Cannes côté queer, épisode 1 : quand la Queer Palm fait entrer les monstres
Komitid est sur la Croisette cette semaine ! Notre envoyé spécial vous fait vivre la compétition queer du Festival de Cannes. Aujourd'hui, Jolan Maffi parle de « Monster », du réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda et de « Rosalie », de la cinéaste française Stephanie Di Guisto.
En 2021, Julia Ducournau recevait pour son second long-métrage Titane le prix tant convoité de la Palme d’Or. Le souffle court, sa récompense face à elle, elle prononçait sur scène les mots suivants : « Merci au jury de laisser entrer les monstres ». Deux ans plus tard, les monstres sont plus présents que jamais à Cannes, en particulier dans plusieurs films queer sélectionnés. De manière très littérale, avec le nouveau film d’Hirokazu Kore-Eda, justement titré Monster, ou de manière plus maladroite avec Rosalie de Stephanie Di Guisto.
Amours monstrueux
Monster, ajouté à la dernière minute à la sélection officielle, propose une nouvelle itération dans le cinéma du réalisateur japonais. Ses escapades en France avec La Vérité, puis en Corée du Sud avec Les Bonnes Etoiles, avaient relativement échouées à reproduire l’engouement généré par sa Palme d’Or, Une Affaire de famille, en 2018. Cette année, Hirokazu Kore-Eda retourne dans son pays natal, le Japon, avec un film surprenant à tous les niveaux.
Minato, jeune garçon vivant seul avec sa mère depuis la mort de son père, commence à inquiéter cette dernière. Bien décidée à comprendre la cause de ce changement de comportement, elle se rend à l’école de son fils et prend à partie l’équipe professorale. Dès lors, le réalisateur amorce un intriguant jeu de piste, passant d’un point de vue à l’autre (la mère, le professeur, la directrice, l’enfant). Une narration rashômonienne qui laisse dubitative durant une bonne heure, avant de prendre tout son sens lorsque le cinéaste, habile et sûr de son geste, élude le mystère via le récit final des deux jeunes garçons. Débute alors un splendide segment où les deux protagonistes, fuyant le monde adulte qui les traite comme des monstres et menacent leur équilibre, se protègent l’un l’autre, désarmants d’innocence. Un film doucement violent qui le ramène aux sommets de sa carrière, de Nobody Knows à Stillwater.
Une manière pleine de douceur d’aborder l’homosexualité sans jamais éluder ou aseptiser les problématiques qui y sont liées. De quoi nous rappeler que Kore-Eda, avant sa Palme d’Or et son fulgurant succès à l’international, commençait sa carrière avec le documentaire August Without Him en 1994, sur le premier homme japonais à reconnaitre publiquement avoir été contaminé par le VIH par des relations sexuelles avec des hommes. Le film, méconnu mais pas moins magnifique, est disponible gratuitement sur Youtube, en version sous-titrée en anglais.
Femme à poils
Dans le sélection de la Queer Palm, tout n’est pas forcément question de la communauté LGBTQ+. A ce propos son créateur, Franck Finance-Madureira confiait récemment à Komitid : « Pour moi la définition de queer c’est tout ce qui sort de la norme, tout ce qui casse les codes de genre et tout ce qui remet en cause le patriarcat ». Une manière de brasser large et de donner au jury un choix plus ample pour élire le meilleur de la sélection. Ainsi, le nouveau film de Stephanie Di Guisto, Rosalie, s’inscrit plus ou moins dans cette lignée.
Racontant la vie de la première femme à barbe au 19ème siècle, le film se pare d’un casting de choix, allant des tout fraîchement césaricés Nadia Terszkiewicz et Benoit Magimel, à Juliette Armanet et Benjamin Biolay. Un sujet d’apparence passionnant, qui lorgne du côté des récits de freaks et autres bêtes de foires chères à l’histoire du cinéma queer de patrimoine par les résonnances thématiques qu’ils partagent. Malheureusement, la réalisatrice n’en fait pas grand chose.
Privée de ce qui fait une femme aux yeux de tous (l’imberbité puis la capacité à enfanter), le personnage de Rosalie utilise d’abord sa particularité comme une force, à la fois mercantile et personnelle. Malheureusement, comme tout film en costumes floqués du logo Gaumont, Rosalie est bien trop sage pour exploiter comme il se doit le potentiel de son récit. Si le film a tout de même pour lui d’assumer jusqu’au bout le corps non-normée de son héroïne, il n’en reste pas moins une œuvre de la vieille école, réalisée sans panache et écrite selon le principe éculé et classique du rise and fall. Pendant près de deux heures, il étaye les mêmes poncifs sagement féministes qui, bien contents de faire doucement effet, ne vont jamais plus loin.
En résulte un récit engageant grâce aux avantages qu’offrent ses gros moyens mais qui ne rend jamais honneur à la transgression du personnage qu’il met en scène.
- Quatre romans LGBT+ à lire cet automne
- Cinéma : « Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde » ou l'homophobie en Roumanie
- Almodovar, le réalisateur qui a donné des couleurs au cinéma espagnol
- James Bond peut attendre : Daniel Craig se déconstruit dans « Queer »
- Grand acteur et grand réactionnaire, Alain Delon s'est éteint