Anne Delabre, fondatrice du ciné-club Le 7ème genre : « En 10 ans, on a réussi à fédérer un public très éclectique »
Pour le dixième anniversaire du ciné-club Le 7ème genre, sa créatrice et programmatrice Anne Delabre répond aux questions de Komitid sur sa genèse, ses temps forts et le cinéma queer d'hier et d'aujourd'hui.
Depuis dix ans, le ciné-club Le 7ème genre représente un rassemblement culte de la vie culturelle queer parisienne. On y a vu passer des films de Fassbinder, Kümel, Ang Lee ou encore Tonie Marshall, aussi bien que des bijoux méconnus tels que Beautiful Thing, Un dimanche comme les autres et Urinal.
Fidèle au cinéma le Brady, situé sur le boulevard de Strasbourg, Anne Delabre, sa fondatrice et programmatrice, met un point d’honneur année après année à faire découvrir des films oubliés du cinéma queer international, dénichant tous les mois des œuvres dont on n’aurait même pas soupçonner l’existence.
Pour son dixième anniversaire, ce ciné-club se transforme en festival le temps de quelques jours ! Au programme : projections de films rares, débats passionnés avec experts et même une tea-party au Tango !
Dès le samedi 1er avril, Le 7ème genre propose un focus sur deux films du réalisateur espagnol Eloy De La Iglesia, Los Placeres Ocultos et El Diputado, deux films gays datant de la fin des années 70. Le même jour aura lieu une conférence d’Emmanuel Le Vagueresse, professeur de littérature et de cinéma espagnol sur les représentations LGBTQI+ à l’écran pendant la période de la transition démocratique espagnol.
Le lundi 3, c’est Jean Cocteau qui est mis à l’honneur avec la projection de son tout premier film datant de 1930, Le Sang d’un poète. Une projection suivie d’une rencontre-dédicace avec Olivier Charneux, auteur de Le Glorieux et le Maudit, Jean Cocteau-Jean Desbordes : deux destins. Enfin, le mardi 11 avril, vous pourrez voir La Fourmilière (Hangyaboly en VO) du Hongrois Zoltan Fabri. Dans ce long-métrage de 1971, le cinéaste décortique les rapports de pouvoir d’une dizaine de nonnes isolées du monde, qui doivent choisir la nouvelle mère supérieure. Pour clore comme il se doit cet anniversaire, Le 7ème genre quitte Le Brady le temps d’une soirée et migre au Tango le 20 avril ! Un apéro-quizz autour du cinéma sera organisé avec à la clé plusieurs des lots alléchants, le tout dans une ambiance joyeuse et dansante.
Komitid s’est entretenu avec la journaliste Anne Delabre sur ses motivations à la création du 7e genre et sa vision du cinéma queer contemporain.
« Notre toute première séance était le 23 avril 2013, soit le jour du vote de la loi pour le mariage pour tous ! »
Komitid : Qu’est-ce que Le 7ème genre et pourquoi avez-vous eu envie de le créer ?
Anne Delabre : Je suis journaliste et passionnée de cinéma. J’avais écrit un livre en 2009 avec Didier Roth-Bettoni, qui s’appelait Le Cinéma français et l’homosexualité. On avait donc un corpus de films assez important, autour de 350 à peu près. C’est là que je me suis dit : « C’est bien on y parle de beaucoup de films, mais que les gens n’ont pas forcément vus ». Donc j’avais envie de pouvoir les montrer, d’en discuter, et ça rejoignait aussi la nostalgie des ciné-clubs de mes années étudiantes. L’idée de créer Le 7ème genre, un ciné-club avec des films de patrimoine LGBTQ+ donc, est né comme ça. J’ai eu l’occasion de faire une séance-test au Festival Chéries-Chéris de Paris à l’époque, avec un film de patrimoine, vers 2010-2011, et ça avait bien marché ! Par la suite j’ai été amenée à rencontrer le nouveau propriétaire du Brady, Fabien Houi, à qui j’ai proposé le concept. Il était très intéressé, et on a donc tenté deux séances en avril et mai 2013 qui ont toutes les deux très bien marché. Dès lors c’était parti pour 10 ans ! D’ailleurs notre toute première séance était le 23 avril 2013, soit le jour du vote de la loi pour le mariage pour tous ! On n’avait pas fait exprès mais c’est une drôle de coïncidence.
L’idée principale était de projeter des films de patrimoine, vieux de minimum 10 ou 15 ans. À l’époque il n’y avait pas autant de ciné-club qu’aujourd’hui, quelques uns dans le Quartier Latin, donc l’idée était d’avoir une ligne directrice, un fil conducteur qui permette aux gens de savoir directement ce qu’on allait leur proposer. Il se trouve que je connaissais bien les questions de genre et de sexualités minoritaires, après avoir écrit le bouquin, avoir travaillé pour Têtu…. On propose la plupart du temps des films rares, voire très rares, avec toujours une grande place laissée au débat avec l’invité qui est amené à échanger avec le public, parfois pendant 1 heure.
Qu’est-ce qui guide vos choix pour la programmation ?
