Sebastián Silva, réalisateur de « Rotting in the sun » : « Je voulais que le sexe contribue avant tout à la comédie »

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Komitid a rencontré Sebastián Silva, le réalisateur de l'hilarant « Rotting in the sun », pour parler de lui, de sexe à l'écran et de représentation.

Sebastian Silva - Mettie Ostrowski
Sebastian Silva - Mettie Ostrowski

Déprimé et en manque total d’inspiration, le cinéaste Sebastián Silva est en pleine crise existentielle. Pour se reposer, il quitte brièvement son grand appartement en plein travaux de Mexico pour se rendre sur une plage nudiste gay où il fait la rencontre de Jordan Firstman, un influenceur.

De fil en aiguille et d’orgies en noyades, les deux hommes acceptent de travailler ensemble sur un projet. Mais lorsque Jordan rejoint Mexico pour loger chez Sebastián, ce dernier a mystérieusement disparu. Jordan mène alors l’enquête, entouré d’une femme de ménage désemparée, d’un meilleur ami nonchalant et d’un chien orphelin de son maître.

Pour son septième long-métrage, le réalisateur chilien Sebastián Silva débarque sur Mubi avec un film hilarant qui a électrisé les festivals de Sundance et des Champs-Élysées. Dans cette comédie méta où il joue son propre rôle, tout comme l’influenceur Jordan Firstman connu pour ses courtes vidéos humoristiques, Sebastián Silva aborde avec un humour grinçant les rapports de classe au Mexique.

Constamment sur le fil de l’explosion mais toujours très maitrisé, le film épouse un rythme bouillonnant et exaltant, où les personnages dévoilent tous peu à peu leurs visages les moins reluisants. Car c’est une des forces du film : que ce soit intentionnel ou non, Sebastián Silva met notamment en avant des personnages queers tout ce qu’il y a de plus réel, à la fois odieux, superficiels et déprimés, voire tout simplement humains. En prenant à l’envers l’injonction à la représentation positive des personnages queers à l’écran, Rotting in the sun s’affiche comme LA comédie de l’année, alliant savamment folie et malaise dans un rythme bouillonnant à l’audace démesurée.

Komitid a rencontré Sebastián Silva pour qu’il nous parle de ses inspiration pour ce film, de la nudité qu’il met en scène et aussi de la question de la représentation des personnes queer au cinéma.

Komitid : Qu’est-ce qui vous a inspiré une histoire aussi folle et méta, dans laquelle vous vous jouez vous-même ?

Sebastian Silva : En général je fais des films très personnels sur les peurs que j’ai, sur les gens que j’aime… J’ai déjà joué dans quelques-uns. Dans Rotting in the sun j’ai été particulièrement inspiré par mon état actuel. Je ne dirais pas que je suis tout le temps en dépression (rires), mais j’avais vraiment envie de faire une comédie dont c’est le sujet. Partager ce sentiment de fatigue et cette sorte d’attitude misanthropique à l’égard de vous-même et des gens qui vous entourent.

Vous êtes assez impitoyable dans votre autoportrait…

Je me demande si c’était cathartique et utile ou si ça n’a fait qu’empirer les choses (rires). En fait lorsque je me montre super méchant avec le personnage de Señora Vero, quand je prends de la kétamine pendant la journée, que je jette des pommes contre le mur, que je frappe mon chien et que je suis ce personnage qui déteste tout, c’est surtout une exagération d’un sentiment véritable. Donc en effet je suis dur avec moi-même mais en réalité je le suis avec tous les personnages, que ce soit celui de Vero ou celui de Jordan. Si je les dépeins de cette manière, je me devais de le faire aussi pour moi. Tous les protagonistes sont montrés dans la pire version d’eux-mêmes (rires). Puis pour moi ça reste une comédie avant tout, une sorte de parodie satirique.

Comment vous avez pensé à Jordan Firstman, qui est très connu pour ses vidéos humoristiques sur Instagram, pour jouer dans le film ?

C’était une totale coïncidence en fait ! Je n’avais jamais entendu parler de lui, même s’il était apparement devenu très populaire à Los Angeles pendant le confinement avec un humour de niche. Le hasard a fait qu’il visitait Mexico au moment où j’y étais, et on s’est croisés sur la plage gay naturiste qu’on voit dans le film puis il m’a invité à dîner. Sa personnalité est similaire à ce que l’on voit dans le film mais il s’est avéré être très drôle et intelligent. On s’est rapidement bien entendu et je lui ai proposé les quelques idées que j’avais et comment j’imaginais l’inclure dans le projet. Je lui ai demandé s’il serait partant de se jouer lui-même avec un accès total à ses réseaux sociaux et à leurs contenus et il a dit oui à absolument tout.

Il y a énormément de nudité dans le film, notamment lors de la longue scène sur la plage. Comment s’est passé ce moment particulier du tournage ?

