Cécile Chartrain, fondatrice des Dégommeuses : « En France, les clubs masculins et féminins ne font pas le boulot d’accompagnement qu’on a vu dans plusieurs pays pour des joueur.ses prêt.es à faire leur coming out »
Dix ans ça se fête ! Du 18 au 25 juin, les Dégommeuses, équipe de foot majoritairement composée de lesbiennes et de personnes trans, vont occuper le terrain festif et militant avec plusieurs évènements dédiés. Cécile Chartrain, fondatrice des Dégommeuses, répond aux questions de Komitid.
Les Dégommeuses fêtent ses dix ans ! Alors, en fait oui et non. Les Dégommeuses en tant qu’équipe de foot majoritairement composée de lesbiennes et de personnes trans a vu le jour en mai 2010 lors du Tournoi International de Paris. Mais l’association, elle, a été créée en 2012. Dix ans plus tard, leur esprit de compétition s’est renforcé sur le terrain mais aussi en dehors.
L’association participe à de nombreux combats dans la lutte contre les discriminations dans le sport, contre le racisme, le classisme et la lgbtphobie, et est devenue une interlocutrice incontournable. En 2021, les Dégommeuses ont reçu le Prix international pour les droits des personnes LGBTQI+ de la Ville de Paris.
Cécile Chartrain, fondatrice des Dégommeuses, répond aux questions de Komitid.
Komitid : L’association Les Dégommeuses fêtent ses 10 ans. Quelles évolutions avez-vous vécu sur cette décennie ?
Notre équipe de foot et l’association qui y est rattachée se sont considérablement développées : nous sommes à environ 90 adhérent.es et quasiment autant de personnes sur liste d’attente car nous n’avons pas les moyens d’accueillir tout le monde à l’entrainement. Nous avons dû mettre en place un système de coupe-file pour les publics prioritaires, en particulier les exilé.es, les précaires et les personnes trans ou non binaires, qui sont les plus exclu.es de la pratique sportive. En ce qui concerne l’environnement dans lequel nous évoluons, les équipes de foot queer et/ou féministes se sont multipliées ces dernières années. Le tournoi de foot que nous organisons le 18 juin en réunira une vingtaine. Les Dégommeuses ont largement contribué à impulser ce mouvement qui politise la pratique du football, on nous le dit souvent, et c’est gratifiant. En revanche, côté institutionnel, il y a eu peu d’avancées. Certes, la médiatisation du foot féminin a augmenté, la pratique du foot est mieux acceptée pour les petites filles et les meilleures joueuses françaises peuvent enfin vivre de leur sport. Cependant, les inégalités femmes/hommes et filles/garçons restent énormes. Il y a un manque flagrant d’infrastructures et de moyens pour les filles, au haut niveau comme dans le foot amateur, et toujours beaucoup de résistance de la part des institutions sportives face aux projets à dimension communautaire. Les compétitions restent également centrées sur une division femmes / hommes qui met en difficulté les personnes trans et non binaires.
« Les Dégommeuses ont largement contribué à impulser ce mouvement qui politise la pratique du football, on nous le dit souvent, et c’est gratifiant »
Quelles sont vos meilleurs souvenirs sur cette période ?
Il y en a tellement, c’est dur de sélectionner ! Il y a eu beaucoup d’événements marquants… Le match organisé au Parc des Princes avec l’équipe sud-africaine du Thokozani Football Club en 2012, alors qu’il n’y avait eu que deux ou trois matchs de foot féminins dans cette enceinte à l’époque ; le Glam Match avec Acceptess T – une action de visibilité gouine et trans assez déjantée qu’on avait organisée au stade Pershing en 2014 ; les tournois « Foot For Freedom » en région, qui nous ont permis d’amener le débat autour de l’homosexualité et de l’accueil des exilées en régions, dans quelques villages dont étaient issu.es des Dégommeuses ; le drapeau arc-en-ciel géant déployé au Stade de France en 2019 pour l’ouverture de la Coupe du monde féminine de football ; ou encore la Pride sur l’eau, qui a remis du baume au cœur de la communauté transpédégouine en plein marasme lié au covid, en 2020. Mais ce que je retiens avant tout, ce sont les histoires d’amitié – et parfois d’amour – très fortes qui se sont nouées autour des terrains depuis la création des Dégos.
Dans le monde du football, les coming out sont toujours rares. Quelles sont vos principales revendications pour améliorer l’inclusion des personnes LGBTI+, et en particulier lesbiennes et trans ?
Effectivement, Pauline Peyraud-Magnin, la gardienne titulaire de l’équipe de France, est la seule à avoir fait son coming out parmi les joueurs et joueuses de foot de haut niveau français.es en activité. Cela en dit beaucoup sur la gêne et l’omerta qui demeurent dans le milieu du foot concernant l’homosexualité. La Ligue Professionnelle de Football a repris l’idée des flocages, lacets et brassards arc-en-ciel, développée précédemment en Angleterre, en partenariat avec les associations Foot Ensemble, Panam Boyz & Girls et SOS homophobie. Cela donne un peu de visibilité à la cause LGBT+ le temps d’un week-end mais cela permet aussi de se débarrasser de la question LGBT à moindre frais. Le reste de l’année, il ne se passe rien. Les clubs masculins et féminins ne font pas le boulot d’accompagnement qu’on a vu dans plusieurs pays pour des joueur.ses prêt.es à faire leur coming out. La FFF est quant à elle dans le déni absolu de l’homophobie, autant que du racisme et des autres discriminations. Et que dire de la question trans ?
Lors de notre dernier rendez-vous à la FFF, notre principale interlocutrice, haut placée dans la hiérarchie, avait admis tout simplement ne pas connaître le sens du mot « trans ». Dans ce contexte, notre principale revendication est la mise en place d’actions de sensibilisation contre le sexisme, les LGBTphobies et les discriminations, à large échelle, dans les clubs – y compris féminins – et au sein de la fédération. Ces actions doivent s’adresser aussi bien aux jeunes joueurs et joueuses qu’aux dirigeant.es, encadrant.es et supporters, pour être efficaces. De notre côté, sans disposer d’aucun poste salarié, nous prenons déjà notre part dans le travail de sensibilisation en menant des actions de proximité en partenariat avec des associations de quartiers, notamment dans le 20ème arrondissement. Nous profitons par ailleurs de cette tribune pour renouveler notre appel au coming out collectif des footballeur.euses français.es : si vous, joueur ou joueuse de haut niveau, hésitez à sortir du placard, dites-vous que faire ce coming out à plusieurs donnerait une portée encore plus forte à votre geste, tout en minimisant les coûts individuels de l’exposition médiatique. Les Dégommeuses se tiennent à disposition pour la mise en réseau et les contacts médias.
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