Louis-Georges Tin a déjà à son actif un bilan militant impressionnant. Il a créé la Journée mondiale contre l’homophobie, il est ensuite devenu porte-parole puis président du Cran (Conseil représentatif des associations noires). Il est aussi un universitaire reconnu. Ses écrits sont parfois un brin provocateur mais souvent stimulants et tel est le cas de son dernier ouvrage, Les Impostures de l’universalisme, dans lequel il fustige les tenants de cette théorie qu’il juge « arrogante. » Selon lui, ceux qui parlent d’universalisme prône en fait un « uniformalisme ». Et l’histoire nous montre que cette pensée est en fait une nouvelle façon d’habiller la culture de la violence, où les minorités, qu’elles soient ethniques, de genre, de sexualité, sont toujours discriminées.
Louis-Georges Tin est aussi un fervent partisan de l’intersectionnalité et ses combats le montrent. Il a accordé une interview à Komitid.
Komitid : D’après vos propos dans ce livre, le mouvement LGBT est celui qui a obtenu « le plus de victoires ». Comment l’expliquez-vous ?
Oui, c’est vrai. Si on compare le mouvement LGBT aux autres mouvements de lutte contre les discriminations (sexisme, racisme, handicap, etc.), c’est sans doute celui qui, depuis vingt ans, a le plus engrangé de victoires.
La première explication, c’est la mobilisation et le courage des militant.e.s LGBT dans le monde entier. J’ai pu le constater régulièrement dans le cadre de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie. Des personnes qui étaient persécutées et qui risquaient leur vie ont malgré tout accepté de faire face.
Sunil B Pant, le représentant du Comité Idaho au Népal, s’est battu, alors qu’il était menacé de mort, puis il est devenu député et a fait voter dans son pays la dépénalisation et le mariage des couples de même sexe. Alice Nkom, notre représentante au Cameroun, tient tête au Président et à tous les homophobes du continent africain, et a reçu de nombreux prix à l’international.
Nous avons dans nos rangs des centaines, des milliers de héros, d’héroïnes, qui, avec un courage extraordinaire, ont faire reculer l’homophobie. C’est cela qui explique ces avancées notables.
La deuxième explication, c’est que nous ne pouvions que progresser, car nous étions le mouvement le plus persécuté au monde, et nous le sommes sans doute encore aujourd’hui. Dans 70 pays, l’homosexualité est pénalisée. Je ne connais aucun groupe qui soit dans une situation comparable. Donc malgré des avancées évidentes dans le monde entier, des avancées parfois même tout à fait inespérées dans certain cas, nous restons collectivement dans une situation extrêmement dramatique.
Votre livre aborde les questions de domination. Comment analysez-vous celles à l’oeuvre au sein du mouvement LGBT, en particulier cis versus trans, blancs versus personnes racisées, femmes versus hommes, qui tendent à reproduire les discriminations ?
Cela prouve hélas, une fois de plus, qu’on peut être tout à la fois discriminé et discriminant. Dans notre communauté, les gais sont souvent sexistes ; certaines lesbiennes sont islamophobes ; certains musulmans sont transphobes ; certaines personnes trans’ sont racistes, certains noirs sont follophobes, etc. Tout cela est très regrettable. Cela nuit à l’unité, et donc à la force, du mouvement LGBT.
C’est d’autant plus choquant que les gais blancs bourgeois célèbrent chaque année en juin la Pride, qui commémore les événements de Stonewall. Or celles et ceux qui ont lancé l’insurrection en 1969 étaient en grande majorité des travesti.e.s, des transsexuel.les, des prostitué.e.s, des racisé.e.s, etc. Autant de groupes pionniers qui, aujourd’hui encore, demeurent dans les marges du mouvement LGBT. Il faut le reconnaître, le mouvement LGBT, qui a récupéré le symbole de Stonewall, a une dette à leur égard.
Croyez vous qu’il est possible de parvenir à une « convergence des luttes » entre le mouvement antiraciste et le mouvement LGBT et quels en sont les principaux obstacles ?
Oui, absolument. Cette convergence est toujours d’actualité. Un exemple simple : le sida. Dès le début, en Europe, l’épidémie a été présentée comme étant la maladie des noirs et des homosexuels. Et on a mis du temps à s’y intéresser, puisque après tout, elle ne concernait “ que ” les noirs et les homosexuels. Il était donc urgent de ne rien faire. Et en outre, ces groupes ne travaillaient guère ensemble (c’est encore vrai, d’ailleurs, aujourd’hui). Donc la société a beaucoup tardé à réagir, ce qui a tué non seulement beaucoup de noirs et d’homosexuels, mais aussi beaucoup de blancs et d’hétérosexuels.
« Pour que les personnes appartenant à des groupes différents puissent militer ensemble contre les discriminations, il faut qu’elles comprennent l’intérêt qu’elles auraient à le faire. »
En Afrique, c’est la même chose qui s’est passée, mais à fronts renversés. L’épidémie a été longtemps perçue comme étant le problème des homosexuels, donc des blancs, puisque pour beaucoup de personnes sur le continent, il n’y a pas d’homosexuels en Afrique. Et donc, il était urgent de ne rien faire. On voit par là qu’en Afrique comme en Europe, les préjugés raciaux et sexuels ont tué des gens appartenant ou non aux minorités sexuelles et raciales. Sur les 30 millions de morts depuis le début de l’épidémie, combien de millions de vies auraient pu être sauvées, si le VIH n’avait pas été secondé par le virus des discriminations ?
Mais pour que les personnes appartenant à des groupes différents puissent militer ensemble contre les discriminations, il faut qu’elles comprennent l’intérêt qu’elles auraient à le faire. Il faut poser aux personnes concernées quelques questions simples : le sida des homosexuels est-il si différent du sida des Africains ? La question des sans-papier trans est-elle si différente de celle des sans-papier africains ? Les violences policières à caractère raciste sont-elles si différentes des violences policières homophobes dans de nombreux pays ? Les insultes homophobes dans les stades de foot le dimanche sont-elles si différentes des cris de singe dans les tribunes ?
« Les Impostures de l’universalisme », de Louis-Georges Tin, Textuel, 121 p., 17 €.