How to become : 3 questions sur la revue « The Daughters of Darkness »
Komitid a sollicité la maison d'édition How to Become pour présenter sa nouvelle revue, « The Daughters of Darkness », sous-titrée « An erotic nightmare of vampire lust», un numéro qui explore l'histoire du cruising lesbien et la figure de la vampire.
Fondée en 2016 par un collectif d’artistes et écrivaines majoritairement lesbiennes, How to become est une maison d’édition autogérée basée à Paris. Parmi les publications déjà parues on peut citer How to become A Lesbian ou How to become A Body Double (disponibles sur le site).
Cette maison d’édition propose aussi des ateliers d’écriture et de recherche gratuits, une fois par mois, à Paris, en non mixité (ouverts à tous·tes sauf aux hommes cis-hétéros).
Komitid a sollicité le collectif pour présenter la nouvelle revue, How to Become The Daughters of Darkness, sous-titrée An erotic nightmare of vampire lust, un numéro qui explore l’histoire du cruising lesbien et la figure de la vampire.
Avant de répondre à nos questions, le collectif* a souhaité prendre la parole sur la situation en Palestine.
« Avant de répondre à vos questions, nous ne pouvons pas nous taire sur l’urgence absolue d’un cessez-le feu en Palestine. Nous invitons toutes les personnes à ne pas seulement écouter de loin, regarder parfois, mais vraiment à se renseigner et à apprendre de l’histoire de ce peuple et de ce qui est en jeu dans cette occupation depuis 75 ans. L’urgence est dans l’immédiat que les horreurs qui se déroulent en continu sous nos yeux dans l’enclave gazouie s’arrêtent, que les exactions illégales dans les territoires occupés s’arrêtent, tout de suite. Et l’urgence c’est aussi se demander si on veut un futur fait de cette impunité militaire là, de cette propagande là et de ce genre de démocraties là. Fermer les yeux sur la Palestine, au moment où, en France, et en Europe, on glisse vers une fermeture des frontières, c’est fermer les yeux sur les tactiques politiques et policières qui nous divisent, c’est fermer la porte aux liens qui alimentent notre interdépendance affective. Voici quelques organisations à consulter entre autres : https://stoparmingisrael.org, https://www.alandforall.org , https://machsomwatch.org/en, https://www.breakingthesilence.org.il , http://www.alqaws.org, et lisons, traduisons, publions des auteur·ices et des poète·sses palestien·nes ; celles et ceux qui ont été assassiné·es et celles et ceux qui sont vivant·es. On a encore beaucoup de choses à apprendre. »
« La question c’est de savoir quelles stratégies les lesbiennes ont utilisé et utilisent pour que le sexe sorte de la sphère du privé / de la maison »
Komitid : Quelles ont été vos intentions et vos envies en publiant « How to Become The Daughters of Darkness » ?
Collectif How to Become : Depuis le fond des temps, les lesbiennes se demandent où se retrouver pour faire leurs petites affaires. Wendy Delorme décrit bien dans Quatrième génération l’imaginaire mainstream des lesbiennes « qui baisent en couple dans leur chambre à coucher et s’écrivent des lettres d’amour ». Or, si on cherche à se faire secouer le buisson avant d’aller à la messe, on va où ? Aucun panneau, aucune boussole ne l’indique ! Évidemment, même du temps de Marie Antoinette, ça froufroutait dans les coins et les donzelles partaient en quête d’aventures sexuelles. La question c’est de savoir quelles stratégies les lesbiennes ont utilisé et utilisent pour que le sexe sorte de la sphère du privé / de la maison. Concrètement, l’idée de tracer une histoire et une géographie du cruising lesbien nous a été soufflée par notre chouchou Samuel R. Delany, un auteur afro-américain gay qui dans son livre Times Square Red, Times Square Blue propose d’imaginer un cruising incluant des meufs, des lesbiennes ou des hétéros d’ailleurs, à travers la création de lieux dont elles seraient les gestionnaires. Nous avons pris Delany au sérieux et sommes parti·es du principe que cela existait déjà, et avait existé, mais sous des formes moins visibles et instituées que pour les hommes gays. Donc, nous avons mené collectivement des recherches sur tout le territoire français, Nelle Gevers et Slalomé·e, des contributeur·ices, nous parlaient de trucs qui se passaient à Marseille, Joyce Rivière, une autre contributrice, à Saint-Etienne, de fil en aiguille on commençait à voir une carte apparaître balayant différentes zones… Mais, nous avons également inclus nos propres utopies de cruising, nos rêves, car, vu la difficulté à