Mathieu Magnaudeix : « Pour les activistes, Ruth Bader Ginsburg était une figure morale et une inspiration »

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Mathieu Magnaudeix, journaliste et auteur d'un essai sur les nouveaux activistes, évoque ce que Ruth Bader Ginsburg représentait pour les nouvelles générations de militant.e.s.

19 septembre 2020, les fleurs et les messages s'accumulent devant la Cour suprême, à Washington, après la décès de Ruth Bader Ginsburg - Jer123 / Shutterstock

Après avoir couvert pour Mediapart la campagne du candidat Macron pendant les élections présidentielles françaises, le journaliste Mathieu Magnaudeix est, depuis 2017, le correspondant du site d’information aux États-Unis. Dans Génération Ocasio-Cortez, Les nouveaux activistes américains, Mathieu Magnaudeix dresse le portrait de celles et ceux qui renouvellent l’engagement politique aux États-Unis en racontant leurs parcours et leurs méthodes.

Nous lui avons demandé de réagir à la mort (le 18 septembre dernier) de Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour suprême, figure majeure du combat féministe et pour les minorités ces dernières décennies.

Komitid : Vous avez écrit sur les nouveaux activistes américain.e.s. Que représentait Ruth Bader Ginsburg pour ces militant.e.s  et savez-vous comment ils et elles ont réagi à sa mort ?

 
Mathieu Magnaudeix : Pour ces activistes comme de nombreux Américain.e.s, en particulier les femmes, « Notorious RBG » était une figure morale et une inspiration. Le mot qui lui reste attaché est « dissent » : la dissension, manifester son désaccord, comme elle l’a fait maintes fois dans ses avis minoritaires à la Cour Suprême. Pour autant, RBG n’est pas une figure radicale et nombre des activistes que j’ai rencontrés m’ont plutôt mentionné d’autres figures, comme Angela Davis, la poétesse lesbienne Audre Lorde ou les militantes lesbiennes noires du Combahee Collective dans les années 70 etc. D’ailleurs, le véritable culte qu’elle a suscité dans les dernières années de sa vie dans les milieux progressistes m’a toujours frappé. C’est comme si nombre d’Américain.e.s voyaient sa présence à la Cour Suprême, et sa propre survie, comme une preuve que la démocratie américaine était toujours vivante face aux assauts de Trump. Pas étonnant que sa mort, pourtant attendue alors qu’elle était très malade, à 87 ans, d’autant plus à quelques semaines de l’élection présidentielle, résonne comme une sorte de chant du cygne de la démocratie américaine…
« C’est comme si nombre d’Américain.e.s voyaient sa présence à la Cour Suprême, et sa propre survie, comme une preuve que la démocratie américaine était toujours vivante face aux assauts de Trump.  »

Quel est son apport sur les questions féministes et les questions LGBT+ ?

Deuxième femme nommée à la Cour Suprême en 1993, Ginsburg a confondé l’ACLU, la célèbre organisation de défense des droits humains aux États-Unis. On peut citer l’arrêt « United States vs. Virginia » (1996) qui a inscrit dans le marbre le droit plein et entier des femmes d’accéder à l’université, ou ses positions constantes défendant l’avortement. Elle a évidemment défendu le mariage des couples de même sexe (2015). Mais elle s’est aussi rendu célèbre par des positions défendant les immigrés, les travailleurs ou les personnes souffrant de handicap.

Sa disparition signifie-t-il que les droits des femmes et des personnes LGBT+ pourraient être remis en cause par la Cour suprême ?

Le droit à l’avortement, consacré en 1973 par le célèbre arrêt Roe vs. Wade, est dans la ligne de mire des conservateurs américains depuis lors. Amy Coney Barrett, la juge conservatrice que Donald Trump espère nommer avant l’élection présidentielle du 3 novembre, une catholique fervente, y est personnellement opposée. Plus qu’une remise en cause de cet arrêt fondateur, il faut redouter qu’une Cour Suprême désormais solidement conservatrice ne cherche à augmenter la capacité des Etats à décider eux-mêmes de la législation sur l’avortement, facilitant la possibilité pour des Etats très conservateurs de compliquer la vie des femmes qui souhaitent avorter. Sur les droits LGBT+, il faudra particulièrement surveiller les droits des personnes trans, que la droite américaine cible constamment — on l’a vu ces dernières années avec les lois républicaines dans certains Etats obligeant les personnes trans à utiliser les toilettes correspondant à leur sexe de naissance.
 

Enfin question subsidiaire : RBG était connue pour ses phrases définitives. Y en a-t-il une en particulier que vous aimeriez citer ?

« I ask no favor for my sex. All I ask of our brethren is that they take their feet off our necks » (dans le documentaire RBG, de Juli Cohen et Betsy West).

Autrement dit : « Je ne demande pas de faveur pour mon sexe. Tout ce que je demande de nos frères c’est qu’ils enlèvent leurs pieds de nos nuques ». Tout est dit, non ?

« Génération Ocasio-Cortez, les nouveaux activistes américains », de Mathieu Magnaudeix, Éditions La Découverte, 290 pages, 19 euros.