Brandon Taylor : « Je voulais raconter les difficultés auxquelles on ne se prépare pas mais que j'ai moi-même vécues, dans ma chair »
Le premier roman de Brandon Taylor, « Real Life », l'histoire du parcours tourmenté d'un étudiant noir et gay dans une université dominée par les Blancs est un grand succès critique et public. Il est enfin traduit en français et Brandon Taylor a répondu aux questions de Komitid.
Né en 1989 en Alabama, Brandon Taylor publie son premier roman, Real Life, en 2020. Ce live a rencontré un grand succès critique et public, est traduit dans plus de dix pays et en cours d’adaptation cinématographique. Brandon Taylor vit aujourd’hui à New York. Komitid l’a rencontré à l’occasion de son passage à Paris en juin dernier.
Komitid : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Brandon Taylor : J’ai grandi en Alabama, sur une ferme, dans le sud rural des Etats-Unis. J’ai étudié la biochimie et la chimie à l’université puis j’ai décidé d’étudier l’écriture creative.
Avez-vous toujours voulu être écrivain ? Comment le désir d’écrire est venu à vous ?
Lorsque j’étais relativement jeune, j’avais l’habitude d’écrire des petites histoires pour m’amuser. Au départ, je voulais être médecin. C’était mon rêve pendant longtemps. A l’âge de cinq ans, j’ai décidé que j’irai étudier à la médecine pour devenir neurochirurgien. Et j’ai suivi ce rêve très sérieusement à l’université. Ecrire était quelque chose que j’appréciais faire, c’était un moyen de m’exprimer de manière créative et de faire quelque chose différent avec mon esprit.
Puis à l’université, mes professeurs m’ont encouragé à poursuivre l’écriture. Ils pensaient que j’avais un certain talent. Ils ne pensaient pas vraiment que je deviendrai un écrivain.
De mon côté, je ne pensais pas que le métier d’écrivain existait encore. Pour beaucoup, la littérature se limite aux « classiques » comme Jane Eyre ou Pride and Prejudice. Puis je suis allé à l’université et j’y ai rencontré des écrivains.
Et là, je me suis dit : “peut-être pourrais-je faire la même chose ?”.
Et pensez-vous que votre origine modeste a pu impacter votre écriture ?
Lorsque j’ai commencé à écrire Real life, la chose à laquelle j’ai le plus pensé était mon souhait d’écrire un roman que les gens comme moi, ceux qui font partie de la classe ouvrière, de la communauté noire ou de la communauté LGBTI+ puissent lire avec facilité, en s’y reconnaissant, sans avoir à en traduire la signification.
Je voulais écrire sur une personne issue d’un milieu défavorisé dont le rêve devient réalité. Wallace, le personnage principal du livre, qui vient de la classe ouvrière, intègre un programme universitaire renommé. Mais que se passe-t-il ensuite, une fois que son rêve est réalisé ?
Aux Etats-Unis, il y a cette idée que si tu travailles très dur, tu intègreras une université reconnue et cela changera ta vie. Mais personne ne raconte ce qui arrive après. Je voulais raconter les difficultés auxquelles on ne se prépare pas mais que j’ai moi-même vécues, dans ma chair.
Pensez-vous que ces difficultés ne sont pas suffisamment racontées ?
Dans mon roman, en surface tout va bien pour Wallace. Il a intégré un programme scolaire très sélectif et à une bourse étudiante.
Mais cette réussite a un coût et il est très fort. A la fois, en raison de la rigueur qu’exige ces programmes académiques et de la culture toxique dans les universités. A quel moment franchissons nous une ligne rouge ? A quel moment cette rigueur et cette culture toxique deviennent une forme de mauvais traitement des étudiants ? Ce n’est pas parce qu’une chose est acceptée qu’elle est acceptable.
J’ai l’impression que le roman tente de trouver des réponses à ces questions.
Le livre est à propos d’un jeune homme noir qui a grandi en Alabama comme vous. Est-ce que cela veut signifie que Real Life est une autobiographie ?
Pour moi, c’est un roman. Je suis partie de ma vie et d’éléments personnels et je les ai laissé prendre vie et devenir fiction. Au départ, Wallace est très proche de moi puis il devient son propre personnage.
