Ma première Marche des fiertés
La 41ème Marche des fiertés parisienne a eu lieu samedi 30 juin. Notre journaliste, qui marchait pour la première fois de sa vie à 24 ans, nous raconte comment il a vécu sa première expérience.
Mes yeux se sont ouverts bien avant l’alarme de mon réveil : ça y est, c’est le grand jour. Samedi 30 juin 2018, 7 heures du matin, d’ici quelques heures, je vais vivre ma première pride. Et j’ai hâte. Si le départ est donné à 14 heures sur la superbe place de la Concorde, j’ai plongé dans l’ambiance bien plus tôt dans la journée dans un appartement du 18ème arrondissement, près de la porte de Clignancourt. Celui de Yasmina, 26 ans, qui a décidé de faire de son chez elle le lieu de préparation pour la Marche, entourée d’une bonne quinzaine d’ami.e.s à elle. « C’est ambiance pride depuis jeudi », m’explique-t-elle, me montrant fièrement le drapeau de la fierté bisexuelle qu’elle a tricoté pour l’occasion. « Les premières personnes sont arrivées jeudi chez moi, on a fait atelier peinture de cheveux et visionnage du final de RuPaul’s Drag Race. Puis nous sommes allés à la Mutinerie, ensuite dans le Marais et on a passé une tête dans la librairie gay Les mots à la bouche… » De quoi bien se mettre dans l’ambiance. « Ça fait vachement de bien rien que ça, on se sent entourés, on se sent exister. »
Pour le coup, on se sent bien proches les un.e.s des autres à quinze dans ce petit appartement étroit. 13 heures, nous sommes à une heure du début de la marche, il y a celles et ceux qui mangent sur un coin de table des fruits et autres compotes, celles et ceux qui retouchent leurs paillettes à côté d’autres qui continuent de se peindre des arcs-en-ciel et autres couleurs symboliques sur le visage, les ongles et autres parties de leur corps, celles et ceux qui multiplient les allers et retours devant le miroir pour opérer les derniers ajustements de leur tenue, plus extravagantes les unes que les autres. « La préparation de la pride, c’est bien longtemps à l’avance ! », assure Clem, 21 ans. « Je pense à ma tenue depuis six mois, tout le monde a prévu ce qu’il veut depuis un bout de temps déjà ». Me voilà bien singulier avec mon short bleu marine et mon t-shirt d’un ennui abyssal face à cette bande de jeunes queers tous.tes plus flamboyant.e.s les un.e.s que les autres. Till, 23 ans, crop top flanqué du symbole de la fierté trans, a coupé ses cheveux exprès et les a teints en bleu. « Je vois ça comme une culture de l’extra, on se dit qu’on peut se montrer comme on veut. », explique-t-il.
L’heure tourne, on est officiellement à la bourre. C’est partie pour la checklist avant le départ : bouteilles d’eau, crème solaire… « L’année dernière on avait galéré, du coup on est plus prévoyant cette année », glisse Till. Sur ce terrain, Clem se pose en tant que « référent.e » : « Ça fait un mois que je réfléchis à la trousse de secours : pansements, antiseptiques, anti-ampoules, serum physiologique… », égraine-t-elle. Mais attend, on va bien à la pride ? « Oui mais c’est toujours plus agréable pour pouvoir continuer le parcours au lieu de galérer à trouver une pharmacie si quelqu’un se blesse. Comme ça on peut profiter à fond. Et y’a toujours un petit risque que ça déborde donc c’est mieux d’avoir les choses sur soi ». Entendu.
« je me sens représentée, exister »
13h30 passées, il est vraiment l’heure de partir. Nous voilà dehors et là, la force du collectif apparaît comme primordiale. « C’est important d’y aller en groupe parce que marcher tout seul dans cette tenue, ça interpelle les gens autour, tu ne te sens pas forcément en sécurité. Et aussi pour quand tu reviens, que tu quittes cette ambiance, je ne me verrais pas revenir tout seul. », me confie Till. Yasmina, qui s’apprête aussi à vivre sa première Marche, n’y allait pas avant justement pour ne pas être seule. « Je n’avais pas vraiment d’amis queer donc c’était difficile pour moi d’y aller, je ne me sentais pas légitime en tant que personne bi en couple avec un mec depuis six ans. Et j’ai rencontré tous ces gens là, j’ai compris que j’avais le droit d’exister autant que les autres. Quand j’entends des remarques homophobes autour de moi je me sens concernée, quand je vois la représentation bi, même si elle est très rare, je me sens représentée, exister. », lâche-t-elle.
