La vidéo de la youtubeuse Gaelle Garcia Diaz sur le drag valait-elle une polémique ?
La mise en ligne de la vidéo spéciale Drag Show de la youtubeuse Gaelle Garcia Diaz a déclenché un vif débat sur les réseaux sociaux.
Pour la fin d’année, Gaelle Garcia Diaz, la youtubeuse beauté avec près de deux millions d’abonné·es, a publié une vidéo évènement, son « Martine’s Drag Show » (Martine étant le nom qu’elle donne à sa communauté). Le concept est simple : quatre hommes youtubeurs connus (Léopold, McFly & Carlito et Math Se Fait Des Films) ont le défi de réaliser des épreuves (à savoir un catwalk et des lipsync) habillés et maquillés en drag queen par des professionnels.
Pour les juger, Gaelle s’entoure de l’influenceuse Léna Situations, de la drag mother Sugar Love et du duo de drag queens Rose et Punani.
Dépolitisation du drag
Si la vidéo se veut avant tout amusante, jouant sur l’extravagance, l’humour, et l’étonnante aisance avec laquelle les quatre hommes performent de manière tous assez impliqués, elle n’a pas non plus manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux. Ce qui lui est reproché en premier lieu est une certaine dépolitisation du drag, qui semble être inhérente à ce genre de concept se voulant comme du divertissement pur et dur.
À ce sujet, et dans une suite de tweet assez éclairante, l’écrivain Sofian Aissaoui (auteur du superbe Drag : l’autre visage des Queens et des Kings) souhaite émettre “une critique constructive” et déclare que “si l’intention était sûrement bonne, l’émission tombe dans ce qui est le cauchemar de tout artiste drag et d’une partie de la communauté LGBT : la récupération.”
C’est ce que risque toute sous-culture amenée à se populariser. Après le succès à l’international de « RuPaul’s Drag Race », les dizaines de nouvelles versions à travers le monde, et la toute première saison française cet été, la pratique était destinée à se disperser dans d’autres mediums visant des populations plus mainstream, qui cherchent avant tout à s’amuser.
De manière similaire, le premier youtubeur de France, Squeezie, incluait il y a un mois dans son format à succès Qui est l’imposteur ? (où lui et deux invités doivent trouver l’imposteur parmi trois personnes pratiquant une discipline précise) des drag queens. Ben Névert, lui, suivi par 500 000 abonnés, s’y prenait à l’avance en mettant en ligne il y a deux ans une table ronde où la parole était donnée à des artistes drag (queen et king). Enfin, partout sur la plateforme, les vidéos “make-up drag” deviennent virales et ne sont plus un concept si marginalisé.
Trop populaire, le drag ?
Peut-être le drag est-il en train de devenir trop populaire pour son propre bien, à la manière du mouvement punk ou hippie à une époque, devenus tous deux des marchés économiques sur lesquels les acteurs capitalistes se sont jetés après avoir vu un certain potentiel marchand. “Ce qui se joue pour une partie de la communauté LGBT, c’est la perte d’un espace/d’un art qui fait partie de son existence. Ne pas inclure pleinement les personnes qui l’ont fait et qui le font revient à le vider de toute sa substance“, poursuit Sofian Aissaoui, rappelant ainsi la nécessité de ne surtout pas perdre la dimension politique du drag, qui en est l’essence même.
À ce niveau-là, la première saison de « Drag Race France » s’en sortait haut la main, ne mettant jamais de côté ce qui est à l’origine du drag : l’expression artistique de populations queer marginalisées. Ainsi, des discours sur l’homophobie, la transphobie, la séropositivité ou encore sur la précarité des artistes pouvaient être entendus tout au long des huit épisodes. Mais dans un format aussi court que la vidéo de Gaelle Garcia Diaz (à peine plus de 50 minutes, soit moins qu’un épisode de « Drag Race France »), qui vise en plus un public néophyte venu sur la vidéo pour se divertir, la forme prend irrémédiablement le pas sur le fond. Le spectacle au détriment du message.
À cela se rajoutent deux autres erreurs qui ont participé à légitimer d’autant plus les critiques déjà faites : Gaelle Garcia Diaz, visiblement échaudée par la polémique, s’est fendue d’un tweet (depuis supprimé) dans lequel elle s’étonne que pour certains, l’art du drag ait un lien avec “une orientation sexuelle ou un genre”. Preuve s’il en est d’une méconnaissance du sujet puisque, bien que les personnes hétéros et cisgenres ne soient pas interdites de faire du drag, on ne peut nier les origines de cet art intrinséquement queer. Pour beaucoup, s’approprier cette culture le temps d’une vidéo sans en connaitre et diffuser les fondements revient simplement à de l’opportunisme.
Autre fait que les internautes ont noté : aucun des quatre youtubeurs ayant participé à la vidéo n’ont crédités Rose, Punani et Sugar Love sur les photos postées sur leurs réseaux sociaux respectifs. Un simple oubli qui reste dommageable quand on sait que la visibilité en ligne pour les drag queens est un facteur essentiel à leur survie dans le milieu. Ces influenceurs, suivis par des millions et des millions de personnes, avaient une chance de leur offrir une forte visibilité.
Si comme toujours sur Twitter, la polémique semble immense, tout est relatif. Les opposants, quelque peu énervés par ces différents points, reconnaissent aussi la bienveillance et les moyens mis en place par la youtubeuse pour un tel spectacle. “Je pense sincèrement que le show a été réalisé avec beaucoup de bonnes intentions. La production de l’émission est de qualité et la réception par le public novice semble plutôt bonne”, se réjouit Sofian Aissaoui.
Par la suite, dans un échange privé envoyé à un abonné qui a rendu le message public, Gaelle Garcia Diaz se dit “tellement triste que cela fasse encore autant débat” : “Et étonnement auprès de la communauté LGBT. Je m’attendais à des commentaires puérils homophobes, et bien non….Tellement triste vraiment”.
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