A La Commune d'Aubervilliers, revivez l'expérience El Nueve, le club mythique de Mexico dans les années 80
Plus qu'une boite de nuit, El Nueve était aussi un centre culturel où se côtoient des personnes LGBT, des fashions victims, des punks, des artistes en tout genre. Interview de son cofondateur Henri Donnadieu et de la créatrice du spectacle à La Commune, Monika Gintersdorfer.
Mexico, fin des années 70. Henri Donnadieu et Manolo Fernández fondent en 1977 El Nueve, le 9, un club qui va enflammer les nuits de la capitale du Mexique et sera un haut lieu de la communauté LGBT+. Plus qu’une boite de nuit, El Nueve est aussi un centre culturel où se côtoient des personnes LGBT, des fashions victims, des punks, des artistes en tout genre, et qui brillera de mille feux pendant plus de dix ans.
Aujourd’hui, c’est à La Commune à Aubervilliers que Monika Gintersdorfer déplace ce lieu devenu mythique pour des performances emblématiques, des DJ sets, des expos, en occupant une semaine tout le théâtre, y compris ses multiples recoins.
Henri Donnadieu, fondateur de El Nueve, et Monika Gintersdorfer ont accepté de répondre aux questions de Komitid.
Komitid : Henri Donnadieu, si vous deviez décrire ce lieu mythique, « El 9 », que diriez-vous ?
Henri Donnadieu : El Nueve est inauguré le 23 janvier 1977. Son existence se divise en deux époques. De l’ouverture à janvier 1979, c’était un club privé, gay, ouvert à la clientèle “au placard” des jeunes de bonne famille, nous étions quatre associés. Puis, je me retrouve seul et je décide de changer la politique du club. Docteur en sciences politiques, ma thèse sur l’implantation de la maison de la culture Rhône Alpes à Grenoble avait comme conclusion : pour que les gens viennent à la culture, il faut aussi donner de la distraction. Pour El 9, je dirais : Pour que la distraction perdure, il faut donner de la culture. J’ai décidé tout en gardant l’essence gay du club de l’ouvrir à tout le monde, à condition que tout le monde respecte tout le monde. Ainsi il s’est créé un « melting pot » exceptionnel au niveau de la clientèle.
« Je disais à l’époque : il faut que je meure chaque soir pour renaître le jour suivant »
Quel était le public de ce lieu ?
La clientèle du 9 était très cosmopolite : homosexuels, hétérosexuels, lesbiennes, travestis, acteurs mexicains célèbres, polices importants, beaucoup d’intellectuels, rockeros, et toutes les couches de la société de l’époque représentées. Le 9 était ouvert du lundi au dimanche, chaque jour avec un événement spécial. C’était beaucoup de travail ! Je disais à l’époque : il faut que je meure chaque soir pour renaître le jour suivant.
Etait-ce un lieu et une ambiance comparables au Studio 54 à New York ou au Palace à Paris ?
J’ai bien connu le Studio 54 pour avoir été l’ami d’Andy Warhol, le 9 était un petit club, de 200m2. Rien à voir avec le Studio 54, cependant les personnes qui connaissaient le Studio comparaient le 9 avec ce club de New York : la fête pour la fête, des clients très beaux, beaucoup de gens connus et la magie de la nuit, tout le monde à l’unisson. Pour les anniversaires il y avait plus de mille personnes dans la rue, ne pouvant entrer, un vrai phénomène jamais vu à Mexico. Je n’ai pas connu le Palace, j’ai bien connu le 7 à mon époque d’étudiant de Sciences po et cela m’a beaucoup aidé pour créer le 9.
Comment est-on passé d’un bar musical à un espace de création très important ?
Le passage d’un bar à un endroit qui a marqué la culture d’une époque s’est fait petit à petit. Au début des fêtes à thèmes, un prix de l’excellence « le 9 d’0r », des expositions de peintures, un ciné club, des fresques éphémères, la recherche de groupes de rock en espagnol qui n’avaient pas d’espaces pour se présenter, la musique très d’avant-garde et la création de deux revues littéraires : La Regla Rota et La Pues Moderna, qui ont marqué la naissance du courant appelé “Contra-Culture” au Mexique et une compagnie de théâtre, La Kisch Company. Et à porter également au crédit du 9 la première clinique d’aide aux malades du sida, en 1987, la première en Amérique latine.
