Interview du créateur de l'expo virtuelle « Mémoire de luttes » sur les dix ans du mariage pour tous·tes
Didier Reynaud, passionné de développement durable et à la tête d'une agence de conseil sur cette thématique, a conçu « Mémoire de Luttes » pour marquer les dix ans du mariage pour tous·tes.
C’est une exposition virtuelle mais sur des faits bien réels. Didier Reynaud, passionné de développement durable et à la tête d’une agence de conseil sur cette thématique, a conçu « Mémoire de Luttes » pour marquer les dix ans du mariage pour tous·tes. Il nous explique ce concept et ce qu’il a souhaité faire passer comme message.
Komitid : D’où t’es venue l’idée de faire une exposition virtuelle sur les 10 ans du mariage pour toutes et tous ?
L’idée m’est venue un peu spontanément parce que ça faisait quelques mois que je réfléchissais à faire de nouveau quelque chose pour le mariage pour tous. Je dis de nouveau, puisqu’il y a dix ans j’avais lancé un produit bio et équitable et militant pour le mariage pour tous, « le rhum oui à l’égalité » en collaboration avec Ethiquable, l’artiste Dugudus et le CAELIF. C’était d’ailleurs à l’époque le seul produit militant pour le mariage pour tous et j’étais assez heureux qu’il soit en plus éthiquement responsable. Un soir, j’ai eu un déclic. Ça serait vraiment bien que des galeries en ligne, virtuelles, existent pour pouvoir témoigner. C’était un mois avant la date anniversaire de l’adoption de la loi. J’ai donc trouvé une plateforme (Artsteps) qui proposait ça, gratuitement et qui était très facile d’accès. Je me suis lancé un peu à corps perdu. J’ai découvert qu’on pouvait rajouter des descriptions aux photos et aussi de l’audio. Tout s’est emballé, je me suis pris au jeu. De fil en aiguille, l’exposition a pris vie. Vous pourrez découvrir 30 photos environ et autant d’audios et de surprises ! Enfin, j’ai proposé le projet à des associations LGBTQIA+ et des médias. Depuis une dizaine d’organisations se sont jointes à ce projet unique et gratuit dans lequel vous pourrez entendre des témoignages de plusieurs personnalités et militant.es.
« J’ai voulu envoyer un message positif pour combattre les idées reçues qu’on pouvait avoir sur les LGBTQIA+ »
Quels sont les messages que tu souhaites diffuser à l’occasion de cette exposition ?
Si l’exposition s’intitule Mémoire de Luttes et pas « rétrospective », c’était pour montrer que nous avons toutes et tous eu l’impression cette année-là, de véritablement devoir lutter pour nos droits. Je voulais donc montrer à quel point cette année 2013 a été si compliquée et souvent violente contre nous, mais aussi une année de solidarité incroyable dans la communauté LGBTQIA. J’ai voulu à travers mes photos rendre hommage aux militantes et aux militants, transmettre notre mémoire et montrer la diversité que nous représentons. J’ai aussi été frappé à cette époque, par notre détermination, notre entraide, la joie et l’humour dont nous avons fait preuve pour combattre les flots d’homophobie que nous subissions. C’était une année qui n’aurait dû être qu’une grande fête, un long fleuve tranquille. Peu de personnes avaient prévu que nos droits allaient être contestés par une partie de la population. J’ai aussi voulu montrer l’émotion que j’ai ressenti à différents moments clés : des premières marches en décembre 2012, jusqu’au vote de la loi à l’Assemblée où j’ai eu la chance d’être présent. J’ai voulu adresser un témoignage. Surtout, avec ce format et avec la poésie de mes messages, j’ai voulu envoyer un message positif pour combattre les idées reçues qu’on pouvait avoir sur les LGBTQIA+ et lutter à ma façon, de manière innovante et surprenante contre les LGBTQIphobies.
L’exposition est réalisée en partenariat avec différentes organisations notamment Mémoires minoritaires et le projet BIG TATA parce que nous pensons que la mémoire communautaire doit être préservée. Rien que pour conserver des photos d’il y a dix ans, ce n’était pas si simple, alors imaginez sur des périodes plus longues. Donc, un autre message c’est qu’il faut que l’on considère notre histoire collective et commune comme un patrimoine vivant et que l’on mette tout en œuvre pour la protéger et la diffuser surtout. C’était aussi l’occasion de mettre ces projets en avant, car j’ai eu un coup de cœur pour eux et je sais que la question des archives et du patrimoine vivant travaille certaines personnes en France. Si l’exposition est gratuite et réalisée en ligne, c’est aussi pour d’une part la rendre accessible aux plus isolés ou à celles et ceux qui sont loin des grandes villes. D’autre part pour m’adresser à la jeune génération qui n’a pas connu cette période ou qui était trop jeune, pour leur rappeler à ma façon ce que nous avons vécu : après tout, c’est leur héritage et leur histoire à elles et eux aussi.
Je fais partie de cette génération qui a eu le mariage pour tous et toutes, au début de mon âge adulte et jusqu’alors je n’avais pas vraiment encore pensé à « avoir » un jour une vie de famille ou même me marier, mais j’espère que pour eux, c’est déjà acquis et je me réjouis qu’ils aient pu grandir avec cette idée déjà ancrée. Je pense aussi que cette exposition peut s’adresser aux familles des personnes LGBTQIA+ et à nos allié.s.
