Mika Alison, « transeignante » : « Au début des années 2000, le plus difficile a été de décider de ne pas transitionner »
En ce jour de rentrée scolaire, Komitid donne la parole à Mika Alison, qui se présente comme « transeignante ». Un parcours et des combats qu'elle relate dans un livre passionnant, « Vivre sa transidentité à l'école », aux éditions Double ponctuation.
Dans Vivre sa transidentité à l’école, Mika Alison ne se contente pas de témoigner de son parcours de prof trans à l’école, mais présente aussi les actions qu’elle mène pour que le regard change sur les transidentités. Elle a accordé une interview à Komitid.
Komitid : Pouvez-vous tout d’abord vous présenter ?
Je m’appelle Mika, je suis une femme transgenre française de 39 ans, maman de deux jeunes enfants et enseignante. Je suis également militante pour les droits des personnes LGBTQI au sein des associations Couleurs Gaies et Contact. En plus de mes responsabilités au sein de Contact Moselle, je suis depuis 2021 élue au collège de Contact France. Mon engagement militant se fait également sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter où je suis connue sous le pseudo “Mika-la Transeignante”.
Comment est venue l’idée de ce livre ?
L’écriture du livre m’a été suggérée par mon éditeur. Il trouvait que mettre en avant le parcours et l’expérience que j’ai pu acquérir sur le sujet des transidentités à l’école serait une bonne chose pour pouvoir les partager aux personnes que le sujet intéresse. Après la discussion initiale, j’ai réfléchi à ce qui me semblait pertinent d’y inclure car je ne voulais pas qu’il s’agisse simplement d’un témoignage. Les contenus relatifs au monde de l’éducation et à l’univers associatif LGBTQI+ ont ainsi été intégrés à mon témoignage d’enseignante et de bénévole.
Vous retracez dans la première partie votre parcours de transition au début des années 2000. Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
Au début des années 2000, le plus difficile a été de décider de ne pas transitionner. Ça me paraissait complètement impossible à cette époque, avec la crainte de perdre mon emploi alors que je venais à peine de décrocher le concours de l’enseignement. Ce renoncement a débouché sur dix années vécues de loin, sans que je sois pleinement actrice de ma propre vie. Le contraste avec les années post-transition – je l’ai entamée en 2018 – est saisissant à de nombreux niveaux.
Vous décrivez comment vous avez dû « enfoncer le placard » pour vivre pleinement en tant qu’enseignante trans. Comment jugez-vous l’attitude de l’éducation nationale ?
Quand je parle d’enfoncer le placard, ce n’est pas seulement par peur de la réaction de ma hiérarchie dans l’éducation nationale. C’est aussi parce que je m’étais tellement persuadée qu’une transition était impossible qu’il a fallu que je lutte contre moi-même pour démonter les barrières que j’avais pu construire. Evidemment, les peurs qui me bloquaient ne venaient pas de nulle part et j’avais pu avoir connaissance de récits de quelques transitions dans l’éducation nationale qui s’étaient mal déroulées, avec des conséquences déplorables pour les personnels concernés. Heureusement, lorsque j’ai entamé ma démarche de transition, les mentalités avaient évolué et j’ai été très bien accompagnée par la direction de mon établissement comme par les services du rectorat de l’académie Nancy-Metz.
Vous évoquez aussi l’évolution de l’Education nationale dans l’accueil des élèves trans. A l’automne 2021, le ministre Jean-Michel Blanquer avait diffusé une circulaire sur ce sujet. Avez-vous pu constater des évolutions depuis un an ?
Les établissements se saisissent doucement de cette circulaire. Je constate que les équipes que je rencontre sont au courant de l’existence du texte, même si son application peut leur poser de nombreuses questions. La règle qui exige l’accord des deux parents pour employer le prénom et les pronoms choisis par l’élève est très contraignante et crée des situations compliquées pour les jeunes.
« Aujourd’hui, les transidentités commencent à être plus visibles, mais ne sont pas nécessairement mieux connues »
Vous avez fait aussi de nombreuses interventions en milieu scolaire en tant que bénévole des associations (Couleurs gaies, Contact). Comment décririez-vous l’évolution du regard des élèves mais aussi des enseignant·es sur la transidentité ?
Aujourd’hui, les transidentités commencent à être plus visibles, mais ne sont pas nécessairement mieux connues. C’est souvent les jeunes qui sont les mieux informés, et, selon mon expérience, les plus ouverts sur ce sujet. Il n’est pas rare qu’un.e élève en transition soit entouré par un groupe d’allié.es qui lui permette de mieux vivre cette période en contexte scolaire. Pour les enseignant·es, on reste souvent avec le même niveau de connaissance sur le sujet que la population générale et il n’est pas rare de trouver des personnels qui soient très conservateurs sur le sujet ou qui ne connaissent les transidentités que de manière très caricaturale. Il reste encore beaucoup de travail d’information à faire mais l’institution s’y emploie en déployant des formations sur les LGBTphobies et en particulier sur les transidentités.
Quels sont selon vous les chantiers prioritaires en matière d’éducation concernant les orientations sexuelles et les identités de genre ?
Il faudra rapidement faire un bilan sur la circulaire Blanquer et de ses conséquences afin de réfléchir à l’améliorer. Les actions de formation des personnels et les interventions auprès des élèves sont à amplifier, toujours en partenariat avec les associations qui apportent un regard extérieur à celui de l’institution et ont une expérience précieuse sur ces sujets.
« Les gens qui hurlent à “l’effacement des femmes” ou qui accusent le Planning de dérives semblent clairement ignorer ce qui fait le cœur des actions du Planning Familial depuis sa création »
Dernière question d’actualité : une affiche du Planning Familial sur la situation des hommes trans enceints a suscité la polémique. Que pensez-vous de ces réactions ?
Les réactions violentes à l’affiche du Planning Familial me font sincèrement peur car elles ne sont pas venues que de personnalités positionnées à droite ou à l’extrême-droite. Elles révèlent une grande méconnaissance du sujet (certains ont parlé d’un des deux personnages comme d’une femme transgenre à qui on aurait greffé un utérus, ce qui est totalement faux) mais aussi une crispation forte sur la notion de genre, en particulier lorsqu’on aborde les thèmes de la parentalité. Pourtant, en tant qu’enseignante de Sciences de la Vie et de la Terre, je suis bien placée pour savoir qu’une personne ayant un utérus a la possibilité de tomber enceinte, qu’elle soit une femme cisgenre, un homme transgenre ou une personne non-binaire. Les gens qui hurlent à “l’effacement des femmes” ou qui accusent le planning de dérives semblent clairement ignorer ce qui fait le cœur des actions du Planning Familial depuis sa création : un accueil inconditionnel de tout le monde et un engagement pour la défense des droits reproducteurs, l’accès aux différents moyens de contraception et à l’avortement et la diffusion des informations utiles sur ces sujets au plus grand nombre.
« Vivre sa transidentité à l’école », de Mika Alison, éditions Double Ponctuation, 145 p., 16 euros.
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