« Straight Up », de James Sweeney : une réjouissante comédie sur le couple
Sortie il y a deux ans dans les salles américaines, « Straight Up », le premier long-métrage de James Sweeney, se fraie enfin un chemin dans les salles en France et nous offre une jolie comédie indépendante sur le couple, ses illusions et sa complexité.
Au cinéma, les thématiques gay ne sont pas légions dans le registre comique. Ces films –qu’ils soient réussis ou non–, tendent le plus souvent à des traitements dramatiques et des dénouements tragiques, cantonnant souvent les récits sur l’homosexualité masculine à une seule et unique réalité, peu réjouissante qui plus est.
Pourtant, depuis quelques années, un vent contraire semble s’être levé. Dès 2018, les grands studios, qu’ils soient américains ou français, commencent à imaginer des films queer grand public portés par des artistes directement concernés. De Love, Simon de Greg Berlanti en 2018 aux Crevettes Pailletées de Cédric Le Gallo et Maxime Govare en 2019 (respectivement distribués par la 20th Century Fox et Universal), l’heure n’est plus aux histoires d’amour cachées, à l’impossibilité d’aimer ou à la double-identité, mais bien à la comédie décomplexée.
En 2022, ce constat est encore plus voyant : en l’espace de quelques mois, sortent à la fois en salle et sur les plateformes la suite des Crevettes Pailletées, mais aussi Fire Island de Andrew Ahn et Bros de Nicholas Stoller. Trois comédies de studio sur le monde gay destinées au grand public donc, qui s’éloignent toutes des chemins quelque peu balisés du drame pour montrer une autre facette des vies que mènent les hommes gays.
Au milieu de tous ces gros films qui adhèrent à un genre comique très codifié, se cache un film plus confidentiel mais pas moins réjouissant. Straight Up, premier film de l’artiste américain James Sweeney, raconte l’histoire de Todd (joué par le réalisateur lui-même), jeune adulte gay plein de TOC et angoissé par la vie qui en vient à remettre en question son homosexualité. Il fait la rencontre de Rory (superbe Katie Findlay), une comédienne déprimée avec qui il va se réessayer à une hétérosexualité qu’il a, selon lui, trop rapidement mis de côté.
« L’idée tant narrative que plastique de « Straight Up » réside donc dans cette nécessité pour des individus endommagés et incomplets de s’imbriquer, quitte à renier ses habitus pour en créer de nouveaux »
C’est de ce postulat pour le moins étonnant que le cinéaste va habilement remettre en question la vision que l’on se fait du couple hétéronormé, où tout a une place et un rôle prédéfini. James Sweeney filme une jeunesse déboussolée, en proie aux angoisses de l’avenir, dans l’impossibilité de se projeter dans le futur. Todd, sujet à bon nombre de TOC, prétend à qui veut l’entendre qu’il est sujet à une crise de l’identité, qu’il n’est plus sûr de rien.
« Erreur de chemin »
En vérité, Todd sait qu’il n’est pas hétéro. Mais face à sa peur de la solitude et à sa vie amoureuse peu concluante jusque-là, le jeune homme préfère se persuader d’une “erreur de chemin” qui resterait rattrapable. Cette appétence à remettre en question des principes se retrouvait déjà dans les précédents films de James Sweeney. On retrouve le même sujet dans le court-métrage Normal Doors (qui a servi à convaincre les producteurs de financer son long) et dans The First, où il s’affaire cette fois-ci à repenser le caractère sacré que l’on accorde à notre première fois.
Pour autant, le film ne cherche jamais à dramatiser à outrance ce qu’il met en scène. Au contraire, James Sweeney tient à maintenir une légèreté bienvenue qui parcourt chacun de ses plans grâce à une certaine maîtrise de l’humour dit “du malaise” duquel Todd est souvent victime. Pour que son personnage fasse face à ses proches, eux, ultra-sexuels, Sweeney manie avec malice le comique de gêne, et montre deux visions en total décalage : des couples qui se détestent mais qui s’attirent physiquement, ils imposent leurs corps et leurs avis partout, et Todd et Rory, qui s’entendent comme chien et chat mais font face à un mur infranchissable lorsqu’il s’agit de sexe. Par cette amusante opposition, deux question sont posées : le sexe est-il si indispensable à l’entente d’un couple ? Et, finalement, qu’est-ce que réellement une âme soeur ? L’idée tant narrative que plastique de Straight Up réside donc dans cette nécessité pour des individus endommagés et incomplets de s’imbriquer, quitte à renier ses habitus pour en créer de nouveaux.
Pour ce faire, James Sweeney comprend que son cadre se doit d’être comme un deuxième scénario pour les spectateurs, une façon sous-jacente et discrète de figurer les états d’âme de ses personnages. Des personnages en dehors de toutes normes, toujours en décalé avec leur entourage proche, que le cinéaste décide donc d’isoler dès qu’il en a l’occasion, à coup de plan serrés et de champs-contrechamps.
Pour approfondir cette idée, il choisit de tourner en format 4:3 (c’est à dire un format légèrement moins rectangulaire, plus serré), en travaillant de manière minutieuse son sens de la géographie, du décor. Un décor entre deux mondes, tantôt coloré tantôt plus pâle.
Sens de l’écriture
Si tout est une occasion de traduire l’esprit jovial et embrumé de Todd et Rory, c’est bien son sens de l’écriture qui en fait la meilleure démonstration. Des répliques acerbes débitées minute après minute, une pluie de références à la pop culture qui a construit le cinéaste, de Gilmore Girls à La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks : dans les mains de n’importe qui, cela aurait pu s’apparenter à une surenchère. James Sweeney en use avec assez d’intelligence pour éviter l’indigestion.
Ainsi, en conjuguant le cinéma de Wes Anderson (The French Dispatch, The Grand Budapest Hotel…) et celui de Gregg Arraki (Kaboom, Mysterious Skin…) à ses propres obsessions, James Sweeney réussit à relever le défi des quatre casquettes qu’il a choisi de porter : acteur, réalisateur, producteur et scénariste.
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