Allons exister alors. Le petit groupe se met en route, chacun prenant rigoureusement soin de ne pas trop s’en écarter. Arrivé.e.s sur la ligne 8 direction la Madeleine, nous ne sommes plus les seul.e.s. Les portes du métro s’ouvrent à peine que les sourires et l’invitation des personnes déjà présentes dans la rame pourtant bondée font chaud au coeur. Mes yeux ne quittent pas un couple de mecs qui s’embrassent et s’enlacent. Depuis sept ans que je suis Paris, je crois bien n’avoir jamais vu ça dans une rame de métro. Je sens que ça va me plaire cette pride. Une fois à la station Madeleine, la foule est immense, un véritable convoi queer se dirige vers la sortie, la musique résonne déjà dans les couloirs souterrains.
« Mon corps, mon genre, ta gueule »
Nous voilà tous.tes dehors, le soleil cogne aussi fort que la musique, l’ambiance est déjà au rendez-vous, je sens que je ne vais pas être déçu du voyage. J’ai envie de prendre mon envol, promets au groupe qu’on va certainement se recroiser sur le parcours, je visse ma casquette rainbow sur ma tête et décide de filer vers la tête du cortège pour ensuite le remonter tranquillement. Entre temps, je suis totalement absorbé par tout ce que je vois : des personnes avec des tenues aussi flamboyantes qu’extravagantes, d’autres quasiment dans le plus simple appareil, des corps dénudés, des corps gros, minces, musclés, pailletés, peinturlurés, politisés par des slogans percutants. Des sourires à chaque tête que l’on croise, une joie de vivre fantastique qui transpire de chaque personne. Je passe mon temps à prendre en photo tout le monde autour de moi, à poser des questions aux personnes sur les superbes pancartes qu’elles brandissent fièrement. « Mon corps, mon genre, ta gueule » ; « You are not alone » ; « Pédés sans frontières » ; « Yes, we moule » ; « Égalité des chattes » ; « Vive la testo et les paillettes » ; « Pas de profits sur nos fiertés » ; « PMA, l’égalité n’attend pas » ; …
J’arrive à tracer à travers la foule impressionnante qui ne fait que se déployer autour de moi et à gagner la tête du cortège, un peu avant 15 heures. Hormis les pancartes aux slogans bien trouvés, les affiches sur les chars qui expriment diverses revendications, je retiens surtout de cette première traversée qu’une large place est accordée à la musique, à la danse, à la boisson, à la visibilité. J’ai pas signé pour la techno parade. Je m’attendais à être emporté par une ferveur, à scander haut et fort des mots d’ordre, mais pour l’instant je reste un peu sur ma faim. Je repense à toutes ces personnes qui m’ont assuré combien la Marche s’était peu à peu dépolitisée au fil des années, laissant davantage place à des chars commerciaux, incarnés par des marques que l’on n’entend peu ou pas le reste de l’année quand il s’agit de parler de nos droits et des discriminations dont leurs salarié.e.s peuvent être victimes.
Célébrer ce que nous sommes est une revendication
Puis j’entre dans une toute autre dimension de la Marche lorsque le collectif Stop au Pinkwashing prend la tête du cortège, des militant.e.s derrière une banderole « Queers et Trans Racisé.e.s contre l’homonationalisme » pour dénoncer les oppressions multiples auxquelles ils et elles font face. Ou encore « Nous ne serons plus vos cautions, nos fiertés sont en lutte ! » pour s’inscrire contre le mot d’ordre très controversé voulu par l’Inter LGBT (Les Discris au tapis), la présence de certaines entreprises privées mais également celle des quelques membres du gouvernement qui ont répondu présent. La tension est palpable, la Marche des fiertés prend à mes yeux tout son sens : si l’on y vient pour célébrer ce que nous sommes, ce qui est une revendication en soi, l’événement s’inscrit comme un moment intense d’expressions plus radicales.
Je m’emploie alors à rechercher des pancartes faisant allusion aux discriminations dans le sport, en écho au mot d’ordre officiel de la pride. Force est de constater que rien ne va dans ce sens. Changement d’état civil et dépathologisation des parcours trans, liberté de disposer de son corps et de son genre, ouverture de la PMA à tou.te.s, dénonciation du régime de Vladimir Poutine et des assassinats d’homosexuel.le.s en Tchétchénie, solidarité avec les personnes sans papiers… La lutte contre les LGBTphobies dans le sport n’a manifestement pas convaincue.
« Qui veut des bébééés ? »
L’après-midi est bien entamée, je suis obligé de faire des pauses à l’ombre pour fuir la chaleur assommante du soleil, boire de l’eau, reprendre des forces. Je croise des personnes que je connais et toujours cette même réaction, ce petit cri de joie de se retrouver dans ce cadre. Je commence à arrêter mes vas-et-vients entre les différents chars et décide d’abandonner un peu ma casquette de journaliste au profit de celle du marcheur qui profite comme il se doit du seul jour dans l’année où il peut s’approprier l’espace public sans crainte. La frustration de ne pas avoir mon copain près de moi est intense, j’aimerais l’embrasser, lui tenir la main, danser avec lui, sans avoir la moindre considération des regards extérieurs.
