Interview de Florence D'Azémar et Marie Labory sur leur passionnant documentaire, « Lesbiennes, quelle histoire ? »
Le 17 mai, à 20h50, ne manquez pas « Lesbiennes, quelle histoire ? », réalisé par Marie Labory pour Histoire TV. Un passionnant documentaire sur plus de 100 ans de visibilité, de combats et de conquêtes. Marie Labory et Florence D'Azémar, co autrice du documentaire ont répondu aux questions de Komitid.
Avec Lesbiennes, quelle histoire ?, Florence d’Azémar et Marie Labory proposent un documentaire très réussi, joyeux et stimulant. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, ce film documentaire est diffusé sur Histoire TV.
En 52 minutes riches de nombreuses archives, Florence et Marie réussissent à feuilleter l’album de l’histoire des grandes figures de l’histoire lesbienne, depuis le début du XXè siècle avec les figures de Natalie Clifford Barney et Renée Vivien jusqu’aux années 2000 et le coming out de personnalités comme Amélie Mauresmo.
Le récit est écrit à la première personne par Marie Labory et son histoire personnelle est retracée avec des anecdotes touchantes et émouvantes. De nombreuses femmes sont interviewées, et leur verve et leur érudition nous obligent à les citer toutes : Christine Bard, Catherine Marjollet, Nicole Miquel, Suzette Robichon, Evelyne Rochedereux, Florence Tamagne.
Florence d’Azémar est actrice et autrice, elle a aussi été présidente de l’Ardhis, Marie Labory est une journaliste d’Arte, seule présentatrice out d’un journal télévisée. Elles ont accepté de répondre à nos questions sur ce documentaire passionnant.
Komitid : Comment s’est passée votre collaboration sur ce documentaire ?
Florence D’Azémar : Pierre Garnier, avec qui j’avais travaillé sur Pink TV et Christophe Sommet de la chaine Histoire ont commandé un film à Marie, en tant que réalisatrice, et ils nous ont remis en lien… Je trouve que c’était important d’essayer de laisser des traces de cette histoire. J’ai essayé de faire accoucher Marie de son histoire, à nouveau, mais d’une autre manière. Le parcours de Marie, en fait, je peux m’y retrouver. L’histoire de Marie, c’est qu’elle a eu, entre les mains, des lectures, des outils qui l’ont fait aussi réfléchir à tout son parcours de lesbienne, et qui fait, je trouve, une belle histoire.
Est-ce que cette façon de raconter les choses, à partir de ton vécu et de ton histoire Marie est venue tout de suite ?
Marie Labory : Non. Au départ, on a fait quelque chose d’assez journalistique, en tout cas, très chronologique, parce qu’on était obligées de se limiter dans le temps. Puis la productrice Anne Percie du Sert nous a dit : “mais il manque un truc”. Elle voulait que je mette un peu plus de moi. Après l’écriture a été plus facile. Quand tu regardes les personnalités dont on parle, même en 1900, Renée Vivien et Nathalie Clifford Barnet, elles ont fait ce qu’on a toutes fait, quasiment, c’est-à-dire, au départ, vivre un peu en garçon manqué, après, assumer son homosexualité, et pour l’assumer, c’est quitter ses parents, venir à Paris, se recréer sa communauté. On a l’impression que tout le XXe siècle, on a toutes fait ça, à quelques exceptions près ! C’est vrai que c’est un point commun.
« On avait aussi envie de faire quelque chose d’assez pédagogique, puisque c’est une histoire qui n’est pas très connue, même des lesbiennes »
Et le fait d’évoquer des figures marquantes, c’était un choix évident ?
Florence D’Azémar : On s’est vite aperçues qu’il y avait des périodes où il y avait une visibilité, et puis des périodes où, effectivement, les femmes étaient cachées. Il y avait ces événements, ces éléments, et puis ces archives aussi, qui permettaient de raconter ces époques.
Marie Labory : Histoire, c’est quand même une chaîne généraliste, grand public, même si c’est sur abonnement. On avait aussi envie de faire quelque chose d’assez pédagogique, puisque c’est une histoire qui n’est pas très connue, même des lesbiennes, à plus forte raison, d’un public lambda, hétéro. Donc on avait aussi envie de faire quelque chose qui soit pas complètement insider. C’est pas un film complètement fou d’auteure, il est assez facile à comprendre et à appréhender.
