A Lyon, visite de la passionnante exposition « Dans les marges - 30 ans du fonds Chomarat » avec son co-commissaire, Antoine Idier
« Dans les marges », c'est le titre d'une exposition à ne pas manquer à la Bibliothèque municipale de Lyon, consacrée aux 30 ans du fonds Michel Chomarat, un des pionniers des archives LGBTI+ en France. Komitid s'est entretenu avec un des commissaires de cette exposition, le sociologue et historien Antoine Idier.
« Dans les marges », c'est le titre bien choisi de la passionnante exposition que la Bibliothèque municipale de Lyon consacre au Fonds Chomarat. Si vous vous intéressez à l'histoire des luttes LGBTI+ et aux archives, vous savez déjà que le Fonds Chomarat est un des premiers fonds d'archives LGBTI+, créé dès 1992 par Michel Chomarat, écrivain et activiste et conservé dans la deuxième bibliothèque publique de France.
Mais c'est aussi bien plus que cela. Depuis des décennies, Michel Chomarat collectionne des livres, des manuscrits, des partitions musicales, des estampes, des dessins d'artistes, des périodiques sur des sujets souvent ignorés des historiens et des chercheurs et aussi variés que les prisons, les jeux, les pratiques occultes et ésotériques, les prisons, les prostitués. Les marges, c'est en effet ce qui passionne le militant Chomarat, dont l'histoire personnelle est aussi jalonnée de combats, en particulier pour les droits des personnes LGBTI+.
Pierre Guinard, conservateur général des bibliothèques et le sociologue et historien Antoine Idier sont les commissaires de cette exposition que Komitid vous recommande chaudement. Elle est visible à Lyon jusqu'au 28 janvier 2023. Antoine Idier a répondu à nos questions.
Komitid : Je connaissais surtout du Fonds Chomarat la dimension archives LGBTI+. Mais en parcourant l’exposition, on réalise que les centres d’intérêt de Michel Chomarat sont bien plus variés…
Antoine Idier : Oui, les 1 600 mètres linéaires du fonds Michel Chomarat constituent une extraordinaire et unique archive LGBTQI+… mais pas seulement. Le fonds LGBTQI+ représente entre un tiers et la moitié du fonds entier (plus de 50 000 documents ont été traités ; et un peu plus de la moitié du fonds est cataloguée) ; et près de la moitié de l’exposition. Les thématiques sont extrêmement variées, et leur développement a suivi les intérêts de Michel Chomarat, en même temps que les projets auxquels il participait, les passions de ses amis, des découvertes inopinées, les sollicitations dont il faisait l’objet… c’est en cela que le fonds est presque une « œuvre » en soi, personnelle et inachevée, à la limite autobiographique.
En dépit de cette variété de ses intérêts, il subsiste une forte cohérence, une unité remarquable du fonds. Celles-ci résident dans un intérêt très prononcé pour les marges, pour les groupes minoritaires, pour les processus de domination et de stigmatisation, et en particulier pour les multiples formes de résistance, pour la manière dont des individus et des groupes se dotent d’une parole (par des tracts, des publications, par exemple) ; un intérêt, également, pour les anonymes, les oubliés de l’histoire, ceux qui n’ont pas de place dans les récits dominants, ceux dont la postérité n’a pas retenu le nom. Le Fonds Chomarat prend ainsi la forme d’une archive de ce qui est dévalué, mépris ou rejeté par une société : Michel Chomarat se décrit souvent comme un homme qui « fait les poubelles »… une affirmation que je mets en rapport avec ce que disait Walter Benjamin du chiffonnier, celui qui vit des « haillons » et des « guenilles », par lesquels il est possible de « créer de l’histoire avec les détritus mêmes de l’histoire ».
Par tout cela, le fonds Chomarat est une vive contestation de ce qu’est le patrimoine ! Affirmer que quelque chose appartient au patrimoine, c’est le juger digne d’être conservé pour être transmis à la postérité, en cherchant à le faire échapper à la destruction du temps qui passe. Mais il y a tout ce qui n’est pas jugé digne d’être conservé et transmis, tout ce qui est oublié, tout ce qui est relégué dans les marges de l’histoire… C’est en cela, aussi, que le fonds Chomarat met en question, voire en cause, ce qui est habituellement considéré comme relevant du patrimoine. D’où l’écho avec cette phrase d’Annie Ernaux que j’ai placée en ouverture de l’exposition, au sujet de son avortement : « Je ne crois pas qu’il existe un Atelier de la faiseuse d’anges dans aucun musée du monde. »
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