Fanny Gonella : « Chaque fois qu’elle se trouvait en terrain conquis, Pippa Garner passait à autre chose »
Pour la première fois en France, une exposition est consacrée à l'artiste trans et non binaire américaine Pippa Garner, dont l'œuvre critique la société de consommation et ses faux semblants. Fanny Gonella, commissaire de l'expo et directrice du Frac Lorraine nous en dit plus.
A Metz, le 46 Nord 6 Est est ce lieu bouillonnant porté par le Fonds régional d’art contemporain. Vous pouvez en ce moment (et jusqu’au 20 août) le travail de Pippa Garner (née en 1942), artiste trans et non binaire dont le travail critique la société de consommation. C’est la première fois que l’œuvre de Pippa Garner est présentée en France. À l’occasion de l’exposition Pippa Garner au Kunstverein München, au 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine et à la Kunsthalle Zürich, la première publication consacrée à l’artiste sera publiée à l’automne 2023.
Dans les années 1980, Pippa Garner entame une transition de genre. Elle explique à l’époque qu’elle la considère comme un « projet artistique visant à créer une désorientation dans ma position dans la société et à empêcher en quelque sorte toute possibilité de retomber dans un stéréotype ». Elle détourne les objets de tous les jours et en particulier les voitures, symbole de succès… et nécessité absolue quand vous vivez à Los Angeles. Elle finira elle-même par arrêter d’utiliser une voiture.
Elle est proche des artistes conceptuels et crée des objets abstraits et hybrides qui viennent faire apparaître les faux-semblants d’une société centrée sur le consumérisme.
Ses œuvres dessinées et ses travaux photo seront aussi publiées dans Esquire, Rolling Stone, Vogue, Playboy, Arts & Architecture. Son public est vaste mais n’a pas forcément conscience de la portée critique de son travail.
La commissaire de l’exposition et directrice du Frac Fanny Gonella a répondu aux questions de Komitid.
Komitid : Peut-on dire que Pippa Garner revendique qu’elle est inclassable dans le monde de l’art contemporain ?
Fanny Gonella : C’est très juste, Pippa Garner a toujours cherché à déjouer les attentes. Chaque fois qu’elle se trouvait en terrain conquis, elle passait à autre chose. Mais avant même de revendiquer le caractère inclassable de son travail, il est essentiel de préciser qu’elle ne s’est pas toujours considérée comme une artiste, et que la prise de conscience que ses activités contenaient une dimension artistique est venue progressivement. C’est probablement le cas de nombreux.ses artistes pour lesquel.les la pratique artistique est intimement mêlée à la vie, les deux domaines sont tellement liés qu’on ne se rend pas toujours compte que l’on est en train de développer une démarche artistique. C’est alors la persistance, la constance et la précision ou la force des réalisations qui révèle progressivement le caractère artistique de certains gestes.
« En apprenant sa transition dans les années 90, beaucoup d’ami.es se sont éloigné.es »
Sa transidentité et sa non-binarité semblent avoir été mal acceptées par le milieu artistique. Est-ce toujours le cas ?
En apprenant sa transition dans les années 90, beaucoup d’ami.es se sont éloigné.es. Puis son travail a été redécouvert par une génération bien plus jeune. Celle-ci a vraisemblablement un autre rapport à ces questions. A l’époque, Pippa avait beaucoup de succès en tant que Philipp Garner. Je pense qu’aux Etats-Unis, où travailler dur pour atteindre une reconnaissance sociale est important, remettre son statut en question et décider de changer d’identité était un geste risqué. Elle l’a fait en toute conscience. Le « gender-hacking » est une stratégie plus débattue aujourd’hui, on a une autre compréhension de la fabrication de la subjectivité et du genre.
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En quoi sa satire de la société de consommation à partir des années 70 est-elle toujours d’actualité ?
Il me semble que nous mettons du temps à nous réveiller d’un rêve qui racontait la croissance et le confort comme des évidences de la vie moderne. Ce rêve-là était bien agréable, et très bien raconté par tout un ensemble de vecteurs puissants, qu’il s’agisse du cinéma, des médias, de la publicité ou de la pression sociale, guidés par la machine du capitalisme. Tant que la croissance sera le but à atteindre pour maintenir notre niveau de vie, les satires de la société de consommation resteront pertinentes. De façon plus générale, Pippa vit de façon très simple. Elle a également cherché à s’extraire du système en arrêtant par exemple de conduire une voiture tout en restant vivre à Los Angeles. Je pense d’autre part que Pippa a fait plus qu’une satire. Elle a aussi cherché à faire apparaître la créativité qui peut exister dans les moindres gestes du quotidien. Elle nous rappelle que déployer une approche critique face aux injonctions de la société peut donner naissance à une forme de poésie qui détonne.
Pippa Garner, Adelhyd van Bender, Claire Pentecost, jusqu’au 20 août 2023, au 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, 1 bis, rue des Trinitaires, à Metz. Entrée gratuite. Plus d’infos ici.
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