Enfin, le dernier message que je souhaite faire passer c’est que cette exposition peut montrer l’exemple. Mon agence, Conseil Équitable, est engagée dans la transition sociale et écologique et dans les Droits Humains, ainsi, j’ai un partenaire avec lequel je travaillerai sur un principe de compensation carbone – au moins symboliquement – et un partenaire qui me permet de réaliser des souvenirs éco-responsable en édition limitée. Il me semblait donc important d’être cohérent et de montrer que l’écologie, les droits humains et même l’art pouvaient être liés.
Quelles sont les premières réactions que tu as eues depuis la mise en ligne ?
Depuis la mise en ligne de l’exposition, il y a eu de nombreuses réactions de surprises et d’enchantement. Je n’ai eu que d’excellents retours, toutes et tous ont salué le projet, l’initiative et les photos et leur agencement ce qui m’a fait plaisir évidemment. Beaucoup de personnes ont été surprises, car le concept d’une exposition virtuelle dans une galerie 3D est finalement assez inattendu. Un compliment magnifique que j’ai reçu fut celui de quelqu’un qui m’a dit qu’on avait vraiment l’impression d’avoir visité une exposition et qu’on se souvenait du lieu, des photos.
J’ai reçu de très beaux soutiens de personnes que je ne connaissais pas et de personnalité.e.s du monde LGBTQIA+ dont certains ont même témoigné dans l’exposition dont Louis-Georges Tin et Erwann Binet, le rapporteur de la Loi en 2013.
Enfin, j’ai reçu le soutien de la Dilcrah qui a décidé de recenser l’exposition dans leur espace ressources, ça m’a énormément ému, car c’est une reconnaissance à laquelle je ne m’attendais pas du tout et que je n’aurai pas pu prévoir.
En dernier lieu, dans les réactions notables, il y a celles d’une métropole qui a trouvé le projet super et qui aimerait en faire de même l’an prochain, ou encore de plusieurs associations LGBTQIA+ qui vont projeter l’exposition. Enfin, je ne serais pas complet si je ne précisais pas que les réactions de mes proches et parents m’ont aussi beaucoup touchés.
« Je sens que le climat se détériore en France en ce qui concerne les personnes LGBTQIA et ça a été confirmé par le récent rapport de SOS Homophobie »
Quels sont les évènements qui t’ont le plus marqué en préparant cette exposition ?
Si on parle d’évènements touchant la communauté LGBTQIA, j’ai été très choqué récemment lorsque en voyant les célébrations autour du mariage pour tous, de voir que l’homophobie, la transphobie, la biphobie étaient encore, hélas trop présentes.
J’ai été choqué de voir que des couples gays se faisaient attaquer à Dijon. Il est donc essentiel qu’en tant que communauté, nous restions solides, solidaires et déterminés. J’ai été plus que scandalisé, même un peu effrayé par l’attaque du centre LGBTQIA de Tours.
J’ai détesté ce qu’il s’est passé sur les terrains de foot pendant l’opération des maillots Arc-en-Ciel et le manque de réactions officielles. De manière générale, je sens que le climat se détériore en France en ce qui concerne les personnes LGBTQIA et ça a été confirmé par le récent rapport de SOS Homophobie. Et au niveau international, la loi anti-LGBT en Ouganda me terrifie, de même que le retour d’un certain conservatisme général. J’ai de plus en plus l’impression que les LGBT deviennent une cible et que nous sommes utilisés à des fins géopolitiques. Et puis j’ai été vraiment dégoûté par les politiques qui ont manifesté contre le mariage pour tous.tes et qui lors des 10 ans ont fait comme s’ils regrettaient, ça c’était assez infâme et impardonnable.
Les fonds récoltés grâce à la vente d’objets ou de souvenirs vont servir à quelle fin ?
Tout d’abord, une partie des fonds récoltés serviront à financer la production de ces souvenirs qui étant éco-responsables Made in France, sont de fait plus élevés que des souvenirs Made in China. Ils sont produits en édition limitée. Dix pour cent des bénéfices totaux, incluant aussi la cagnotte que j’ai mise en place et la vente de photos en tirage d’art, iront au profit de Big Tata un projet innovant au service de la mémoire LGBTQIA+ pour lequel j’ai eu un véritable coup de cœur. Les bénéfices restant serviront à deux choses. Tout d’abord à compenser carbone l’impact de cette exposition que nous allons estimer à partir de la fin de l’année. De plus, ils serviront à financer d’autres projets artistiques comme l’écriture d’un roman sur le Futur dont le protagoniste est gay, ainsi que le développement de ma jeune structure ou tout simplement de développer les photos pour en faire une vraie expo physique ! Et si je le peux, j’aimerais également reverser une autre partie des bénéfices sous forme d’un don, pour un autre projet associatif.
Pour visiter l’exposition « Mémoire de luttes », c’est par ici.
Le teaser de l’exposition :
- « Nous voulons porter un message de solidarité » : la Marche des Fiertés parisienne mobilisée contre la transphobie
- « Je ne fais pas juste du visuel, il y a quelque chose de très politisé dans ce que je souhaite transmettre »
- 3 questions à la Fédération des festivals de films LGBTQIA+
- How to become : 3 questions sur la revue « The Daughters of Darkness »
- « L'univers drag brille par sa richesse et sa variété »