Je suis au niveau du char gouine-trans qui m’a attiré par l’énorme vulve qui a été construite à l’arrière du camion. J’y reste un bon moment, séduit par la musique électro et des slogans qui sont énoncés. La formule gagnante : festoyer tout en revendiquant l’ouverture de la PMA à tous les couples et les célibataires. Je me rapproche des enceintes, le son vibre jusque dans mes poumons, la voix au micro se lance dans un discours fort et conclut par un magistral : « Qui veut des bébééés ? ». Et là, je n’en crois pas mes yeux : des poupons qui valdinguent par dessus le char.
L’ambiance est incroyable, la musique toujours plus folle avec une Sophie Morello totalement déchaînée aux platines. L’odeur de poppers, quand ce n’est pas celle d’un pétard, embaume l’arrière du char. Je reste un long moment à profiter de cette proposition audacieuse, subversive, excité par ce que je suis en train de vivre. Puis je pense à Act Up-Paris et AIDES, les deux associations qui luttent activement contre le VIH/sida.
« Vous n’avez pas le monopole de la famille »
Cette année, elles ont été assignées à fermer le cortège pour ne pas avoir accepté de signer le mot d’ordre de l’Inter LGBT. J’arrive à leur niveau et suis principalement attiré par le char d’Act Up-Paris tout juste précédé des merveilleuses Soeurs de la Perpétuelle Indulgence qui, telles des conquérantes, battent le pavé en tenant leur faux ventre de femme enceinte derrière une banderole estampillée « Vous n’avez pas le monopole de la famille ». Leur démarche et leurs poses me fascinent. Tout autant que la posture adoptée par les militantes et militants d’Act Up, à la fois sobres dans les démarches mais tout autant percutant.e.s, comme toujours, dans leur slogan. « LR + FN = LREM », « Des molécules pour qu’on s’encule » ; « MigrantEs, leur “république” vous préfère mortEs », « En Marche, on crève ». L’image est impressionnante et me nourrit de ce tout ce que je recherchais dans cette Marche. Au micro, j’entends soudain : « On veut quoi ? La PMA ; Pour quoi faire ? Pour avorter ». Je suis stupéfait de la puissance du slogan qui transmet avec tant de force la liberté absolue que toutes et tous réclament. À ce moment-là, je me dis que j’en ai vraiment pris plein la vue et les oreilles.
L’arrivée place de la République s’inscrit comme le point d’orgue de cette journée de fierté. Une foule immense qui recouvre tout cette place que l’on fréquente si souvent, les personnes au balcon qui brandissent des rainbow flag… Je n’ai jamais vu Paris ainsi. C’est une autre face de ma ville que je découvre, une ville où je suis accepté et même célébré pour ce que je suis. « Tu aurais fait ta première pride l’année dernière, tu ne l’aurais certainement pas autant apprécié », me dit-on quand je fais remarquer à une connaissance que je suis surpris de la dimension très politique de ce que je viens de vivre. « Elle a repris cette dimension politique qu’elle avait perdue », me glisse-t-on. Cette phrase m’est restée et m’a fait beaucoup réfléchir : aurais-je vraiment déploré un manque de politisation les années précédentes ? En tant que novice, le simple fait de venir occuper l’espace public pour revendiquer ce que nous sommes s’inscrit comme une action hautement politique. Notre corps, notre identité, notre orientation sexuelle, tout cela reste aujourd’hui très politique. Je sens en tout cas que le questionnement est dans beaucoup de conversations.
La rue est à nous
Je me retire de la place de la République où le concert bat son plein. Je suis au bout de mes forces. Direction la rue du Temple où je ne peux qu’admirer combien les marcheurs et marcheuses ont envahi tout le quartier. Il est 21h30, je rejoins des amis dans un bar non loin de la place : tout le monde est assis par terre, sur la route, les trottoirs, des rainbow flags virevoltent tous les trois mètres. La rue est à nous. Je bois mon ultime bière, commandée dans la chaleur tropicale d’un rade qui n’a pas trouvé mieux pour accompagner la fin de ma Marche que de nous faire chanter à tue-tête un morceau de Céline Dion, Pour que tu m’aimes encore.
Je me sens bien, apaisé, heureux d’avoir mené à bien cette journée et d’en ressortir avec un sentiment de puissance. J’emprunte alors le chemin du retour, il est 22 heures, il fait bon. J’appelle Yasmina, lui demande comment va toute l’équipe. « J’épluche des patates et on regarde Pride. On reste ensemble plutôt que de retourner tout seul au placard », me lance-t-elle. Je m’engouffre dans les couloirs du métro Arts et Métiers et me retrouve dans une rame de métro pratiquement vide. Je cherche chez les personnes que je croise un sourire, un clin d’oeil, n’importe quel signe qui me dise qu’elles y étaient et que ce n’est pas terminé. Je m’éloigne peu à peu de tout ce qui m’a fait vibrer pendant toute cette journée le coeur serré en me disant : « à l’année prochaine ».
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