Le roman parle de sujets particulièrement prégnants dans notre société comme le racisme et les violences physiques et sexuelles. Comment l’évolution de la société a-t-elle influencé vos choix d’écriture ?
J’ai écrit le livre en 2019, donc après l’élection de Donald Trump. Ce que les gens oublient souvent c’est que, avant même l’élection de Donald Trump, le suprémacisme blanc existait déjà. Dans le Wisconsin, quelqu’un s’amusait à tagguer des symboles nazis dans la rue. Je me rappelle un jour avoir vu à travers ma fenêtre une croix gammée dessinée sur un mur.
J’avais écrit une première version du livre en 2017. Dans cette première version, la couleur de peau était loin d’être un des sujets principaux. Au même moment, j’ai vécu beaucoup de moments racistes à l’université. En relisant le livre et en réalisant la seconde version, j’ai été en mesure de retranscrire ces évènements.
En 2020, mon livre est sorti puis d’autres livres d’écrivains noirs ont également été publiés. C’était un moment très précieux. Je me suis senti privilégié de faire partie de ce mouvement.
Pensez-vous que la littérature est donc une affaire de représentation ?
La représentation était importante pour moi. Après la publication de Real Life, je me suis dit que j’avais fait ce que je souhaitais, que j’avais écrit le livre que je voulais pour mes amis.
En tant qu’artiste, je veux me “challenger”. Il reste encore beaucoup d’histoire à raconter. Et c’est ce que je veux faire.
J’ai lu sur internet que vous aviez écrit ce livre en cinq semaines. Est-ce vrai ?
Comme j’avais déjà échoué plusieurs fois à écrire un roman au moment où je me suis lancé dans l’écriture de Real Life, j’ai décidé d’écrire le plus vite possible. A la fin, c’était comme une petite mort. Je n’ai plus écrit pendant un an après cela.
La structure de votre roman est assez particulière puisqu’il se déroule sur un week-end. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Pour finir un livre, il fallait que je choisisse un espace temporel en amont. Et le week-end est une unité de temps très particulière pour un étudiant. C’est potentiellement le seul moment de la semaine qui t’appartient et en même temps, on attend de toi que tu mettes ce temps à profit en travaillant.
Vous accordez beaucoup d’importance à la violence dans votre livre. Comment avez-vous construit ces scènes de violences et comment vous êtes-vous préparé à écrire ces moments, particulièrement intimes et difficiles ?
J’ai l’impression que nous sommes toujours proches de la violence, que ce soit celle qu’on subie ou celle qu’on fait subir aux autres. Je voulais prendre les moments qui semblent tranquilles et les décortiquer pour révéler les couches de violences qui existent dans toutes les relations.
Pour me préparer, j’ai essayé d’être au plus proche de la tension de ce que j’écris et de ces scènes de violences.
Votre livre explore le sentiment amoureux et la honte qui peut y être attaché lorsque celui-ci est hors de la norme. Il y a cette phrase dans votre livre : « Je désirais ce que je désirais mais je désirais ne pas désirer ce que je désirais ».
La question de la honte est une question complexe. Wallace sait ce qu’il veut. Mais il sait aussi que vouloir ce qu’il veut le fait sortir de la norme. Etre un homme queer le distingue dans sa famille. Et finalement, même sur son campus universitaire, il se distingue. Non pas tellement parce qu’il est gay mais parce qu’il est noir.
La honte que ressent Wallace illustre son désir d’être quelqu’un d’autre. Il pense que tout serait plus facile s’il était quelqu’un d’autre et s’il n’avait pas à agir sur la base d’un système de valeurs qui n’est pas le sien.
Si vous aviez un livre à recommander à nos lecteu·rices, quel serait-il ? Et pourquoi celui-ci ?
Carol de Patricia Highsmith. Je le recommande parce que c’est un formidable roman sur la manière dont on peut être aveuglé par l’amour lorsqu’on est jeune tout en essayant de savoir ce qu’on est et ce qu’on désire.
« Real Life », de Brandon Taylor, traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié, éditons la croisée, 304 p., 21,90€.
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