« Poppy Field » : 50 nuances de placard dans la Roumanie contemporaine
Les films LGBT roumains sont rares. « Poppy Field » est donc une très belle surprise et pour son premier film, le réalisateur Eugen Jebeleanu réussit à émouvoir en jetant une lumière crue sur l'homophobie toujours persistante.
Le scénario de Poppy Field, écrit par Ioana Moraru, s’inspire en son cœur de faits réels. En 2010, à Bucarest, la capitale roumaine, la projection dans le cadre d’un festival de films LGBT de The Kids Are Allright est interrompue par des manifestant·es homophobes. La police n’était pas vraiment intervenue pour empêcher cette manifestation hostile.
C’est donc à partir de cette affaire que, pour son premier film, le réalisateur roumain Eugen Jebeleanu a développé une intrigue centrée autour de la figure de Cristi, un policier gay toujours au placard parmi ses collègues. Durant l’intervention policière, il va être reconnu par un des spectateurs et sa vie risque de basculer.
La belle trouvaille du réalisateur est d’avoir fait démarrer son film sur des scènes intimistes, qui ne sont pas sans rappeler le très beau Week-End (d’Andrew Haigh, 2011). Des scènes durant lesquelles Cristi reçoit pour quelques jours son amant français, et où l’on perçoit déjà le choc de deux mondes : même vis-à-vis de son amant ou de sa sœur, Cirsti fait montre de beaucoup de blocages et de réticences. Comme si la nécessité absolue de cacher son homosexualité dans son travail transpirait aussi sur sa vie amoureuse et l’empêchait d’être tout à fait lui-même.
Par petites touches, le film installe le malaise et les contraintes que s’impose Cristi et qui vont se révéler encore plus fortes lors des scènes tournées dans la salle de cinéma.
C’est d’ailleurs cette salle qui a donné son titre au film, comme l’a raconté le réalisateur lors d’une avant-première du film à Paris. La vision de ces rangs de sièges rouges lui a fait penser à un champ de coquelicots (poppy field, en anglais). La confrontation entre les manifestant·es brandissant des images pieuses et hurlant des slogans homophobes et le public venu se distraire est particulièrement forte et la réalisation immersive donne l’impression de voir un documentaire tourné sur les lieux de la manifestation.
Dans le rôle du policier, en proie à ses doutes et confronté à une homophobie tenace, et à sa propre homophobie intériorisée, l’acteur Conrad Mericoffer est toujours juste. Malgré l’apparente froideur et l’impassibilité forcée de son personnage, l’acteur réussit à provoquer une forte empathie pour ce policier qui n’arrive pas à sortir de son placard.
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