On ne voulait pas se poser en concurrent de festivals comme Chéries-Chéris par exemple, qui propose des nouveautés et des avant-premières. Le cinéma de patrimoine, c’était parfait ! On avait aussi le critère de la fiction, parce qu’au niveau du documentaire il y en a beaucoup qui le font déjà aussi. On voulait se placer sur une niche pas encore occupée donc : la fiction longue, de patrimoine, LGBTQ+, avec en plus si possible des films plutôt rares, qu’on ne trouve pas partout. Il fallait aussi que l’œuvre proposée soit potentiellement intéressante pour un débat, donc pas forcément des films politiquement corrects. Le tout en restant très éclectique au niveau des époques, des pays et des styles cinématographiques. Pour la programmation, on marche surtout aux coups de cœur, selon notre cinéphilie. Je ne me suis jamais dit : « Il faut tant de films lesbiens, tant de films gays, tant de film trans… ». On n’est pas dans le quota. Il se trouve qu’au fil du temps, la programmation trouve un certain équilibre. Là où on a un peu plus de difficultés, c’est au niveau des questions trans. Pour des raisons historiques assez évidentes, le nombre de films de patrimoine abordant le sujet est assez réduit, c’est plus compliqué. Mais on arrive tout de même à se débrouiller en proposant des films qui transgressent les normes de genre, où qui en parlent indirectement, comme Les Funérailles des Roses qu’on a projeté puis accompagné dans sa ressortie restaurée.
Quel est le public des séances du 7e genre ?
En 10 ans on a réussi à fédérer un public très éclectique, et je tiens beaucoup à ça. Ça va des jeunes étudiants aux retraités, des hommes, des femmes, des trans, des personnes non-binaires, et des gens qui vont venir pour le côté militant, d’autres pour le côté cinéphile, ou juste par pure curiosité. Ce qui est super parce qu’on a un budget ridicule, sans aucune subvention. On vit uniquement des adhésions à l’association du 7ème genre. Les gens ne se rendent peut-être pas compte du travail en amont qu’on fait pour trouver ces films. C’est une vraie enquête policière : retrouver les droits, puis une copie, faire les sous-titres, trouver les invités…
Le ciné-club a 10 ans cette année. Quels sont les souvenirs les plus marquants ?
Le premier qui me vient c’est la dernière apparition publique d’une réalisatrice trop méconnue mais qui mériterait beaucoup plus de notoriété, une des rares réalisatrices femmes de son époque, Yannick Bellon. Elle est venue en janvier 2016 pour présenter La Triche. Un film de 1984, très important, qui est un des rares films à parler de bisexualité. À 93 ans elle avait une verve incroyable, une modernité folle, c’était un moment très très fort. Malheureusement elle a eu un AVC peu de temps après et est décédée aujourd’hui.
On a aussi fait des séances-retrouvailles, c’est à dire que l’équipe du film ne s’était pas revue depuis la sortie du film il y a 30 ans. Exemple récent avec Noir et Blanc de Claire Devers, ressorti récemment en copie restaurée. Il se trouve que c’était un film qui m’avait beaucoup marqué à l’époque, et c’est moi qui ai retrouvé la copie du film. J’avais contacté Claire Devers qui venait de récupérer les droits du film mais n’avait pas de support. J’ai donc récupéré la copie pour elle, et on a pu faire une séance en janvier 2019 en sa présence, et avec aussi les deux acteurs principaux (Francis Frappat et Jacques Martial, ndlr). Ils ne s’étaient pas revus depuis super longtemps donc c’était très intéressant. Et 4 ans après le film ressort en salle en copie restaurée. Ça nous a fait super plaisir.
Même expérience avec Pourquoi pas ! de Coline Serreau, ressorti en salle en décembre 2022, qui lui aussi parle de bisexualité. Le film était invisible depuis des dizaines d’années, j’ai retrouvé le distributeur qui avait restauré le film en prévision d’une potentielle ressortie en DVD/Blu-Ray. Je lui avais proposé de faire une séance unique en salle pour Le 7ème genre. Coline Serreau était là, les acteurs principaux aussi, toute l’équipe du film qui ne s’était pas vue depuis 40 ans… C’était très émouvant ! Et le film a eu un succès de dingue ! On a rempli les deux salles du Brady et on a dû refuser plein de monde. Devant le succès de la séance, le distributeur a décidé de le sortir en salle récemment, ce qui n’était pas du tout prévu. On se dit que, modestement, on contribue à refaire redécouvrir des films.
Quel regard portez-vous sur le cinéma queer actuel, vous qui avez une vision à 360 sur son passé ?
Je garde bien sûr toujours un œil sur le cinéma queer actuel. Ce qui me frappe c’est qu’on voit vraiment l’évolution de la société à travers le cinéma. Dans les années 90, la grosse thématique c’était le coming out, après est venu le temps du couple, de l’homoparentalité, la banalisation de l’homosexualité, et là on est surtout sur les questions trans. Maintenant les questions homos, c’est presque has-been (rires). Quand on regarde ce qui sort c’est flagrant. Ça va avec la société, aujourd’hui c’est les 10 ans du mariage pour tous, on s’intéresse donc beaucoup plus aux réalités trans.
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