La scène de la plage était drôle à faire, avec la confusion du personnage qui, lui, reste habillé pendant qu’il y a tous ces pénis autour de lui, parce qu’il souhaite rester étranger à tout ça… Donc je pense que dans le film la nudité est introduite de manière très organique et concrète par cette plage naturiste. Puis finalement peu à peu, Jordan devient le personnage principal du film, et ce qu’on voit c’est sa vie à lui en tant que touriste au Mexique ! Il s’amuse, baise beaucoup, et le personnage est très motivé par le fait de sociabiliser constamment et d’avoir des relations sexuelles, ce qui est banal pour lui. S’il y a autant de nudité dans le film c’est à cause de lui (Rires).

« En tant qu’homme gay je vis ma vie comme un humain parmi tant d’autres, je ne suis pas en train de manger mon repas gay dans mon quotidien gay »

Et pourtant le sexe y est très peu érotisé. C’était voulu comme tel ?

Oui tout à fait ! Je voulais que le sexe contribue avant tout à la comédie. Je me suis rendu compte que, malheureusement, un organe génital à l’écran ça choque toujours les gens. Personnellement je n’apprécie pas nécessairement une scène de sexe dans un film. J’adore le sexe bien sûr, j’adore coucher et regarder du porno de temps en temps donc ce n’est pas que le sexe me gêne. Mais je ne pense pas avoir forcément besoin de voir une scène « sexy » quand je regarde un film dont l’histoire m’intéresse avant tout. C’est pour ça que je voulais que les scènes sexuelles soient totalement fondues dans le ton du film, comme par exemple lorsqu’une orgie lambda fait avancer l’enquête de Jordan. Je trouvais juste très drôle de me dire qu’il élude le mystère lorsqu’il est en pleine fellation ou qu’il utilise un dildo (Rires). La cohabitation de tous ces sentiments contraires m’amusait beaucoup.

Alors que l’on parle beaucoup ces dernières années de la bonne représentation des minorités à l’écran, les personnages queers de Rotting in the sun sont relativement odieux. Où vous placez-vous sur cette question de la représentation ?

J’en parlais justement récemment avec Jordan ! Lorsque l’on a montré le film pour la première fois à Sundance, je me souviens avoir vu un article d’Indiewire qui mentionnait Rotting in the sun comme « le nouveau film gay de Sebastián Silva ». J’ai trouvé ça tellement réducteur et ignorant ! Bien sûr je suis gay, Jordan aussi, et nous nous jouons nous-mêmes dans le film donc le film aborde le sujet, mais il y a bien plus que ça. Je voulais parler d’humanité, de misanthropie et de gentrification, faire un commentaire social sous forme de thriller et de comédie… En tant qu’homme gay je vis ma vie comme un humain parmi tant d’autres, je ne suis pas en train de manger mon repas gay dans mon quotidien gay (Rires) ! Je ne cherchais pas vraiment à représenter qui que ce soit si ce n’est Jordan et moi. Je sais très bien que beaucoup de gays n’ont pas la même vie que nous, et n’iront jamais sur ces plages naturistes ou ne prendront jamais de kétamine. Donc je ne voulais vraiment pas faire de ce récit une généralité de la communauté gay. C’est une histoire avant tout très personnelle.

« C’est un gros problème d’écriture de dépeindre des minorités comme des personnes parfaites, presque saintes et sacrées »

Justement vous parlez aussi beaucoup de conflits de classe dans le film, via le personnage de Señora Vero, jouée par la géniale Catalina Saavedra, sans pour autant faire totalement d’elle une victime…

De la même manière que je me mettais en scène en tant que réalisateur en pleine crise existentielle et Jordan en tant qu’influenceur dépendant de la validation des réseaux sociaux, je voulais montrer la pire version du personnage de Señora Vero. Tout le monde dans ce film est un désastre ambulant (rires). Si Señora Vero est victime de quelque chose, c’est surtout de l’ordre et du timing des incidents qui lui tombent dessus. Et en effet, même si elle est par défaut une victime de circonstance, je ne voulais surtout pas faire d’elle un personnage parfait. Elle est une menteuse, bordélique, décevante, manipulatrice… elle est juste humaine ! On revient à cette question de la bonne représentation : c’est un gros problème d’écriture de dépeindre des minorités comme des personnes parfaites, presque saintes et sacrées. Les victimes n’ont pas besoin d’être parfaites pour que leurs situations soient jugées injustes. C’est une vision très problématique je trouve.

Le film a fait le tour du monde et des festivals. C’était comment de le présenter au public avant sa sortie sur Mubi ?

On voulait vraiment que le film aille à Sundance parce qu’on se disait qu’un festival américain était très certainement la meilleure option pour introduire ce film au public américain, vu à quel point on y parle d’eux. C’était très excitant ! De pays en pays l’accueil du public est toujours très fort, parce que c’est un film qui dit beaucoup de choses de manière très assumée et frontale. C’est toujours super de faire quelque chose qui donne envie aux gens d’en débattre, de sentir qu’ils n’y sont pas indifférents.

« Rotting in the sun », de Sebastián Silva, avec Sebastián Silva, Jordan Firstman, Catalina Saavedra, à partir du 15 septembre sur Mubi