Pour le réalisateur Kirill Serebrennikov, la situation des gays russes est « bien pire » qu'au XIXe siècle
« C'est bien pire que du temps de Tchaïkovski » : pour le réalisateur Kirill Serebrennikov, « la violence » de l'Etat russe à l'égard des gays et de la communauté LGBTQ a atteint un niveau « d'hystérie ».
« C’est bien pire que du temps de Tchaïkovski » : pour le réalisateur Kirill Serebrennikov, « la violence » de l’Etat russe à l’égard des gays et de la communauté LGBTQ a atteint un niveau « d’hystérie ».
L’artiste, dont le film sur la femme oubliée du célèbre compositeur sort en salle en France mercredi, a également affirmé à l’AFP que la société russe est actuellement « paralysée par la peur » et dans l’impossibilité d’exprimer « le moindre doute » concernant l’invasion en Ukraine déclenchée il y a près d’un an.
« Dans le cercle d’amis qui entouraient Tchaïkovski (qui était gay), mais aussi chez les fonctionnaires haut placés, les grands princes, les proches du tsar, il y avait beaucoup d’homosexuels qui l’étaient ouvertement », rappelle M. Serebrennikov, qui avait présenté La Femme de Tchaïkovski à Cannes en 2022.
“Ca frôle l’absurde”
« Tchaïkovski n’avait pas honte d’être homosexuel ; le stress qu’il ressentait n’était pas à cause de la pression sociale mais parce qu’il avait l’impression que le fait de ne pas avoir “la bonne orientation sexuelle” allait être un problème pour écrire sa musique », ajoute le réalisateur de 53 ans, basé à Berlin depuis qu’il a quitté la Russie deux mois après l’invasion.
« Aujourd’hui, c’est bien pire, parce que l’Etat s’est octroyé le droit de recourir à la violence envers les LGBT, c’est une situation extrêmement discriminatoire qui frôle l’absurde », ajoute-t-il, estimant qu’à chaque fois que des députés russes veulent se faire remarquer, ils proposent des lois anti-LGBT.
D’après lui, « l’hystérie a atteint son comble » avec la sortie en 2021 d’un roman écrit par Elena Malisova et Katerina Silvanova.
Cette histoire d’amour de deux jeunes hommes dans un camp de pionniers (l’organisation de jeunesse soviétique) est devenu un best-seller chez la jeunesse russe.
« Elles ont été accusées d’être des agents de l’étranger et des députés sont allés jusqu’à dire que si les gens lisaient le roman, ils deviendraient gays… ».
M. Serebrennikov assure que la société russe est aujourd’hui « complètement paralysée par la peur, car l’Etat s’est octroyé le droit d’exercer la violence ; et les artistes ne peuvent plus protester ou même émettre des doutes » ou même d’exprimer de la compassion pour les Ukrainiens, « car c’est devenu dangereux ».
« C’est un vrai retour à l’Union soviétique où tout le monde levait la main pour dire qu’ils étaient d’accord et pestait ensuite chez soi contre le pouvoir en place », dit-il.
Son film n’est bien sûr pas montré en Russie, mas il a eu déjà quelques réactions de ses concitoyens.
“Rendre vivant”
« A la fin d’une projection (en avant-première) à Paris, une Russe est venue me dire que c’était “un film anti-russe” parce que pour elle, Tchaïkovski était un idéal. J’ai compris qu’elle ne voulait pas voir ce monument comme un être humain pétri de douleurs », dit-il.
Pour lui, cette spectatrice « est comme Antonina (Milioukova, l’épouse de Tchaïkovski), elle refuse de voir la réalité et s’accroche à un idéal, ce qui engendre des traumas », explique le réalisateur.
« Or j’estime que c’est la tâche de la culture de transformer un monument en un être humain. Les monuments sont pensés par les Etats, nous, nous devons rendre les gens vivants », poursuit-il.
« Si demain vous apprenez que Tchaïkovski avait une dentition terrible, ce qui était le cas, qu’il n’était pas gentil avec Antonina, ou que son orientation sexuelle ne vous plaît pas, allez-vous cesser d’écouter ses ballets et ses opéras ? Il faut montrer les personnes dans tous leurs aspects et ne pas les simplifier », assure-t-il.
M. Serebrennikov a révélé qu’il voulait tourner d’autres films sur Tchaïkovski pour « montrer les différentes facettes de ce génie ».
Il prépare en ce moment une adaptation de La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez (prix Renaudot 2017), devrait présenter en 2023 son Limonov (adapté du roman d’Emmanuel Carrère), ainsi que des productions d’opéra.
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