Coline Abert, réalisatrice de « Last Dance » : « Ça m'intéressait d'explorer comment l'Amérique queer résistait sous Trump »
À l'occasion de la sortie de son documentaire « Last Dance », le 22 février, Komitid s'est entretenu avec Coline Abert sur son rapport au drag, ses obsessions et sa relation avec Lady Vicantos dont elle filme les dernières performances.
Après être devenu viral sur le petit écran français via la première saison de Drag Race France, puis sur les toiles de cinéma avec la superbe fiction de Florent Gouëlou, Trois nuits par semaine, le drag continue d’étendre son influence en s’attaquant cette fois au documentaire.
Avec sa première réalisation, la cinéaste française Coline Abert ajoute une pierre au très bel édifice du « dragumentary ». Dans Last Dance, en salles le 22 février, elle filme avec délicatesse les dernières aventures de Vince, aka Lady Vicantos, une drag queen de la Nouvelle-Orléans qui a ouvert une petite école dans laquelle elle transmet sa passion de du drag à ses élèves. Sentant qu’il est temps de dire adieu à son personnage, Vince entreprend tout de même d’accomplir son rêve ultime : performer à Paris, pour en finir avec le drag tel qu’il le vit depuis des années.
Amoureux de son art
De ce postulat, Coline Abert capture le chant du signe d’un artiste aux milles visages, amoureux de son art et épuisé par tout ce que ce dernier lui a demandé durant des années. Abert évite ainsi le portrait manichéen au traitement mielleux. Lady Vicantos y dévoile une facette relativement critique de la scène drag actuelle, en proie aux dangers du mainstream et aux griffes de la dépolitisation.
Ainsi, dans une tentative peut-être désespérée de laisser une trace, Lady Vicantos se réinvente professeur de drag le temps de quelques cours. Ces séances, aussi exigeantes et riches soient-elles, se changent rapidement en lieu de catharsis où le corps exprime ce que les mots ne peuvent verbaliser.
Il en résulte l’une des idées principales du film : le besoin d’un groupe, de ressentir une communauté se rassemblant autour d’expériences partagées. Le drag y est une affaire plurielle, jamais individuelle, où chacun s’entraide et apprend d’autrui. Souvent, la caméra de Coline Abert s’efface totalement, disparaît dans ce cocon englobant, au profit d’un attachement certains aux protagonistes. Lady Vicantos, elle, du début à la fin, est filmée sous tous ses aspects. Tantôt fragile tantôt puissante, elle apparaît comme une figure presque mythologique, prête à tirer sa révérence au terme d’une dernière bataille fantasmée depuis l’enfance.
Last Dance est un film sans complaisance, parfois cruel, souvent réjouissant, et toujours pertinent. Nous avons pu nous entretenir avec Coline Abert, réalisatrice du film.
Komitid : Comment avez-vous connu le travail de Lady Vicantos ?
Coline Abert : Je passais beaucoup de temps à la Nouvelle-Orléans et un jour, alors que j’étais sur un champ de course, qui est un endroit où j’allais assez souvent, j’ai croisé Vicantos. Il sortait d’un show à Cleveland alors il n’avait plus de sourcils, le visage couvert de paillettes, et en même temps une allure très masculine, recouvert de tatouages… Sur le moment j’ai été assez intriguée, et un ami commun nous a présenté. Il m’a parlé de son école de drag que j’ai eu très envie de visiter, et de fil en aiguille j’ai commencé à filmer.
Et qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce documentaire ?
J’avais hyper envie de faire un documentaire sur la Nouvelle-Orléans et l’énergie créatrice qui en émane. Ça a toujours été une ville plus libre que les autres, et je voulais faire un film sur ce sentiment-là, mais aussi travailler sur le genre, les normes. La rencontre avec Vicantos s’y prêtait plutôt bien. J’avais découvert le drag il y a des années en allant à des shows à la Nouvelle-Orléans puis via l’émission de RuPaul évidemment. Récemment j’ai bien sûr regardé la version française. J’adore Paloma !