Pourquoi la communauté LGBT s’est-elle investie dans ce lieu ?
La communauté LGBT s’est investie dès le début, car il y avait très peu de clubs gays et surtout beaucoup de répression de la part des autorités, il n’y avait aucune tolérance. Pourquoi le 9 a été toléré au Mexique ? Peut être parce que j’étais français, je n’ai jamais su. Aujourd’hui la communauté LGBT me reconnaît comme l’un des combattants historiques pour les droits de la diversité et j’en suis très fier.
Existe-t-il aujourd’hui des espaces similaires à Mexico ?
A mon grand regret il n’y a pas eu, du moins au Mexique, un autre endroit comme le 9. Tout le monde a réintégré son propre ghetto, cela me semble triste. J’ajouterai que, plus que tout, durant toutes les années du 9, je me suis fait plaisir avant tout. Je termine par le leitmotiv de cet aventurier de la vie que je suis : La libertad de ser (“la liberté d’être”).
« C’était un mélange cosmopolite avec une grande envie de faire de nouvelles expériences culturelles et sexuelles »
Komitid : Monika Gintersdorfer, comment avez-vous connu l’histoire d’El 9 ?
Monika Gintersdorfer : Quand j’avais 20 ans, j’ai étudié à Mexico et par chance j’ai connu le bar El 9. J’y suis allée très souvent – trois à cinq fois par semaine – tant ce bar était différent de tout ce que j’avais connu en Allemagne. Les personnes qui fréquentaient El 9 étaient souvent des artistes ou bien voulaient devenir artistes, souvent ils et elles étaient belles ou beaux, il y avait aussi des gigolos, des mannequins. Il y avait des gens fashion, des New Wave, des Punks, c’était un mélange cosmopolite avec une grande envie de faire de nouvelles expériences culturelles et sexuelles. En même temps, les années 80 étaient le début du sida qui a nous beaucoup affectés et tuait de très jeunes personnes. La fête continuait dans un climat de panique et le bar El 9 a tout fait pour donner des informations et de l’aide pratique en collaboration avec les premières organisations civiles avant que l’Etat ne s’organise face à cette épidémie inconnue.
Qu’est-ce qui vous a intéressée dans cette histoire ?
Aujourd’hui, le bar El 9 est reconnu comme ayant été un endroit unique, queer et culturel. On écrit son histoire dans des livres et des films, on conserve les invitations, les photos et les vidéos d’alors dans des musées. A l’époque je ne savais pas qui étaient les personnes qui ont rendu cet endroit tellement artistique et d’avant-garde mais je savais que je voulais être présente et vivre totalement cette expérience.
Comment avez-vous construit la création de cette « Pièce d’actualité 19 : El Nueve » ?
On a des archives originales de l’époque qui sont montrées pour la première fois en France et dont nous allons faire une installation vidéo. Henri Donnadieu, l’un des fondateurs et créateurs de El 9, est présent pour notre ouverture – c’est extraordinaire parce c’est un Français qui est devenu Mexicain.
On va faire des shows qui s’inspirent du programme de El 9 à l’époque – courtes et amusantes – en hommage à la Kitsch Company qu’Henri avait créée spécialement pour le bar. La Kitsch présentait chaque mercredi un nouveau petit show, sur Klaus Nomi par exemple ou bien un show inspiré par une peinture de Picasso. Nous aussi on va faire des hommages à des personnages qu’on adore du passé et présent, on célèbre la musique et l’art, Grace Jones et le peintre Aboudia. Le public va avoir la possibilité de danser comme dans un club, parce que El Nueve, c’était beaucoup d’amusement avec la culture.
Cette histoire résonne-t-elle avec des préoccupations actuelles ?
Le bar mêlait déjà nombre de disciplines artistiques – cabaret, concerts, films, arts visuels – et attirait par sa programmation mais aussi son atmosphère unique et un public très diversifié avec une grande générosité. Les institutions culturelles d’aujourd’hui aimeraient se transformer en des endroits aussi ouverts et divers que l’était El 9 grâce à la passion de ses fondateurs et de ses invités.
« Pièce d’actualité n°19 El Nueve », de Monika Gintersdorfer, du 15 au 26 mars, à La Commune, à Aubervilliers.
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