3 questions au Collectif Intersexes et Allié.e.s sur Caster Semenya
« Nous exigeons la fin des tests de féminité, la fin de la suspicion sur le genre et du contrôle des corps des femmes qui ne sont que des mesures intersexophobes et cissexistes prises au nom de la soi-disant nécessité d'assurer l'équité sportive. »
Interdite de compétition, la sportive sud-africaine Caster Semenya, devait porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. La justice suisse a en effet rejeté, le 8 septembre dernier, un recours déposé par la championne olympique contre le règlement de la Fédération internationale d’athlétisme. Celui-ci prévoit que les coureuses dont le taux de testostérone est inhabituellement élevé doivent le faire réguler pour être autorisées à concourir sur certaines distances. À 29 ans, la championne n’a pas envie de renoncer à sa carrière. Komitid a demandé au Collectif Intersexes et Allié.e.s de réagir à ce nouveau rebondissement.
Komitid : Le Tribunal fédéral suisse a rejeté les appels interjetés par Caster Semenya et l’Athletics South Africa. Comment interprétez-vous cette décision ?
Collectif Intersexes et Allié.e.s : Cette décision entérine à nouveau les décisions discriminantes, sexistes et intersexophobes, de la World Athletics (la fédération internationale d’athlétisme), au mépris des droits humains des personnes intersexes et du droit à l’intégrité de son corps.
Le Tribunal fédéral suisse appuie sa décision sur l’idée que le principe de « l’équité des compétitions » obligerait à limiter le taux de testostérone des femmes dites « hyperandrogènes » pour qu’elles ne soient pas avantagées par rapport à leurs concurrentes. Pour participer, ces femmes devraient donc suivre un traitement médical, lourd et aux effets secondaires nombreux, pour faire baisser leur taux de testostérone. Mais pourquoi n’auraient-elles pas le droit de concourir avec leur corps tel qu’il est ? Demande-t-on aux personnes qui auraient d’autres avantages physiques, de taille, de capacité respiratoire, de rythme cardiaque, etc. de limiter leurs capacités physiques innées ?
Il faut aussi souligner qu’il n’y a pas de règlement similaire chez les hommes pour assurer l’équité des compétitions masculines. On ne limite que les performances des femmes, les sportifs favorisés par la nature sont considérés comme des surhommes à valoriser, et personne ne suggère de leur faire prendre des traitements pour les affaiblir !
« Les études sur lesquelles s’appuie World Athletics sont très controversées et réalisées par des chercheurs dont l’indépendance scientifique est à questionner. »
Enfin, la testostérone est présentée comme le seul déterminant de la performance sportive alors que l’on sait très bien qu’elle n’en est qu’un parmi tant d’autres, biologiques et sociaux, et que son rôle n’est pas clairement établi et prouvé, en particulier dans les épreuves visées par la réglementation actuelle. Les études sur lesquelles s’appuie World Athletics sont très controversées et réalisées par des chercheurs dont l’indépendance scientifique est à questionner.
D’autre part, le fait que cette règle concerne le 400 mètres ou le 1500 mètres mais pas le sprint démontre son absurdité, comme le fait de définir sport par sport ce que serait le « corps normal » d’une femme alors que les athlètes de haut niveau sortent justement des normes. Que l’on exclue des femmes sur des critères de « masculinité » trop forte ne fait qu’alimenter un système sexiste en excluant toute représentation risquant de mettre à mal la représentation des genres à travers le vieux mythe des sexes fort ou faible. Tout cela nous conduit à dénoncer cette décision, dans la continuité de celles du Tribunal Arbitral du Sport, comme discriminante et inacceptable.
Quels impacts peut avoir cette décision dans le monde du sport ?
Cette décision ne fait que renforcer la situation actuelle et la validité du règlement de World Athletics établi en 2018 mais qui est en fait le résultat de la longue histoire sportive des tests de féminité et d’exclusion des femmes considérées « hors norme » du champ sportif. La participation des femmes aux compétitions sportives fait, depuis la naissance du sport moderne, l’objet d’un contrôle les empêchant de concourir librement et de performer, et les principales victimes de cet environnement sexiste au cours de l’histoire sont les femmes intersexes. La décision du Tribunal suisse confirme l’exclusion de femmes des compétitions d’athlétisme en demi-fond du seul fait qu’elles ne correspondent pas à la nouvelle définition discriminante que World Athletics utilise pour définir les femmes (posséder un taux de testostérone inférieur à 5nmol/L de sang).
« Aujourd’hui, les femmes doivent prouver qu’elles sont femmes pour pouvoir concourir. Les hommes, non. En quoi est-ce juste ? »
Sur le terrain judiciaire, elle oblige Caster Semenya et son équipe de juristes à se tourner vers de nouveaux recours internationaux pour tenter de faire tomber cette règlementation, désormais dénoncée par de nombreuses institutions internationales (Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, Association médicale mondiale,…), et lui permettre de participer aux prochaines épreuves internationales d’athlétisme et notamment les JO de Tokyo sur sa distance de prédilection, le 800 mètres. Et Caster Semenya n’est pas la seule concernée, plusieurs athlètes de demi fond africaines parmi les meilleures mondiales sont aussi interdites de compétition depuis la mise en place de ce règlement : Francine Niyonsaba et Margaret Wambui, médaillées olympiques à Rio, pour n’en citer que deux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les athlètes visées par ces attaques ne sont pas Blanches ; les plaintes viennent souvent d’athlètes blanches qui n’arrivent pas à rivaliser ! Il y a ici une dimension raciste incontestable.
Le sport féminin ne sort donc clairement pas gagnant de cette décision malgré ce que veut faire croire World Athletics : en quoi interdire aux meilleures athlètes internationales de concourir serait bénéfique au développement du sport féminin ? Aujourd’hui, les femmes doivent prouver qu’elles sont femmes pour pouvoir concourir. Les hommes, non. En quoi est-ce juste ?
Plus généralement, quelles sont vos revendications par rapport au monde du sport ?
Tout d’abord et tout simplement, nous voulons la fin de toutes les discriminations à l’encontre des sportives, quel que soit le fondement sur lequel elles s’appuient. Nous exigeons la fin des tests de féminité, de la suspicion sur le genre et du contrôle des corps des femmes qui ne sont que des mesures intersexophobes et cissexistes prises au nom de la soi-disant nécessité d’assurer l’équité sportive. L’équité sportive n’est qu’un fantasme que les institutions sportives aiment brandir pour masquer leur propre violence. Laissons les femmes pratiquer leur sport librement !
Au-delà de ce cas particulier, nous revendiquons la fin de la ségrégation sexuée dans le sport. Il est beaucoup plus logique de faire concourir les athlètes par catégorie de niveau ou sur des critères pertinents selon le sport, comme cela peut se faire par exemple avec le poids dans les sports de combat, plutôt que sur un critère de sexe qui devient finalement plus limitant que pertinent en termes de performance sportive.
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