3 questions à Rafael Herrero sur son enquête « Passif ? Actif ? »
« Il y a très peu d'études sur la construction du positionnement sexuel parmi les gays et les bis et notre étude est la première à être réalisée dans le monde francophone. »
Actif ? Passif ? Versatile ? Ces questions qu’on retrouve fréquemment sur les sites et applis de rencontre ont désormais droit de cité dans la recherche scientifique. On le doit à Rafael Herrero, docteur ès-sciences, médecin généraliste et chirurgien, spécialisé en gynécologie-obstétrique.
Il a lancé pour l’Université Paris-Descartes, au sein de laquelle il complète ses études en sexologie, une recherche destinée à mieux connaître l’évolution dans la vie de la sexualité des hommes gays et des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Ceci au moyen d’un questionnaire anonyme qui a déjà reçu de nombreuses réponses.
Rafael Herrero répond aux questions de Komitid.
Komitid : Pourquoi avez-vous lancé cette recherche et que ferez-vous des résultats ?
Rafael Herrero : La sexologie est une discipline scientifique et clinique qui veut s’attaquer à des nombreuses idées fausses dans le domaine de la sexualité, notamment le mythe d’une sexualité « naturelle » qui éliminerait la nécessité de toute étude. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la sexualité chez l’être humain est un comportement construit et non pas inné : il est le résultat d’une organisation biologique, psychologique et sociologique. De surcroît, il est en permanente évolution et transformation ! Cette étude a pour objectif d’étudier le parcours des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes et le processus de découverte des positions dites « active », « passive », « versatile » ou « non-pénétrante ». Quelle est la fréquence réelle des ces positions ? Quels sont les facteurs qui entrent en jeu dans la construction d’une préférence, d’une identité ou d’une pratique ? Y-a-t-il des influences physiques ou psychiques ? Quelles sont les difficultés ou facilités spécifiques des gays ou des bis ?
« Il y a très peu d’études sur la construction du positionnement sexuel parmi les gays et les bis. »
Il y a très peu d’études sur la construction du positionnement sexuel parmi les gays et les bis et notre étude est la première à être réalisée dans le monde francophone. J’aime l’expression en anglais To understand is to love (Comprendre c’est aimer) et nous, comme sexologues, souhaitons approfondir la compréhension de l’histoire et la personnalisation de la vie sexuelle des HSH afin de faciliter l’épanouissement érotique.
L’étude a déjà suscité un tel intérêt parmi les répondants que nous avons reçu très rapidement beaucoup de messages exprimant l’impatience de connaître les résultats. L’effet est tel que nous nous sommes rendus compte de la nécessité de faire, en plus des publications scientifiques (ce qui était notre objectif initial), des communications pour le grand public. Mais la rigueur est notre principe de base, donc il faut de la patience pour permettre une analyse exhaustive des toutes les réponses – que nous espérons très nombreuses !
Ne sait-on pas déjà énormément de choses sur la sexualité des gays et des HSH ?
Au contraire, on pourrait penser que nos connaissances en sexologie sont riches mais ce n’est pas le cas, et encore moins dans la population homosexuelle et bisexuelle. Les études scientifiques sur de larges populations ont moins de cent ans. Il faut rappeler qu’Alfred Kinsey ne publiera ses premiers résultats qu’en 1948 et que William Masters et Virginia Johnson ne publieront leurs recherches révolutionnaires sur la physiologie de l’acte sexuel qu’en 1966 ! La sexologie est une science relativement récente et la plupart des études ont été effectuées sur une population dite hétérosexuelle.
D’un côté, beaucoup des HSH affirment savoir beaucoup sur le « sexe » sans avoir besoin de faire des recherches scientifiques. Il est fondamental de ne pas confondre « mon expérience ou vécu » avec ceux des autres. Deuxièmement, il est de mise d’adopter une attitude prudente en des domaines que l’on croit bien connaître. Seule une étude scientifique large peut nous apporter des réponses fiables. D’un autre côté, la sexologie en France s’est intéressée assez peu à la spécificité des relations homosexuelles pensant qu’elles étaient tout à fait superposables aux relations hétérosexuelles. En plus, même si l’on peut avoir la sensation que beaucoup d’études ont été effectuées sur la population HSH, en général elles se concentrent sur l’aspect médical et surtout ont été menées à des fins de prévention de la transmission du VIH. La sexualité des homosexuels et bisexuels est bien plus riche et doit être étudiée.
« Une étude comme la nôtre permettra de fermer certaines portes ou d’en ouvrir d’autres. »
L’étude que nous effectuons ici est purement sexologique. C’est seulement avec des études scientifiques sur de larges échantillons que nous pouvons confirmer ou infirmer certaines théories ou hypothèses (ce qui a été le cas avec certaines théories psychanalytiques qui s’intéressent en général au symbolique au détriment de la dimension physique). Une étude comme la nôtre permettra de fermer certaines portes ou d’en ouvrir d’autres. Ce qui n’est pas inintéressant est de pouvoir analyser certaines idées assez répandues dans les communautés LGBTQI+ sur elles-mêmes afin de les valider ou les clore à jamais. Il s’agit ici avec cette étude tout simplement de mettre en œuvre le principe socratique Gnothi seaton, c’est à dire donner l’opportunité à la population gay, bisexuelle ou pansexuelle par le biais d’une étude descriptive de se connaître soi-même.
Pourquoi avoir limité votre enquête aux hommes cisgenres ?
La qualité indispensable d’une méthode scientifique rigoureuse est de bien cibler la population étudiée et d’éliminer les facteurs appelés « confondants ». Il y a une grande différence entre l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle et le parcours est assez différent selon que l’on parle de l’une ou bien de l’autre. Même s’il est évident pour nous qu’une personne FTM (Female to Male) est un homme et qu’il peut être gay ou bisexuel, l’histoire individuelle est spécifique à chaque identité sexuelle, chaque orientation sexuelle, chaque sexe biologique et chaque sexe psychologique. Notre étude se concentre sur l’être humain capable de choisir à tout moment entre pénétrer avec sa verge ou être pénétré par une verge, ce qui n’est le cas que dans une très faible proportion des FTM.
Nous tenons beaucoup à la communauté trans et nous ne souhaitons aucunement qu’elle ressente la moindre exclusion. Au contraire, nous réfléchissons à une étude spécifique à cette population. Nous aimerions faire appel* à un membre de la communauté gay trans qui souhaiterait participer ou diriger cette étude. Certaines études ont beaucoup plus de validité et de puissance lorsqu’elles émanent de la communauté objet de l’étude, lorsqu’elles sont construites et analysées par des membres de cette communauté.
Pour participer à cette recherche et répondre au questionnaire : https://www.sondageonline.fr/s/QuestionnairePassifActif
*Pour contacter directement Rafael Herrero, il nous a communiqué son mail : rafael.herrero[at]etu.paris descartes.fr
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