Tout ce qu'il faut savoir sur le nouveau prix « Libertés Chéries » du festival du film LGBTQI+ de Paris
À l'occasion de la création du prix « Libertés Chéries », Komitid a pu s'entretenir avec Laurent Bocahut, programmateur du festival Chéries-Chéris, et avec Robert Simon, président de l'association Solidarité Internationale LGBT, afin d'en savoir plus.
C’est une des nouveautés de cette 28ème édition du festival du film LGBTQI+ de Paris : la création du prix « Libertés Chéries ». En collaboration avec l’ONG Solidarité Internationale LGBT (SIL), ce nouveau prix concerne un panel de films provenant de pays où les libertés des personnes LGBTI+ sont restreintes.
La SIL “vise à soutenir le mouvement LGBT dans les pays où l’homophobie est très forte, mais aussi à mobiliser la société française, la société civile, et la communauté LGBT à se rendre compte des réalités vécues dans certains pays”, nous explique son président Robert Simon. Une première collaboration donc, qui coule de source pour ce dernier : “Partant du constat que le cinéma touche aux tripes, nous nous sommes dit qu’encourager le développement de films –documentaires ou fictions– qui présentent le mode de vie des personnes LGBT dans ces pays, pouvait aider à mobiliser, mais aussi à toucher les diaspora qui méconnaissent parfois ce que vivent leurs concitoyens LGBT.”
Ligne directrice
C’est là que se dessine une autre ligne directrice de Chéries-Chéris : l’appétence du festival à mettre en avant le plus de territoires et de cinémas possibles. “On veut une vision panoramique, pour faire un festival vraiment international, qui donne accès à des cinématographies de tous les pays, y compris ceux où le cinéma n’est pas très développé et ceux où les questions LGBTQI sont difficiles à aborder, voire parfois dangereuses”, confie Laurent Bocahut, programmateur du festival et président de Rainbow Submarine.
« Quand on rentre grâce aux films dans l’intimité et les vécus des personnes LGBT, on se rend compte que c’est beaucoup plus riche que ce qu’on pourrait imaginer »
Une envie qui se reflète évidemment dans la sélection du prix Libertés Chéries : cinq films de fictions et cinq documentaires, allant du Pakistan au Chili, en passant par l’Égypte, la Colombie et le Soudan. “Quand on rentre grâce aux films dans l’intimité et les vécus des personnes LGBT, on se rend compte que c’est beaucoup plus riche que ce qu’on pourrait imaginer. Derrière ces condamnations violentes, une vie existe “, ajoute Laurent Bocahut. Il signale d’ailleurs que le festival ne pointe pas du doigt uniquement les pays dits “du Sud” : “On a aussi plusieurs films européens, avec par exemple Silent Love (documentaire qui parle d’obligation de cacher son homosexualité en Pologne pour une femme, ndlr). C’était important pour nous car nous voulions faire remarquer que cette question des droits n’est pas réservée à un ailleurs lointain, ça nous concerne aussi en Europe.”
Dernièrement, c’est le film Joyland, lauréat de la Queer Palm 2022 et en lice pour le prix Libertés Chéries, qui a subit de plein fouet les conséquences de restrictions LGBT-phobes de son pays. Tout premier film pakistanais de l’histoire à être présenté au Festival de Cannes, le long-métrage a poursuivi sa belle et prometteuse carrière en étant choisi pour représenter son pays aux prochains Oscars.
Le film a failli ne pas sortir au Pakistan, pour cause de “contenu hautement répréhensible qui n’est pas conforme aux valeurs sociales et aux standards moraux de notre société”, selon le ministère de l’Information du pays, mais a depuis été autorisé.
“Joyland symbolise parfaitement tout ce que Chéries-Chéris défend. On entend rarement la voix de ces pays, et encore moins dans un film aussi bien fait et bien produit, aux nombreuses qualités cinématographiques”, ajoute Laurent Bocahut.
Pour aider ces films à vivre et à exister malgré un avenir incertain, le festival et la SIL promettent à la clé de ce prix une récompense de 4000 euros qui sera remis à la production ou au distributeur du film. “On a présenté ce projet à certains financeurs, notamment la DILCRAH et la Ville de Paris, qui ont respectivement alloués 1000 euros et 2000 euros, puis nous avons rajouté 1000 euros de nos financements propres. C’est une première expérience, on espère qu’à l’avenir on arrivera à pérenniser la prix et à trouver d’autres financements”, explique Robert Simon.
Prise de parole attendue
Avec ce prix, Robert Simon souhaite surtout aussi atteindre la zone d’influence des pouvoirs publics et politiques : “On a invité le récemment nommé ambassadeur des droits LGBTQI+, Jean-Marc Berthon, qui nous a dit qu’il viendrait. On espère pouvoir discuter avec lui et qu’il interviendra lors de la cérémonie de clôture du festival.”
Ceux qui ont la lourde tâche de départager les films et, in fine, d’en récompenser un, composent un jury d’exception : Karim Bensalah, scénariste et réalisateur ; Cécile Coudriou, militante pour les droits humains à Amnesty International et enseignante à la Sorbonne ; Deniz Inceoglu, directrice artistique attachée au cinéma du Maghreb et du Moyen-Orient ; et Beatriz Rodovalho, chercheuse et programmatrice. “Ils ont tout de suite accepté, ils ont tous compris l’enjeu et sont tous très motivés et sont des passeurs d’images d’une manière ou d’une autre”, déclare Laurent Bocahu.
Reste à savoir donc quel film parmi Joyland, Silent Love, Un Varon, Camila sortira ce soir, L’art du pêché, Bouche Cousue, Les damnés ne pleurent pas, Nos peurs et nos espoirs, Nun of your Business et Travesia Travesti repartira lauréat du prix Libertés Chéries.
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