occuper l’espace public et la difficulté pour trouver des traces de ces pratiques sexuelles, nous ne voulions pas nous contenter des miettes laissées par le rouleau compresseur de l’Histoire. Et puis, on a découvert les archives de La Chocha, les photos, interviews et flyers de soirées « Ladies (Back)Room » qu’elle a organisées au Dépôt. Certain·es des auteur·ices publié·es dans How to Become The Daughters of Darkness ont eu la chance de pouvoir physiquement participer à ces soirées, comme Felix* Kazi-Tani qui revient sur leur histoire dans son texte et raconte que, finalement, ça ne baisait pas tant que ça dans les cabines… Est-ce que cela avait un rapport avec l’architecture du lieu ? Ou est-ce une conséquence de la socialisation « femme » (pour qui la multiplication des expériences sexuelles est rarement synonyme d’ascension sociale) ? Probablement un peu les deux. Mais nous avons aussi trouvé peu d’informations ou de récits sur les possibilités de « cruiser » dehors : les parcs ? Les parkings ? Les quais ? Toute l’architecture que nombre de mecs gays ont exploré pour se faire plaisir… Les seules meufs qui se sont risquées dans ce genre d’errance sexuelle, de façon récurrente, ce sont les vampires, peut-être parce qu’elles utilisent aussi le cruising pour se nourrir. C’est pour ça qu’elles ont une place importante dans notre publication, c’est pour ça qu’on a voulu traduire et publier The Letters of Mina Harker de Dodie Bellamy par exemple, laquelle s’est réappropriée la littérature très cul des mecs gays qui l’entouraient (Dennis Cooper en particulier) pour mettre ces mots dans la bouche d’une femme, une femme qui mute vampire.
« Les soirées clubbing pour draguer et les sex-parties organisées dans des lieux prévus à cet effet sont une petite partie de notre vision du cruising »
Il est beaucoup question de sexe lesbien, de clubbing, avec de nombreuses références aux années 90 et 2000. Ce monde-là est-il toujours bien vivant ?
Non c’est mort, maintenant on baise et on fait la teuf dans les cimetières 🙂 En vrai, on a découvert l’année dernière les soirées Monts et Merveilles, organisées par le collectif du même nom. Iels proposent des sex parties, l’une d’elles se passait aux Bains d’Odessa dans le 14ème arrondissement de Paris. On a bien kiffé se toiser et se chercher entre des bustes en marbre d’Aristote, de Catulle, dans la vapeur, écouter les fessées, fists et cris derrière les rideaux de velours… Après, c’est un budget : 20 euros, et c’est épisodique. C’était jouissif d’accéder à ce lieu exclusivement destiné à un public gay. Question clubbing goudou, on peut dire la même chose : depuis la disparition du Pulp, on squatte des lieux gérés par des mecs, majoritairement, pas de QG clubbing et cruising géré par et pour des meufs ou en mixité choisie en Île de France, à notre connaissance… Mais, ça sécrète une géographie différente de la « communauté » et des récits différents de la nuit. Le quartier lesbien – si on veut comparer avec tout ce qu’a pu écrire Dustan sur son rapport à la ville en tant que mec gay – ça n’existe pas et est-ce que c’est souhaitable ? Il peut y avoir un sentiment de nostalgie face à la fermeture de certains lieux mythiques comme Le Pulp, même pour celleux qui ne l’ont pas connu, mais il y a surtout eu une prolifération de soirées depuis (La Wet / les Flash Cocotte / les concerts et sex-parties de La Mutinerie / les soirée et DJ sets qui étaient organisées par Dora Diamant et Tabatha Weisberger ou Clara Pacotte aux Souffleurs, à Udo, au 17 / les Dykes Ménopause à La Folie / certaines soirées de la Flèche d’Or / Les Sexy Night des Mont et Merveilles qui ont maintenant un lieu, pour en citer quelques-unes dont on se souvient. [Ces soirées] ont pris la relève et font le taf de retourner certains lieux, temporairement, pour les gouines + les trans. C’est super, le seul problème, vu le nombre exponentiel de lesbiennes, c’est qu’il en faudrait beaucoup plus ! Et aussi, il « putain de » faudrait que le collectif archives LGBTQI+ ait un lieu pérenne pour pouvoir, entres autres, archiver tout ça. Après, si on sort un peu de ce qui existe déjà (merci d’exister !) et que tu lis bien le livre qu’on a publié, tu remarqueras que les soirées clubbing pour draguer et les sex-parties organisées dans des lieux prévus à cet effet sont une petite partie de notre vision du cruising. En fait, beaucoup de récits situent du très bon sexe dans des bibliothèques publiques, des grottes, sur des toits et dans des magasins de vente d’aspirateurs.