Le film adopte un regard assez inattendu sur le monde du drag. Lady Vicantos le compare même au mouvement punk et est un peu pessimiste sur son avenir, à cause de la popularité grandissante du milieu dans des sphères plus néophytes. Vous êtes d’accord ?
Aujourd’hui je pense que c’est très compliqué parce que c’est devenu très mainstream avec Ru Paul’s Drag Race. Mais je pense que dès qu’il y a une culture, il y a une sous-culture ou une contre-culture derrière. C’est deux visions du drag qui cohabitent assez bien. C’est aussi ce qui m’intéressait. Je voulais faire un film sur une version pas trop lisse du drag, un peu plus expérimental.
Comment s’est passée la prise de contact avec Lady Vicantos ? Elle a accepté tout de suite ?
En fait j’ai très rapidement commencé à filmer, pour moi c’était important de mettre une caméra et qu’elle devienne invisible. Elle a tout de suite accepté ! C’était aussi une façon pour elle d’accomplir son rêve de performer à Paris, pour la toute dernière fois.
Quelle était votre démarche en tant que réalisatrice ? Vous ne vous montrez pas du tout dans le film…
On discutait, on passait beaucoup de temps ensemble, je lui disais ce que j’aimerais filmer sans tenter de provoquer la situation… Je ne sais pas si on peut parler de mise en scène, mais en tout cas il y avait une envie de provoquer le réel. Au début je filmais juste pour moi, je ne savais même pas que ça deviendrait un long-métrage, que ça sortirait au cinéma… C’est quand j’ai montré quelques images à mes producteurs que j’ai compris le potentiel du sujet : la question de l’identité, de la transformation, de la construction d’un personnage, de son évolution… Ça me tenait vraiment à cœur. On a tourné sur quatre ans, et on commencé à tourner sous Trump, donc ça m’intéressait vraiment d’explorer comment l’Amérique queer résistait.
« J’adore le fantastique, la science-fiction »
Le film a fait le tour des festivals avant de sortir en France. L’accueil a-t-il été bon ?
Très ! On a fait un festival à San Francisco et c’était super de faire la première dans le cinéma mythique du quartier LGBT qu’est le Castro. C’était le tout premier jour de la Pride, et c’était une journée super agréable, le public a très bien reçu le film. Montrer le film au public c’était génial, et Vince m’accompagnait à quelques avant-premières, c’était fou pour lui.
Justement, comment pensez vous que Lady Vicantos a vécu le fait d’être filmée de la sorte ?
Je pense que ça lui plaît beaucoup, et qu’en même temps vu que le film a été long à faire, que le documentaire c’est compliqué à financer – d’autant plus le nôtre qui n’est qu’en anglais, donc compliqué d’avoir de l’argent du CNC –, il était content que ça se termine. Il n’est plus du tout la même personne qu’il y a quatre ans. Il a une grande distance avec lui-même. Aujourd’hui il continue de performer mais a arrêté avec son personnage de Lady Vicantos.
Pour « Last Dance », aviez-vous des références en tête ?
Oui j’avais quelques films de référence. Il y avait Paris Is Burning de Jennie Livingston, I am Divine de Jeffrey Schwarz sur Divine, la drag queen iconique du cinéma de John Waters… Contrairement à ce que certains pensent, on se nourrit aussi beaucoup de références pour un documentaire, pour trouver une forme visuelle et narrative…
Avant « Last Dance », vous avez été scénariste sur plusieurs séries télé. En quoi est-ce différent ?
En fait j’ai d’abord commencé par être assistante dans le documentaire, donc il y avait un peu quelque chose qui tenait du retour aux sources. Mais pour moi les deux se nourrissent. Il n’y a pas vraiment de différence, ce sont des procédés qui sont assez organiques. En écriture aussi on se nourrit du réel tout le temps, donc c’est vraiment plus complémentaire qu’antinomique. Et j’adore la fiction ! Mon prochain film est une fiction qui parlera d’adolescents qui mutent, donc je reste sur la métamorphose. J’adore le fantastique, la science-fiction.
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