Y a-t-il des personnalités ou des événements que vous avez découverts ?
Florence D’Azémar : Ah, moi, il y a plein de choses que j’ai apprises. Par exemple, Natalie Clifford Barnet qui a eu un rôle essentiel au début du siècle, qui a été une figure vraiment importante et pour les artistes féminines, et pour la communauté lesbienne. Elle a fait le lien entre toutes ces femmes. J’ai l’impression qu’on vit aujourd’hui effectivement la même chose que ce qu’elles ont vécu au début du XXe siècle. C’est impressionnant.
Marie Labory : Ca tient aussi aux les lectures qu’on a eues, puis aux femmes qu’on a interviewées. Suzette Robichon nous a amené énormément de pistes. Les livres de Florence Tamagne, qui est historienne, c’est passionnant, parce qu’elle a vraiment fait un boulot sur Berlin, sur l’entre-deux-guerres en général. Et puis, il y avait des choses qu’on devinait, mais en fouillant, on a trouvé plus d’informations. Je connaissais bien le livre de Radcliffe Hall (Le Puis de solitude, ndlr), l’histoire du procès, j’en avais vaguement entendu parler, il n’y a pas si longtemps. Puis en lisant, en cherchant, on se rend compte que ce procès a été assez retentissant, qu’elle s’en est sortie parce qu’elle avait de l’argent et qu’elle est partie à Paris avec sa femme, parce que sinon, ça aurait été vraiment une difficulté. Alors, bien sûr, elle n’a pas vécu ce qu’a vécu Oscar Wilde, mais ça a été quand même assez difficile à vivre.
Ce qu’on voit aussi dans votre documentaire, c’est l’importance d’un mouvement lesbien revendicatif, en particulier en Allemagne…
Marie Labory : Le premier mouvement homosexuel, c’est en Allemagne, en 1897, c’est incroyable. Au départ ce sont les hommes et puis après les femmes sont rentrées dans le mouvement à la faveur d’une tentative de pénalisation du lesbianisme, à l’équivalent du paragraphe 175, mais qui n’a pas été voté. Il y avait quand même une communauté, c’est-à-dire qu’il y avait des clubs pour les femmes, mais hommes et femmes sortaient aussi beaucoup ensemble. Il y avait notamment le travestissement qui était aussi mélangé avec les femmes ou les hommes, c’était beaucoup plus lié. Suzie Solidor, c’était des hommes et des femmes qui sortaient chez elle. Moi j’ai été très touchée aussi par ce que raconte Nicole Miquel quand elle parle du Scandalo, et qu’elle dit que Le Scandalo ouvre en pleine épidémie de sida, et que c’est au moment où les mecs ne peuvent plus trop faire la fête, et qu’ils disent aux filles : “allez-y, faites quelque chose”.
Florence D’Azémar : Après le MLF, il y a eu des lesbiennes militantes et intellectuelles. Monique Wittig a vraiment intellectualisé sa pensée, son discours, son militantisme, et c’est à ce moment-là. Je suis très admirative de ces femmes qui ont dit qu’elles étaient lesbiennes, et d’ailleurs, elles l’ont fait parce qu’elles avaient de l’argent et qu’elles n’avaient pas besoin de se marier. Mais on sent, quand même, le poids de la société. Dire « je suis lesbienne », c’était un acte, pour moi, déjà hyper militant.
Le fait de n’avoir que des femmes interviewées, c’est aussi un choix ?
Marie Labory : Oui. Voilà, on n’a que des femmes en interview, on en est assez contentes. On raconte l’histoire des femmes et on était ravies de le faire.
Ça reste encore, quand même, rare, et Marie, tu en es la manifestation dans le PAF…
Marie Labory : Je continue à penser qu’effectivement, c’est une prise de risque assez importante. Et Wittig, elle est partie de France… Et c’est ce que dit Christine Bard dans le film : « la France a toujours eu cette image d’ouverture et de tolérance, à condition de ne pas faire de l’homosexualité un drapeau. » Et ça, c’est vraiment le sujet. L’universalisme français a permis un certain nombre de choses, à condition qu’on reste dans ce cadre-là. Ça, ça a été une chape à la fois protectrice et, en même temps, une chape de plomb.
