Adèle Haenel au New York Times : « On a un système judiciaire qui ne fait pas des violences faites aux femmes sa priorité »
L'actrice a donné une interview au New York Times lundi, la première depuis son témoignage en novembre 2019. Elle évoque #MeToo, l'affaire Ruggia, l'inaction du gouvernement français sur les violences faites aux femmes et la nomination de Roman Polanski aux César.
L’actrice Adèle Haenel a accordé un long entretien au New York Times lundi 24 février. C’est la première fois qu’elle s’exprime dans un média depuis son témoignage sur l’affaire Ruggia, en novembre dernier sur le plateau de Mediapart.
L’actrice a donné son avis sur le mouvement #MeToo en France, qu’elle qualifie de « paradoxe » : « C’est l’un des pays où le mouvement a été le plus suivi, du point de vue des réseaux sociaux, mais d’un point de vue politique et médiatique, la France a complètement raté le coche ». « Beaucoup d’artistes ont confondu, ou voulu confondre le jeu sexuel et l’agression. Le débat s’est positionné sur la question de la liberté d’importuner, et sur le prétendu puritanisme des féministes. Alors qu’une agression sexuelle est une agression, pas une pratique libertine », ajoute-t-elle.
« Le débat s’est positionné sur la question de la liberté d’importuner, et sur le prétendu puritanisme des féministes. Alors qu’une agression sexuelle est une agression, pas une pratique libertine »
Interrogée sur son choix de s’exprimer dans les médias avant de porter plainte, elle répond : « Parce qu’on a un système judiciaire qui ne fait pas des violences faites aux femmes sa priorité. Des personnalités politiques ont exprimé leur surprise, mais savent-ils ce que c’est, aujourd’hui, pour une femme, de se retrouver dans le système judiciaire en France ? Est-ce qu’on prend en compte les grandes difficultés qui jalonnent le parcours d’une femme victime de violences sexuelles ? »
Un mauvais traitement des violences faites aux femmes en France
Adèle Haenel s’est également exprimée sur le traitement des violences faites aux femmes en France. Elle déplore les termes juridiques employés pour qualifier les faits, qui mettent l’emphase sur « la technique de l’agresseur, pas l’absence de consentement de la victime ». La comédienne rappelle également qu’il faut croire toutes les femmes qui ont le courage de témoigner. « Dès qu’une femme a moins de pouvoir qu’un homme, on la soupçonne de vouloir se venger. On n’a rien à gagner à se dire victime et les conséquences sur la vie privée sont très négatives », affirme-t-elle.
La jeune femme lance un appel : « La justice doit s’amender pour mieux traiter les femmes victimes de violence sexuelle. À tous les niveaux. »
« Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes »
La comédienne s’est exprimée, pour la première fois, sur les nombreuses nominations du film J’accuse de Roman Polanski aux César 2020. Le message est clair : « Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire, “ ce n’est pas si grave de violer des femmes ” », déclare-t-elle. Et elle ne s’arrête pas là : « À la sortie de J’accuse, on a entendu crier à la censure alors qu’il ne s’agit pas de censurer mais de choisir qui on veut regarder. Et les hommes riches, blancs, rassurez-vous : vous possédez tous les moyens de communication ».
Pour Adèle Haenel, « la vraie censure dans le cinéma français, c’est l’invisibilisation. Où sont les gens racisés dans le cinéma ? Les réalisateurs racisés ? Il y a des exceptions, comme Ladj Ly, dont le film rencontre un immense succès, ou Mati Diop, mais ça n’illustre pas du tout la réalité du milieu du cinéma. Cela reste minoritaire. Pour l’instant, on a majoritairement des récits classiques, fondés sur une vision androcentrée, blanche, hétérosexuelle ».
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