Dans la carrière délaissée du Struthof, des fouilles pour éclairer le travail forcé du camp de concentration
Des recherches qui se poursuivront jusqu'en 2024 ont été entamées pour mieux connaître le seul camp de concentration sur le territoire français, dans lequel ont été internés juifs, tziganes, homosexuels et Témoins de Jéhovah.
Son granit rose était convoité par Albert Speer, l’architecte d’Hitler, et ses vestiges sont aujourd’hui exhumés : la carrière du Struthof (Bas-Rhin), lieu de travail forcé de milliers de déportés, fait l’objet de fouilles inédites, 80 ans après l’ouverture du seul camp de concentration nazi situé en territoire français.
“Cette partie du Struthof avait été un peu délaissée, alors que la carrière a précédé la construction du camp”, relève Juliette Brangé, responsable du chantier de fouilles, tout en parcourant la vaste terrasse artificielle à flanc de montagne. N’y subsistent que neuf bâtiments ou ce qu’il reste de leurs fondations, sur la vingtaine construits sous la férule des nazis.
Pour se représenter le lieu tel qu’il était à l’époque, cerné de miradors, “on a moins d’une dizaine de photographies d’archives, c’est peu”, regrette la jeune archéologue.
A partir de mai 1941, sur ce promontoire situé à 800 mètres d’altitude, des milliers de prisonniers se sont succédé pour extraire la pierre, destinée à l’origine aux grandes constructions du Reich. Les premiers ont également dû bâtir eux-même le camp de concentration de Natzweiler-Struthof, situé 500 mètres plus au nord, et les routes qui y mènent.
Pendant la guerre, 17.000 déportés venus de toute l’Europe passeront par le Struthof construit dans l’Alsace annexée, 52.000 en comptant la nébuleuse de camps satellites de part et d’autre du Rhin. Il s’agissait principalement de résistants et de prisonniers politiques mais aussi des déportés juifs ou tziganes, d’homosexuels et de Témoins de Jéhovah. 22.000 y mourront.
Les fouilles doivent permettre de mieux comprendre la nature du travail forcé qui n’avait “pas du tout été étudié”, selon Mme Brangé.
“Espace industriel”
En 1943, au tournant du conflit, “la carrière se transforme en espace industriel”, explique-t-elle. Des moteurs d’avions allemands Junkers y sont démontés dans des halles, les pièces détachées étant réintroduites dans l’industrie pour soutenir la machine de guerre nazie.
Limes, outils à métaux ainsi qu’une forge pour démonter les pièces de moteurs… Les premiers objets découverts par les fouilles en témoignent, confirmant qu’il ne s’agissait pas seulement d’extraire du granit. “On peut parler de travail qualifié”, observe l’archéologue.
“Là, c’est vraiment le premier élément qui est intéressant”, sourit soudain, ému, Clément Schermann, truelle dans une main, tout en montrant avec l’autre un triangle en aluminium d’à peine 5 centimètres, découvert quelques instants auparavant au pied d’un bâtiment qu’une couche d’humus avait partiellement englouti.
“Au centre, vous avez le petit bonhomme qui symbolise la firme Junkers, les bras écartés”, figurant une hélice, reprend l’étudiant en licence d’archéologie à l’Université de Strasbourg pour décrire sa trouvaille, une plaque probablement accrochée à un moteur d’avion.
La carrière était gérée par la DEST, la société allemande de travaux de terrassement et de carrière, une entreprise appartenant à la SS, le camp lui facturant cette main d’oeuvre gratuite. Les registres de la DEST révèlent que plus de 1.000 personnes se relayaient chaque jour à la carrière.
“Les déportés travaillaient 60 heures par semaine, dès 06Hh30 le matin en hiver, et n’étaient nourris qu’avec 1.500 calories par jour quand il en faut trois fois plus pour un travailleur de force”, complète Guillaume d’Andlau, directeur du Centre européen du résistant déporté-Struthof (CERD), le mémorial de l’ancien camp de concentration qui accueille 200.000 visiteurs chaque année.
“Lieu de terreur”
31 nationalités sont passées par le Struthof, mais selon Michaël Landolt, archéologue pour la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Grand Est, qui finance le chantier, “la plupart des travailleurs forcés étaient des Polonais ou des Soviétiques”.
“Il y avait peu de Français, pour éviter qu’ils ne communiquent avec certains civils de la vallée de la Bruche qui venaient travailler à la carrière, sans doute pour des travaux de taille”, détaille-t-il encore, à proximité d’une dalle qui vient de révéler des branchements électriques d’époque, aux fils nus.
Des recherches publiées en 2007 par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation montrent que plus d’une douzaine de cas de déportation depuis la France pour motif d’homosexualité ont été recensés au Struthof. Le plus connu d’entre eux était Pierre Seel, seule personnalité française a avoir osé témoigner à visage découvert.
- Lire également : Hommages à Pierre Seel, déporté homosexuel, 10 ans après sa mort
Une dizaine étudiants bénévoles participent aux fouilles qui doivent se répéter chaque mois d’août jusqu’en 2024. Des descendants de déportés ont également pris part à l’important travail de débroussaillage préalable, comme Alain Salomon, administrateur de l’amicale Natzweiler-Struthof, histoire et mémoire, dont le père Robert est passé par le Struthof.
Quelques mois avant sa disparition en 2015, l’ancien résistant avait décrit dans un discours vibrant “un haut lieu de terreur, de pleurs, de douleurs, de travail exténuant par tous les temps”. “Face à l’insupportable négationnisme, il est important de faire remonter cette réalité à la surface”, commente aujourd’hui son fils à propos de cet endroit où la nature avait repris ses droits.
“On n’avait pas les moyens de mettre ça en valeur”, concède André Woock, 62 ans, maire de la petite commune rurale de Natzwiller située en contrebas, qui a récupéré la propriété de la carrière après-guerre. “Et puis pour les anciens d’ici, cette histoire était encore compliquée”, ajoute l’élu.
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