Trois bonnes raisons de voir « Douleur et gloire », le dernier film d’Almodóvar, en ce moment sur Canal+
Pedro Almodóvar illumine le présent et ses possibles en remontant le fil des souvenirs, de l’enfance, des amours perdues et de la naissance du désir.
Présenté au Festival de Cannes en mai 2019, le dernier opus du cinéaste espagnol est sans nul doute son film le plus personnel, le plus intime. Dans cet autoportrait sans filtre, Pedro Almodóvar décrit un cinéaste vieillissant et malade qui vit seul et ne parvient plus à écrire, à filmer, à travailler. Il illumine le présent et ses possibles en remontant le fil des souvenirs, de l’enfance, des amours perdues et de la naissance du désir. Attention chef d’œuvre !
1) Un autoportrait sans complaisance
Quand on sait que le réalisateur a fait reconstruire presque à l’identique son appartement madrilène en studio afin d’y tourner une bonne partie des scènes de Douleur et gloire, aucun doute n’est permis sur la nature de l’exercice de vérité auquel il se livre avec ce long métrage sorti sur les écrans en juin dernier et récompensé du prix d’interprétation au dernier festival de Cannes. La performance si justement récompensée (à défaut de la Palme d’or qui a échappé une fois de plus à l’enfant de la movida), c’est celle d’Antonio Banderas, complice de toujours depuis ses débuts dans Le Labyrinthe des passions en 1982, qui incarne l’alter ego du réalisateur, Salvador Mallo dit Salva.
Alors que sont célébrés par la Cinémathèque les 32 ans et la restauration de son film culte Sabor, Salva est dans l’impasse. Des douleurs quotidiennes l’empêchent de se remettre au travail, il se sent vieux, il se sent seul et l’héroïne ne suffit pas à apaiser ses souffrances. L’effet miroir Salvo/Pedro fonctionne parce qu’Almodóvar ne cache rien de ses propres errements : sa vie confortable et solitaire, sa propension à se laisser aller et à se raccrocher à son assistante pour les gestes du quotidien, sa difficulté à créer, à se renouveler. Sans jamais verser dans l’auto-apitoiement, un Almodóvar intime se reflète dans la précision du jeu d’un Banderas en majesté et révèle ses failles au fil d’un récit jouant sur plusieurs époques et dont la mise en scène ne cherche jamais les effets faciles. Avec Douleur et gloire, Almodovar érige la simplicité au rang de valeur cardinale d’un cinéma-vérité.
2) Le retour d’un amour comme déclencheur
Si la dynamique du film prend comme point de départ des réconciliations entre Salvador et Alberto, l’acteur de son film Sabor avec qui il était brouillé depuis le tournage, ce sont des retrouvailles avec un ancien amant qui vont être l’un des déclencheurs majeurs de sa volonté de remonter la pente.
En écrivant un texte intitulé L’Addiction, Salva s’était soulagé d’une partie de son passé et, par la même, de sa grande histoire d’amour avec Federico. Mais le hasard s’en mêle (c’est avec la coïncidence et le secret, présents ici aussi, l’un des motifs scénaristiques majeurs de l’œuvre d’Almodóvar) et les retrouvailles, brèves, donnent lieu à une scène d’une puissance évocatrice rare qui voit deux vieux amants se retrouver et faire le point au bord des larmes et du désir.
3) L’enfance et le désir comme révélateurs
Si le film est construit comme un parcours proustien dont la madeleine (un dessin) n’apparaîtra qu’à la fin, c’est qu’Almodóvar raconte aussi son enfance et sa mère. Le film s’ouvre sur ces femmes qu’il a tant observées petit et qui ont inspiré de nombreux personnages de ses films. Sa mère et ses voisines lavent le linge dans une rivière en chantant, pauvres et belles comme dans les films néoréalistes italiens. Et c’est Penélope Cruz, autre actrice fétiche du maître (et amie proche) qui interprète sa mère dans ces scènes de souvenirs disséminées dans le film et qui raconte à la fois les conditions difficiles, rudimentaires de son enfance mais également les débuts de sa passion pour le cinéma, sa collection d’images de stars hollywoodiennes collectées dans les emballages de plaques de chocolat et ses aptitudes hors du commun à l’apprentissage qui lui permettront de bénéficier d’une bourse pour étudier au séminaire.
Mais un souvenir d’enfance plus que tout autre pose la première pierre du destin de Salva/Pedro et jamais la naissance du désir, qui plus est homosexuel, n’avait été raconté comme ça. En une scène fondatrice, tout est dit avec pudeur et force : un jeune homme dans la force de l’âge, expose naïvement son corps de statue grecque en se lavant dans une cour et un enfant s’évanouit de fièvre saisit par des sensations qu’il ne parvient pas à comprendre mais qui le submergent, sont plus fortes que lui. Une scène merveilleuse d’intensité, de délicatesse et de vérité qui résume bien un film qui touche droit au cœur.
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