Comment avez-vous travaillé pour retrouver toutes ces archives ?
Marie Labory : Alors, ça, c’était hyper compliqué. On n’a pas tant que ça d’archives vraiment lesbiennes, estampillées lesbiennes, où on est sûr que c’est des lesbiennes. Donc, on a des photos qui nous ont été données par des gens. Mais c’est très difficile. Souvent, les lettres, les photos, les journaux ont été jetés par les familles, cachés par les familles, détruits. Les archives, c’est hyper important, parce qu’on a vu qu’avant les années 70, 75, on a un manque terrible d’archives.
On est sur une histoire axée occidentale, on a toujours cette envie de se dire comment ça se passe dans d’autres cultures, sur d’autres continents ?
Florence D’Azémar : Honnêtement, on n’a pas cherché, parce qu’on avait une problématique de budget, il faut bien le dire. On n’avait pas les moyens. C’est vrai que ça serait aussi intéressant. On a parlé avec des historiennes qui travaillent sur des archives du 18ème siècle, etc. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a plus de chercheuses qui se penchent sur ces questions-là, et que ce sont des sujets qui, aujourd’hui, sont considérés dans les études. Donc, peut-être qu’on va découvrir des choses.
Marie Labory : Il y a plein de choses qu’on aurait pu aborder. Christine Bard, elle parle très bien aussi de l’homosexualité féminine a été très surveillée par les médecins hygiénistes, qui s’inquiétaient de la promiscuité, notamment chez les prostituées, en prison, dans les lieux d’enfermement, et dans les maisons de redressement.
Florence D’Azémar : Il y a aussi moins de femmes qui ont pu prendre la plume pour écrire leur expérience. Ou alors elles ont écrit dans des journaux intimes qui sont malheureusement perdus. Les femmes lesbiennes comme Radcliffe Hall et Renée Vivien, étaient aussi des écrivaines, des poètes, et on a les traces, vraiment, de leurs amours, de leur vie, etc.
« J’espère que les gens seront touchés et peut-être aussi plus compréhensifs sur cette histoire »
Y a-t-il une personnalité qui vous a marquée ?
Marie Labory : Pour moi, c’est Renée Vivien. Cette espèce de passion, tout est passionné, toutes les relations amoureuses sont passionnées, cette excessivité, moi, je la trouve très intéressante, c’est une espèce d’héroïne de séries, pop, aujourd’hui.
Florence d’Azémar : Oui, moi, j’ai bien aimé aussi Natalie Clifford Barney. Pour moi, elle représente la liberté, elle vit comme elle a envie de vivre, et elle emmerde tout le monde ! C’est assez impressionnant.
Qu’est-ce que vous aimeriez que les gens retiennent ?
Marie Labory : C’est vraiment ce que je raconte au début, en fait. Tu as l’impression qu’avant toi, il n’y avait personne. Eh bien, si, en fait. Et c’est pour ça que c’est un film joyeux, quand même. Oui, elles ont été effacées comme dit Florence, il y a eu des backlashs, il y en a toujours dans les luttes des femmes, des gays, des militants, des noirs… Il y a toujours des avancées et des gros backlashs. Mais malgré ça, il y a toujours eu des femmes pour s’exprimer.
Florence D’Azémar : Oui, c’est vrai, de découvrir ça, c’est assez émouvant. J’espère que les gens seront touchés et peut-être aussi plus compréhensifs sur cette histoire. J’espère que le documentaire fera partie de l’édifice. Si quelqu’un s’intéresse effectivement à cette histoire, c’est un bon point de départ, en tout cas, sur l’histoire des lesbiennes, pour après commencer à farfouiller et en apprendre plus sur tel ou telle personnalité ou telle période. Et de creuser.
« Lesbiennes, quelle histoire ? », un film réalisé par Marie Labory, co-écrit par Florence D’Azémar et Marie Labory, le 17 mai, à 20h50, sur Histoire TV
- Quatre romans LGBT+ à lire cet automne
- Cinéma : « Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde » ou l'homophobie en Roumanie
- Almodovar, le réalisateur qui a donné des couleurs au cinéma espagnol
- James Bond peut attendre : Daniel Craig se déconstruit dans « Queer »
- Grand acteur et grand réactionnaire, Alain Delon s'est éteint