté trans, Mariette Patty Allen. Sa beauté non binaire, son aura, m’ont sauté aux yeux. J’ai trouvé un.e « prince.sse charmant.e » ce jour-là. Ensuite, la cerise sur le gâteau a été sa voix chaude et orientalisante. Une graine de star ! A sa manière, Othmane espère aussi faire changer les mentalités. Rejeté·e par sa famille en raison de son orientation sexuelle, iel est monté à Paris pour devenir artiste. Son physique androgyne façonne aujourd’hui sa démarche artistique. Dès qu’iel a enfilé sa longue robe à paillettes, le personnage ultra féminin lui a collé à la peau. Un personnage de diva dont l’allure est plus inspirée par Dalida que par Annie Cordy, d’ailleurs…
Peux-tu justement nous parler de ta relation avec Annie Cordy ?
Quand j’étais gosse et qu’on me demandait ce que je voulais faire quand je serais grand, je répondais toujours : « Je veux devenir Annie Cordy ». Et je me souviens de la tête des adultes autour de moi… Plus je grandissais, plus ma réponse les dérangeait. Les adultes aiment ça, ranger les choses et les genres à leur place. Et les gens snobs adorent dire qu’ils détestent Annie Cordy. Alors Mon CRS fait un pied de nez à « ces gens-là » ! Sous ses airs de clown, avec ses perles et boas, la féminité d’Annie Cordy m’a toujours fasciné. D’où ce clin d’œil glamour. Aujourd’hui, dans la bouche d’Othmane, son refrain – à l’époque anodin – prône l’inclusion. Et le film nous reconnecte avec l’enfance. Car nos rêves d’enfant influencent toujours nos sexualités d’adultes. Vive Annie Cordy en marraine de Mon CRS pour tous les garçons sensibles de ma génération. Mine de rien, « Tata Yoyo » en avait des casquettes, sous son grand chapeau… Et le queer lui va si bien !
« Mon CRS » (23 minutes, 2022), de Marc Martin avec Othmane et Mathis Chevalier.
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