Anne Souyris, sénatrice : « Le rôle des politiques est de briser le silence sur ces guet-apens homophobes »

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La sénatrice de Paris, Anne Souyris, récemment élue, est intervenue mardi 5 décembre pour interpeller le gouvernement sur les guets-apens homophobes. Komitid l'a interviewée pour en savoir plus sur sa démarche. 

Anne Souyris, sénatrice de Paris (GEST)
Anne Souyris, sénatrice de Paris (GEST) - DR

En avril dernier, Mediapart diffusait un documentaire glaçant, Guet-apens. Des crimes invisibles sur les agressions d’hommes piégés en raison de leur homosexualité. Dans leur enquête rigoureuse, les journalistes Sarah Brethes, Mathieu Magnaudeix et David Perrotin avançait le chiffre de plus de 300 victimes de guet-apens recensées en cinq ans, même si ce chiffre est sans doute sous-estimé. Samedi 2 décembre, Mathieu Magnaudeix intervenait lors des Rencontres LGBTI 2023 de SOS homophobie, et il soulignait le peu de mobilisation de l’Etat sur ce phénomène.

La sénatrice de Paris, Anne Souyris (Groupe Écologiste – Solidarité et Territoires), élue en septembre dernier, est intervenue mardi 5 décembre dans l’enceinte du Palais du Luxembourg pour interpeller le gouvernement sur les guets-apens homophobes et les mesures à prendre en matière de formation, de dépôt de plainte, de mesures sur les sites de rencontre. Komitid l’a interviewée pour en savoir plus sur sa démarche.

Komitid : qu’est-ce qui a motivé votre volonté d’interpeller le gouvernement sur les guets-apens homophobes ?

Anne Souyris : Il faut parler de ce fléau invisible, ou plutôt « invisibilisé ». C’est environ une personne gay qui est victime d’un guet-apens homophobe par semaine. Des homosexuels sont humiliés, frappés, parfois tués dans le plus grand silence, sans que cela n’émeuve personne. Les récits d’agressions s’accumulent, et les réponses gouvernementales sont absentes. Il y a aussi de grandes difficultés pour les victimes de faire reconnaître le caractère homophobe de l’agression du fait de la violence de l’attaque et de la honte ressentie, ce qui par ailleurs est très difficile pour des personnes qui ne sont pas forcément out auprès de leurs proches. Si pour Joël Deumier, le président de SOS Homophobie, « les guets-apens font l’objet d’une loi du silence », le rôle des politiques est de briser le silence sur ces guet-apens homophobes, et de mettre sur la place publique ce sujet pour des avoir des réponses claires, des solutions et une réelle volonté de l’Etat pour mettre fin à ce fléau.

« Il faut réfléchir à certaines dispositions exigeant des fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès des sites qui permettent voire propagent la violence sans réagir »

Quelles seraient selon vous les mesures concrètes qui pourraient être mises en place contre ce phénomène ?

De nombreuses victimes rencontrent leur futur agresseur sur le site de discussion en ligne Coco. Hébergé sur l’île de Guernesey, et propriété d’une société bulgare, on nous dit qu’il est aujourd’hui difficile de fermer ce site qui est devenu un terrain de chasse pour les homophobes pour appâter des potentiels cibles, et ainsi les voler, les tabasser ou les humilier, jusqu’à les tuer. Le gouvernement doit faire tout ce qui est possible pour le rendre le moins accessible, et restreindre son accès à un plus grand nombre. Je rejoins la proposition de SOS homophobie d’exiger des sites de rencontres concernés par les guets-apens de mettre en place un dispositif de prévention par la diffusion de messages d’alerte qui doivent apparaître dans les espaces de discussion. Mais il faut aller plus loin, je pense qu’il faut réfléchir à certaines dispositions exigeant des fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès des sites qui permettent voire propagent la violence sans réagir, comme on le fait déjà pour certains sites. Cela signifie une volonté politique et des changements législatifs : comme pour toute affiche ou tout journal est sous la responsabilité finale de l’imprimeur, les sites doivent être sous la responsabilité de l’hébergeur. Dans ce cas précis, il faudrait que Coco et les sites concernés soient tenus de mener des campagnes publiques pour informer et sensibiliser sur ces guets-apens sous peine d’être fermés. Avant tout, c’est une volonté politique affichée de l’Etat qui doit montrer qu’on ne peut pas, en France, « casser du pédé » en toute liberté. Dans le même ordre d’esprit, et comme pour toutes les violences sexistes et sexuelles, il faut former les policiers à prendre les plaintes, notamment lors d’agressions homophobes. Combien de personnes LGBTQ+ refusent de porter plainte de peur qu’on minimise la violence qu’ils ou elles ont reçu ? Qu’on ne retienne pas la circonstance aggravante ? Il est grand temps de changer cela.

Qu’avez-vous pensé du débat consacré à la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la discrimination homophobe entre 1942 et 1982 ?

C’est toujours le même sujet, c’est la prise en compte de la violence envers les personnes LGBTQ, ici les homosexuel.les. C’est toujours le même schéma, des personnes ciblées parce que gay ou lesbienne. Des policiers se faisaient même passer pour des homosexuels afin de prendre sur le fait des homosexuels et pouvoir les condamner. Ces deux sujets sont liés, ce sont le symptôme d’une homophobie constante, de l’arrestation d’homosexuels et de leur fichage jusqu’en 1982, jusqu’au laisser faire des autorités de ces guets-apens qui ne datent pas d’hier. En effet, comme le montre le documentaire de Médiapart, les années 90 sont des années noires pour les homosexuels, où près de 20 % des dossiers à cette époque à la Brigade criminelle concernaient des meurtres d’homosexuels. Il s’agissait dans cette proposition de loi de reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans la criminalisation de l’homosexualité. Et cette criminalisation a institutionnalisé la haine contre les homosexuel.les, comme les guet-apens d’aujourd’hui. Il est temps de le reconnaître, et de réparer les dommages causés. La question des dates n’est pas secondaire. Ne pas vouloir prendre en compte les années vichystes, parce que ce n’était pas la République Française est très grave, surtout lorsqu’on sait que le système de pénalisation est resté quasiment identique de 42 à 1982, sans compter que Vichy a bien été mis en place par notre parlement républicain.

Suite à sa question, Sylvie RETAILLEAU (ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche) a répondu au nom du gouvernement. Mais elle n’a fait aucune annonce concernant la prévention de ces guets-apens et notamment sur les mesures à prendre sur les sites tels que Coco. 

 

Ci-dessous, la question orale d’Anne Souyris et la réponse du gouvernement :