3 questions à Sasha du collectif Marche de nuit Toulouse
« Nous, trans, pédés, gouines, voulons apporter dans les rues des messages antifacistes et anticapitalistes. »
Le 26 juin 2015, la première Pride de Nuit a défilé dans les petites rues de Paris avec un logo presque communard : un poing fermé sur un éclair multicolore (et non un rainbow). Près de 1000 personnes s’étaient rassemblées sans char ni ordre d’apparition, sous des slogans forts et non festifs : « Stonewall n’était pas une soirée mousse », « ni patronales ni nationales, nos fiertés sont internationales », « nos corps, nos identités, nos choix », « queers antifa », « ni patrie ni patriarcat non c’est non »,« Gouines pédés, biEs et trans, contre l’État d’urgence » .
Le collectif à l’origine de la marche parisienne, conçue « comme un outil politique », a défilé de nombreuses fois cette année pour soutenir les migrant.e.s menacé.e.s par la loi asile immigration, ou donner de leur voix pour Moussa, le jeune guinéen bisexuel menacé d’expulsion. Mais il a décidé de ne pas défiler cette année pour éviter une institutionnalisation de ce qui ne devrait pas l’être, tandis que certaines villes ont décidé à leur tour de marcher de nuit, elles aussi. Si Lyon, Toulouse ont déjà marché pour s’approprier des rues fermées, Nice (la ville d’Estrosi) le fera ce soir pour la première fois.
Sasha, « militant pédé », occupe depuis trois ans les rues de Toulouse avec le collectif Marche de Nuit Toulouse. Il nous a expliqué pourquoi cet outil radical s’est imposé dans la ville rose.
Comment s’est créé le collectif Pride de Nuit à Toulouse ?
Sasha : Cela faisait plusieurs années qu’il y avait un cortège radical pendant la marche des fiertés, qu’il est important de repolitiser. À Toulouse, il y a une forte présence des militant.e.s LGBT et surtout historiquement une grande tradition révolutionnaire et je pense que cela explique certaines choses. Nous, les trans pédés gouines, avions alors la volonté d’apporter dans les rues des messages antifacistes, anticapitalistes. Act up Sud-Ouest a proposé une première réunion à tous les collectifs qui composaient le cortège radical, des gens qui s’étaient trouvé.e.s ensemble en 2013 en opposition à la Manif Pour Tous.
Et c’est à ce moment-là que nous avons eu la volonté de créer cette marche par et pour les trans, pédés, gouines, queer et racisé.e.s. À Toulouse, nous avons décidé de faire cela la veille de la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, pour nous approprier des rues et des quartiers où l’on ne se sent pas forcément en sécurité. Par exemple nous étions passé.e.s par la place Saint-Pierre qui est un peu hétéroland ici : il y a beaucoup d’étudiants et beaucoup d’agressions de meufs en particulier. De la même façon que Lyon ne voulait pas contourner le centre-ville tenu par les fachos, nous voulions occuper cet espace et y marcher en non-mixité. Il se trouve qu’après une forte pression de la Préfecture, nous n’avons pas été autorisé.e.s à passer dans l’hyper centre, alors qu’Alliance Vita a pu faire une action contre la PMA, Place du Capitole…
Vous avez donc choisi la non-mixité, pourquoi cela reste un outil efficace aujourd’hui ?
La question s’est vraiment posée cette année. Les agressions, c’est nous qui les vivons, nous les concerné.e.s. Cette ville, à 99 % c’est hétéroland toute l’année et ce n’est pas safe pour nous, pour les meufs, les racisé.e.s. On veut montrer par la non-mixité qu’on est plus fort.e.s ensemble et que l’on a pas toujours besoin de nos allié.e.s tout le temps.
Pendant la marche, nous n’avons pas eu à faire la police : nous avons fait confiance et tout s’est bien passé. Bien sûr, cela a questionné les associations mainstream mais ça a permis d’en parler, de discuter et ça n’avait pas été fait à l’échelle locale jusqu’à présent. Donc c’est hyper positif.
Cette ville, à 99 % c’est hétéroland toute l’année et ce n’est pas safe pour nous, pour les meufs, les racisé.e.s.
Quelles relations entretenez-vous avec les Prides de nuit des autres villes ?
Des personnes de Lyon sont venu.e.s et nous avons été contacté.e.s par des personnes à Bordeaux et à Nice ! Les liens sont forts, parce que d’ici on ressent ce qui se passe pour les trans pédés gouines à Lyon, on sait ce qui se passe à Nice, le bastion d’Estrosi… nous cherchons une visibilité collective parce que nous ne sommes pas des pédés blancs parisiens.
Et notre engagement collectif, local et entre les villes, c’est une dynamique : nous l’utilisons toute l’année pour d’autres mobilisations. Par exemple, nous étions nombreux et nombreuses, de manière informelle, à nous battre sur le dossier de l’hôpital de La Grave. Nous avons fait une réunion bilan à l’issue de la marche et nous avons décidé que nous redescendrions dans la rue le 16 mai 2019.