« Eldorado » sur Netflix : le Berlin queer à l'aube du nazisme
Sur Netflix, le documentaire « Eldorado : le cabaret honni des nazis » lève le voile sur une partie occultée de l'Histoire LGBTI+ allemande, tandis que l'insouciance de l'entre-deux-guerres est balayée par la montée en puissance d'Hitler.
Après le très beau documentaire de Sébastien Lifshitz sur Arte, Casa Susanna, une nouvelle page peu connue de l’histoire LGBTI se dévoile sur Netflix avec le doc Eldorado : le cabaret honni des nazis.
Dans les années 20, alors que les traces de la Première Guerre mondiale subsistent, la culture queer s’étend à une vitesse folle à Berlin. Les bars et les cabarets se multiplient pour donner naissance à une une ville bouillonnante d’énergie.
Parmi tous ces lieux, l’Eldorado domine. En son sein, gays, lesbiennes et trans chantent, transpirent, draguent et boivent, dans la liberté la plus totale. En parallèle, à l’extérieur de ces murs, se prépare l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire contemporaine. Au début des années 30, Hitler est aux portes du pouvoir, porteur d’un discours antisémite qui séduit de plus en plus dans ce pays à peine remis de la défaite.
L’Histoire comme on ne l’a jamais vue
Avec intelligence et soin, le documentaire se cristallise sur cette période pleine d’ambivalence pour l’Allemagne où subsistent, au sortir de la Première Guerre mondiale, une rancœur dévorante d’un côté et un désir d’émancipation galvanisant de l’autre. En faisant d’un établissement de fête, l’Eldorado, le point de départ de tout son récit, le réalisateur Benjamin Cantu prend soin de raconter ceux qui le fréquentaient, entre artistes, intellectuels, sportifs et même soldats et généraux nazis.
S’en suit des destins fous marqués par le traumatisme du IIIe Reich, alors impitoyable avec les personnes queers : Charlotte Charlaque et son statut de première femme trans opérée, le tennisman gay Gottfried von Cramm, fierté allemande totémisée en outil de propagande par Hitler lui-même, le sexologue Magnus Hirschfeld et son travail avant-gardiste sur la sexualité humaine, ou bien le commandant des SA Ernst Röhm, habitué de l’Eldorado, trahi plus tard par Hitler, pourtant son mentor.
Par toutes ces histoires individuelles, Benjamin Cantu raconte la période qui précède la Seconde Guerre mondiale par un prisme trop rarement abordé, à savoir celui du sort funeste réservé aux personnes LGBTI+. Celles-ci ont vécu au rythme des lois discriminatoires dans l’ombre des atrocités qu’on infligeait aux juifs à l’époque.
Chassées dans leur intimité, maltraitées dans les camps et ce même par les autres prisonniers, condamnées par la législation et abandonnées à la libération (le paragraphe 175 aggravé par les nazis n’ayant été réformé qu’en 1969 puis aboli en 1994), les personnes queers ont dû se battre à leur manière, en gardant des traces de leurs passages.
Eldorado : le cabaret honni des nazis redonne vie aux souvenirs des survivants et des disparus dans un sublime geste de devoir de mémoire.
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