« Joyland » ou le cri du cœur déchirant des victimes du patriarcat
Le splendide film pakistanais « Joyland », réalisé par Saim Sadiq et lauréat de la Queer Palm, sort ce mercredi 28 décembre au cinéma. Un film à ne surtout pas manquer.
Quelle histoire a eu Joyland en à peine un an d’existence ! Présenté dans Un Certain Regard en mai dernier à Cannes, le tout premier film pakistanais de l’histoire du festival a su marquer au fer rouge son passage sur la Croisette.
Avec une Queer Palm et un Prix du Jury (Un Certain Regard), le film prenait d’ores et déjà un joli chemin. Par la suite, après avoir été sélectionné par son pays pour la course à l’Oscar du Meilleur Film Étranger, le film a subi une interdiction totale de diffusion dans les salles pakistanaises. Une mesure qui a été abandonnée par la suite.
Un moment particulièrement difficile pour son réalisateur, qui confiait à Komitid ne pas vraiment avoir “eu le temps de digérer tout ça”.
Depuis, bien que le film a encore du mal à être diffusé dans les cinémas de son pays, sa carrière dorée a pu reprendre de plus belle, avec le Grand Prix du festival Chéries-Chéris 2022 et la sélection dans la très prisée shortlist des Oscars du Film Étranger. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’hormis quelques conservateurs religieux fermés d’esprit, le film met tout le monde d’accord.
Joyland est de ces films choraux qui, grâce aux récits multiples de différents personnages, arrivent à dresser le portrait d’un sentiment qui leur est tous commun, celui de l’oppression liée au patriarcat et à ses répercussions.
À Lahore, Haider n’a pas de travail et vit avec sa femme Mumtaz, forte tête et amoureuse de son travail ; son père, un patriarche vieillissant qui fait régner sa loi ; son frère, symbole de la virilité qu’il n’aura jamais ; et sa belle-soeur, femme au foyer qui s’occupe de l’entretien de la maison et des enfants. Dans cette grande maison, Saim Sadiq fait de ce microcosme le reflet parfait de la société, où tous souffrent du régime patriarcal et traditionnel, qu’ils en soient les victimes ou les vecteurs. Ce petit monde qui tourne sur lui-même va être rapidement chamboulé par l’arrivée de la flamboyante Biba, une danseuse trans dont Haider va tomber sous le charme et manœuvrer pour intégrer sa troupe de danseurs.
Une proposition qui, résumée ainsi, peut faire craindre un amoncellement lourd et pesant, mais c’était sans compter la main de maître du cinéaste, sûr de son geste, qui évite tout manichéisme et livre une vision du Pakistan comme on ne l’a jamais vue, qu’il décrit sur Komitid comme « un pays un peu bipolaire, toujours en contradiction avec lui-même ».
Un double pays avec lequel Haider va devoir apprendre à jongler pour pouvoir s’en sortir au mieux. Ainsi, c’est avec une dignité rare que Saim Sadiq traite ses personnages, sans complaisance aucune ni sentimentalisme vulgaire. Il est rare d’assister à ce genre de premier film dans lequel un tout jeune cinéaste navigue avec tant d’aisance et de pertinence dans des eaux pourtant risquées.
Finalement, Joyland arrive à éviter habilement tous les écueils dans lesquels les films tombent aujourd’hui trop facilement. Les acteurs et actrices y sont tous impeccables sans être pour autant dans la recherche de performance. Saim Sadiq fabrique la beauté sans esthétiser à outrance, le récit y est tragique sans être grave, le film prend son temps sans être ennuyeux, il est politique mais n’oublie jamais d’être avant tout du cinéma pur.
Ainsi, à bien des égards, Joyland est un miracle de cinéma. Un film à la carrière semée d’embûches, qui aurait pu ne jamais exister, et qui finit par conquérir le cœur et habiter l’esprit de toutes celles et ceux qui le laissent entrer.
« Joyland », de Saim Sadiq, en salles le 28 décembre
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