« L'expérience des personnes non-blanches sur Grindr ne va pas changer radicalement après la disparition des catégories ethno-raciales »
L'appli de rencontres gay Grindr annonce qu'elle retire l’ethnicité des critères de recherche. Komitid a demandé son point de vue à Miguel Shema, créateur du compte Instagram « Personnes Racisées Vs Grindr ».
Grindr va retirer le filtre de l’ethnicité dans la prochaine version de son application de rencontres gays et a expliqué avoir décidé cette modification en réponse à des demandes d’utilisateurs.
Cette décision intervient aussi dans un contexte de solidarité sur les réseaux sociaux, exprimée par des individus et certaines entreprises, en faveur des manifestant.e.s du mouvement Black Lives Matter qui proteste contre le racisme et les violences policières qui touchent les Afro-Américains.
Miguel Shema, créateur du compte Instagram « Personnes Racisées Vs Grindr », qui nous avait accordé une interview sur ce projet répond à nouveau aux questions de Komitid.
Komitid : Que pensez-vous du fait que Grindr retire ses filtres sur l’ethnicité ?
Miguel Shema : C’est bien que Grindr supprime ces filtres, il le fallait. Mais il ne faut pas être dupe sur l’effet que cette suppression aura sur le racisme sur Grindr. Il est vrai que c’est un geste symbolique, fort diront certain.e.s, mais l’effacement des catégories ne fait pas disparaître les catégories. L’expérience des personnes non-blanches sur Grindr ne va pas changer radicalement après la disparition des catégories ethno-raciales. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il ne faut pas donner plus de force aux plateformes qu’elles en ont réellement. Ce n’est pas Grindr qui a mis ces représentations sociales du monde dans les inconscients, elles y étaient déjà avant Grindr. Grindr n’a fait que suivre et reproduire ce qui existait déjà. Grindr a pu le renforcer, appuyer les structures de domination mais ne les a pas créés en faisant exister ces filtres.
Que pensez-vous des filtres sur les catégories raciales des applications de rencontre ?
Je pense que ce genre de filtres n’a rien à faire sur des applications de rencontre. L’indication des catégories raciales ici, et dans ce cadre précis, vient renforcer des schémas de pensées racistes déjà présents et ancrés dans les inconscients. Ceci étant dit, je tiens à complexifier mon propos. Les catégories ethno-raciales ne sont pas en soi des choses qui renforcent les schémas de pensées racistes, mais c’est plutôt la façon dont on utilise ces catégories qui peuvent venir ou pas appuyer l’idéologie raciste.
Je m’explique : là où les statistiques ethno-raciales qui peuvent exister en Angleterre ou aux États-Unis – et que je souhaite voir exister en France – permettent une utilisation politique des catégories ethno-raciales et donc rendent visible les structures de domination et leur fonctionnement, l’utilisation de ces catégories sur Grindr est une utilisation naturalisante. Des catégories sociales et socialement construites deviennent des catégories naturelles et naturalisantes.
La militante féministe lesbienne Monique Wittig écrivait dans La Pensée straight : « Aussi longtemps que les oppositions (les différences) ont l’air d’être données, d’être déjà là, « naturelles », précédant toute pensée – tant qu’il n’y a ni conflit ni lutte – il n’y a pas de dialectique, il n’y a pas de changement, pas de mouvement. ». Et c’est en cela que la critique que j’effectue sur l’utilisation que fait Grindr des catégories ethno-raciales n’est pas une critique généralisée des catégories ethno-raciales.
Que pensez-vous de la politique anti-discrimination de Grindr ?
Je pense que la politique anti-discrimination sur Grindr est très faible, voire inexistante. Mais cela fait un bon moment que je n’attends pas grand-chose des plateformes. Je pense qu’il faut lutter et que nos luttes et nos catégories de perception du monde social s’imposent à elles.
- « Nous voulons porter un message de solidarité » : la Marche des Fiertés parisienne mobilisée contre la transphobie
- « Je ne fais pas juste du visuel, il y a quelque chose de très politisé dans ce que je souhaite transmettre »
- 3 questions à la Fédération des festivals de films LGBTQIA+
- How to become : 3 questions sur la revue « The Daughters of Darkness »
- « L'univers drag brille par sa richesse et sa variété »