« Notre maison d’édition fonctionne depuis le départ avec des ateliers d’écriture et de traduction ouverts à tous·tes (en mixité choisie sans mec cis hétéro) »
Comment s’est fait le choix des auteur·ices et des thèmes abordés ?
On n’a fait aucun choix pour la simple et bonne raison qu’on ne pratique pas la sélection dans notre façon de publier. Notre maison d’édition fonctionne depuis le départ avec des ateliers d’écriture et de traduction ouverts à tous·tes (en mixité choisie sans mec cis hétéro) où s’amorcent nos pistes de recherche. C’est de cette façon que l’on rencontre de nouvel·les auteur·ices et artistes. Ce sont iels qui décident ensuite de proposer un texte ou une série d’images pour une revue que l’on dessine collectivement, celui-ci est le numéro 5. Nous publions une revue par année subjective, nous n’avons pas d’échéances précises, d’autant que nous sommes principalement bénévoles dans ce projet. Nous attachons néanmoins une importance à rémunérer correctement les auteur·ices et artistes publié·es et la graphiste : Martha Salimbeni sur ce numéro, laquelle a aussi créé pour l’occasion une typographie et des dessins qui parcourent la revue. Jusqu’ici nous nous sommes surtout réuni·es chez les un·es et les autres, à défaut d’un espace d’accueil et de travail, et puis le covid et ses conséquences sociales ont rendu de plus en plus compliqué les rassemblements et beaucoup de personnes ont aussi quitté Paris. Pendant un an, on a quand même eu la chance de pouvoir être accueilli·es au squat le Malaqueen à Malakoff, puis tout le monde a été expulsé en 2023 et il a fermé. Ainsi, les moments où nous nous réunissons sur plusieurs jours, dans le cadre notamment des résidences à Treignac en Corrèze, deviennent souvent les moments où les thèmes des revues apparaissent. Un grand merci d’ailleurs à Sam Basu et Liz Murray, qui nous accueillent là-bas, au centre d’art Treignac Projet, chaque année depuis sept ans. Dernièrement, quand on a été déposer nos livres chez Violette and Co (et oui on fait ça nous-mêmes en caddie, on n’a pas les moyens d’avoir un·e diffuseur·euse !) Olivia nous a parlé de l’espace asso au sous-sol de la librairie et nous a dit qu’on pourrait y faire des trucs. La Régulière aussi, une librairie féministe dans le 18ème, nous a proposé d’utiliser leur espace pour des ateliers ou des trucs. On se retrouve là-bas ? <3
*Barbara Sirieix, sabrina soyer, Lætitia Paviani, Lorca Coquelicot, Sofìa Quintero, Camille Kingué et Mélanie Blaison pour How to Become
« The Daughters of Darkness », How to become, 191 p., 20€191 p., 20€
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Pourquoi cette maison d’édition basée à Paris publie-t-elle en anglais ? C’est un éditeur anglophone ?