Coup de gueule de Muriel Robin : échange hallucinant entre Laure Adler et Pascal Bruckner sur France Inter
Déluge de lieux communs, d'inexactitudes et d'incompétence ce matin sur France Inter à propos du discours de Muriel Robin, avec Laure Adler, Pascal Bruckner et Léa Salamé.
« Je ne fais pas de cinéma parce que je suis homosexuelle ! Citez moi un ou une homosexuel·le qui a réussi a faire une grande carrière, il n’y en a pas ». Depuis les mots forts de Muriel Robin samedi 16 septembre sur le plateau de Quelle Époque, présenté par Léa Salamé, le débat ne cesse de faire parler : le cinéma est-il oui ou non un milieu encore imprégné d’homophobie ?
Alors qu’Internet se bagarre sur la question à coup d’exemples hasardeux d’acteurs gays ou d’actrices lesbiennes qui auraient réussi malgré tout, Léa Salamé décide de continuer à surfer sur le sujet ce matin sur France Inter. Qui a t-elle invité pour en parler ? Des professionnels du cinéma ? Des personnalités gays et lesbiennes ? Non ! La présentatrice compte sur les avis éclairés de l’« écrivaine et cinéphile » Laure Adler et du « romancier et essayiste » Pascal Bruckner. Dès lors, un festival de lieux communs, d’inexactitudes et d’incompétence défile dans nos oreilles.
2 + 2 = 4
Quand une lesbienne prend la parole sur un sujet qui la concerne, il semble de bon ton de vouloir à tout prix la contredire. Pascal Bruckner, apparement devenu expert en cinéma et sur les questions LGBTI+, a beau trouver le geste de Muriel Robin « courageux » et « culotté », il affirme : « Sa phrase sur le désir n’est pas vrai. On peut être hétérosexuel et non-désirable, et on peut être homosexuel et au contraire être intrigant car inaccessible ». La bêtise de cette phrase, qui amorce l’argumentaire lunaire de Bruckner, n’est égalée que par son abyssale banalité.
Pascal Bruckner semble pourtant bien plus enclin à reconnaître les difficultés des vieilles actrices à obtenir des rôles que celles des acteurs gays et des actrices lesbiennes : « Là où elle a raison, c’est que la société est plus dure pour les femmes qui vieillissent que pour les hommes, et ça c’est assez incontestable il y a une sorte de discrimination. Il ne faut pas se focaliser sur la sexualité, mais peut-être imaginer d’autres facteurs, comme l’âge ». Avec assurance, Bruckner nous explique ainsi que non, l’orientation sexuelle n’est pas sujette à discrimination au cinéma, contrairement à l’âge. En direct, cet homme hétérosexuel de 74 ans décide quels récits de vie sont valides ou non.
Mettant un point d’honneur à rester tant bien que mal à côté du sujet, Bruckner s’enfonce et ré-utilise une réthorique vue et revue sur les réseaux sociaux depuis quelques jours : l’important n’est pas la sexualité du comédien, mais son talent, sa « capacité à émouvoir un grand nombre de spectateur » explique t-il. Une jolie façon d’avouer qu’il ne comprend pas grand chose au sujet dont il parle et qu’il compte donc ne pas en parler du tout. Une réussite puisqu’après ça, le sujet de l’homophobie est brusquement écarté pour se concentrer sur l’âge des actrices.
Ignorance ou mépris ?
Outre ces lieux communs, le débat s’est aussi distingué par son nombre de fausses informations. Pour contre-dire les propos de Muriel Robin, Bruckner, tout satisfait de lui-même, érige le prénom de Jodie Foster, « qui n’a jamais caché son homosexualité et fait une immense carrière ». Pris en flagrant délit de désinformation, il est repris immédiatement par Laure Adler (« elle a mis du temps à le dire »).Preuve s’il en fallait encore que le romancier n’a apparement même pas pris la peine de regarder l’extrait qu’on lui demande de commenter, puisque Muriel Robin elle-même y démonte dès les premières secondes l’exemple de Jodie Foster, qui s’est cachée pendant des années. Quant à son « immense carrière », Jodie Foster est devenue depuis des années une actrice de troisième rang, à qui l’on confie quelques rôles secondaires à peine remarqués. Citant d’autres artistes d’Hollywood, il mentionne Audrey Hepburn en lieu et place de Katharine Hepburn…
Pascal Bruckner aborde ensuite « une stratégie opérée par les jeunes hommes, celle de l’androgynie », en mentionnant Timothée Chalamet et Harry Styles qui « se disent bisexuels ». Le romancier se fait de nouveau reprendre, par Léa Salamé cette fois-ci, qui précise qu’aucun des deux hommes ne s’est jamais dit bi. À propos des femmes qui auraient du mal à avoir des rôles passées un certain âge, la présentatrice scande : « Il y a de plus en plus d’actrices de plus de 50 ans qui tournent en France ou aux États-Unis ! Cate Blanchett, Catherine Deneuve, Meryl Streep… ».
Bilan de ce « débat » entre deux personnes non directement concernées : il est dur pour une femme de vieillir, le patriarcat existe, et les acteurs et actrices se doivent de bien jouer avant tout. Nous voila bien avancés.
La séquence a cependant le mérite de révéler la légèreté avec laquelle France Inter a pu traiter ce sujet. Comment penser qu’après une prise de position pareille de la part de Muriel Robin, les personnes les plus pertinentes à questionner soient ces deux-là ? Comment ne pas se rendre compte du cynisme d’une telle situation, où l’on continue de parler des gays et des lesbiennes en sollicitant l’expertise d’hétéros ? N’est-ce pas le moment opportun pour considérer ces sujets comme ce qu’ils sont, à savoir des problèmes à traiter avec sérieux et fond ?
Pascal Bruckner ajoute enfin : « La vie privée des acteurs et des actrices, savoir s’ils préfèrent les filles ou les garçons, ça m’est totalement indifférent ». Alors peut-être aurait-il fallu ne pas prendre la peine de venir en parler à la radio publique, et ainsi nous épargner ce manque cruel de pertinence de bon matin.
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