L'armée indienne censure le scénario du cinéaste Onir inspiré de l'histoire vraie d'un officier gay
En 2020, le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi a exigé que les cinéastes indiens soumettent à l'agrément des autorités militaires tout scénario touchant à l'armée indienne.
Le cinéaste indien Onir voulait tourner un film inspiré de l’histoire vraie d’un officier indien ayant quitté l’armée en raison de son homosexualité mais, en janvier dernier, les autorités militaires de la plus grande démocratie du monde ont frappé de leur veto son scénario.
« Elles m’ont dit (…) que dépeindre un militaire homosexuel était illégal », confie à l’AFP le réalisateur de Bombay acclamé par la critique, dont les films portent sur des personnages marginalisés, dont des personnes LGBT.
Onir, lui-même ouvertement gay, a fait appel du rejet de son scénario par l’armée.
En 2020, le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi a exigé que les cinéastes indiens soumettent à l’agrément des autorités militaires tout scénario touchant à l’armée indienne.
La décision a été aussitôt décriée par de nombreux militants de la liberté d’expression, dénonçant son caractère anticonstitutionnel. Selon ses détracteurs, elle s’inscrit dans le cadre d’une stratégie ciblant les défenseurs des droits humains, les journalistes et les organisations non gouvernementales, depuis que M. Modi est arrivé au pouvoir en 2014.
Onir juge cette situation « malsaine pour une démocratie ».
« Homo ! Fier ! Libéré ! »
Son projet intitulé We Are (Nous sommes) porte sur quatre personnages, une femme trans, une femme lesbienne, un homme bi et enfin sur cet officier gay, amoureux d’un jeune Cachemiri, inspiré de l’histoire vraie du major J. Suresh.
Après avoir quitté l’armée, le major, qui a servi dans certaines des régions les plus turbulentes de l’Inde notamment au Cachemire, a fait son coming-out en 2020, s’affirmant « Homo ! Fier ! Libéré ! ».
« Je suis gay et très fier de l’être », avait clamé l’ex-officier de l’armée sur son blog personnel avant de faire sensation dans un entretien inédit diffusé sur une chaîne de télévision nationale.
La vie de la communauté LGBTQ indienne a commencé à changer en 2018 après que la Cour suprême a abrogé une loi de l’époque coloniale interdisant les relations de même sexe, soit quatre ans après la reconnaissance légale des citoyens trans.
La semaine dernière, le ministre indien de la Défense, Ajay Bhatt, devant le Parlement, a défendu le rejet du scénario d’Onir, réfutant toute atteinte à la liberté d’expression.
« L’image de l’armée »
Le processus, selon lui, prend en compte des facteurs tels que la sécurité nationale, « les sentiments généraux des citoyens et l’image des forces armées » avant de délivrer un agrément, afin de s’assurer que l’armée « n’est pas représentée de sorte qu’elle s’en trouve discréditée ».
« La représentation d’une relation amoureuse entre un soldat de l’armée servant au Cachemire et un jeune local » dans le scénario d’Onir, a poursuivi M. Bhatt, « présente l’armée indienne sous un piètre jour et soulève des problèmes de sécurité ».
Mais le cinéaste de 52 ans argue que les scénarios dans lesquels un officier tombe amoureux d’une femme n’ont jamais été rejetés.
« Pourquoi la sexualité d’un individu devient-elle le baromètre de son patriotisme ou de sa capacité à défendre la nation ? », interroge-t-il.
Déjà en 2016, sur Yagg, le cinéaste lançait un cri d’alarme sur la censure dans son pays.
- Lire aussi : Inde : le cri d’alarme du réalisateur gay Onir
Le « certificat de non-objection » de l’armée est un sésame que les studios, les plateformes de streaming et les producteurs réclament désormais pour s’assurer qu’ils ne seront pas confrontés à des difficultés juridiques ou administratives pour l’exploitation de l’œuvre.
Armée et débat politique
Selon Hartosh Singh Bal, rédacteur en chef politique du magazine Caravan, la tentative de l’armée de « nier l’homosexualité » au sein de l’institution « participe d’une tendance générale au majoritarisme » (doctrine prônant la suprématie du plus grand nombre) de l’ère Modi.
« C’est problématique. Comment l’armée peut-elle décider de la manière dont elle est représentée, vue ou critiquée par le peuple ? », s’inquiète le journaliste basé à New Delhi.
Contrairement aux pays voisins comme le Pakistan, le Bangladesh et la Birmanie, qui ont connu des coups d’Etat militaires, l’armée indienne se tient traditionnellement à l’écart des débats sociaux et politiques.
Mais le gouvernement de M. Modi « a invoqué, à maintes reprises, l’armée avec sa poitrine patriotique gonflée, pour des raisons de politique intérieure », ajoute Hartosh Singh Bal, et dernièrement, des généraux ont « même commencé à se livrer à des commentaires politiques ».
« Je peux faire un parallèle avec une démocratie où l’armée est autorisée à contrôler la liberté d’expression : le Pakistan, de l’autre côté de la frontière », remarque M. Bal avant de souligner : « Mais personne dans ce gouvernement n’aime cette comparaison ».
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